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LES BILLETS DU PÈRE VOLLE

13 décembre 2017

 

Eblouissant de sainteté

 

Aux vêpres de Noël, l’Eglise s’ « empare » du psaume 109 – qui renvoie sans doute en direct à la vie interne de Dieu – pour chanter la merveilleuse naissance sur terre de Jésus : « Au jour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissant de sainteté ». « Puissance », est-il écrit, mais on sait de quelle sorte de puissance il s’agit, d’une puissance toute spirituelle, puissance de retenue, puissance de pardon…

Parce qu’elles sont le théâtre d’exacerbation des passions, les guerres, toutes les guerres, connaissent des épisodes mêlés d’héroïsme et de bassesse. Ainsi cette page de l’épopée napoléonienne  en Espagne où nous pouvons trouver de quoi illustrer des leçons de Noël. Elle vient juste de m’être rapportée par un confrère, visiteur du lieu en cause.

Nous sommes à Manzanares, petite ville de la Manche (aujourd’hui 20.000 habitants, alors simple bourg), sur la route de Madrid-Tolède.

Les troupes françaises du général Dupont y font une courte halte, avant de reprendre leur  route vers l’Andalousie. Ils laissent une petite garnison dans la ville et installent un hôpital militaire dans le couvent des Carmes Deschaux, pour y soigner malades et blessés.

La résistance locale est farouche. Enhardis par la nouvelle de récents échecs napoléoniens, les hommes de Manzanares prennent d’assaut l’hôpital français et y font – ce qu’il fallait tellement craindre – un massacre de blessés. C’était le 6 juin 1808.

L’empereur subit échec sur échec dans son entreprise hispanique. Il décide de frapper un grand coup et notamment de reprendre la place stratégique de Manzanares.

Son général de choix, le général Sébastiani, a reconquis la Manche en quelques jours. Le 31 mars 1809, il marche sur la ville coupable. On saisit l’épouvante des habitants devant la perspective de sanglantes représailles.

Du haut de son cheval, à la lunette, le général voit de loin un petit groupe venir vers lui. Mais ce groupe est étrange, il n’est pas composé d’hommes armés. Et ils processionnent avec quelque chose. Effectivement, c’est une procession, derniers recours pour des vaincus.

Elle est due à l’initiative du curé, don Pedro Alvarez de Sotomayor. On honorait dans une des ses chapelles  une statue représentant le Christ tombant sous le poids de la croix : « el Cristo arrodillado » (« le Christ à genoux »). Le curé, à la tête de quelques hommes portant la statue, s’avance jusqu’à la route d’Andalousie, à environ un km de la ville, pour recevoir les troupes de Sébastiani et implorer pardon pour la paroisse coupable.

Il se produit alors quelque chose de singulier, éblouissant dans son genre.

Le Général a mis pied à terre. Il s’informe. Et le voilà qui déroule entièrement de son torse son écharpe de commandement. Pour l’enrouler, avec la même dignité, autour du torse de « Jésus arrodillado ». Il s’agit d’une large et longue pièce de soie naturelle fermée de boucles d’argent (4m environ sur 0,75, en 4 plis bien marqués sur sa largeur). Elle est soigneusement conservée dans sa chapelle et n’en sort en procession que le Vendredi Saint. Et la ville fut sauvée par lui. C’était le 31 mars  1809.

J’aimerais mieux dire que c’était le jour de Noël que se déployait ainsi la puissance de magnanimité de notre bon Jésus, mais qu’importent les dates ? C’est lui qui inspire en permanence ce qui ressort de la vraie grandeur. Celle du général ici domine toutes ses victoires. A la hauteur sans doute de la stupeur des hommes d’armes présents. Par ce que nous savons de l’Empereur, il me semble qu’il n’eut pas désavoué.

« Au jour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissant de sainteté ». A nous rendre meilleurs, nous, lointains lecteurs. Pas vrai ?

  Francis Volle, cpcr

11 octobre 2017

 

Un argument qui n’en serait pas un : le « pari » de Pascal

 

 On ne peut rencontrer Blaise Pascal sans évoquer devant lui son fameux « pari » sur l’existence ou la non-existence de Dieu. (Editions Brunschvicg n° 218, etc ; Lafuma, n° 13, etc.)

 Critiqué comme une fausse porte d’apologétique, un calcul indigne, une démonstration qui ne démontre rien, etc., il servira au moins à aiguiser l’intelligence ! Ce serait bien son heure !

Le voici, en survol. « Don Juan, écoutez-moi, car vous n’avez qu’une vie et il faut miser : Dieu existe ou il n’existe pas. Si vous misez « pour », deux alternatives, une pour maintenant, l’autre au moment de la mort. Pour maintenant, il est clair que cela vous imposera une retenue de vos passions – pour la mort, deux alternatives : ou bien il existe et dans ce cas gain infini, ou bien il n’existe pas, et alors avouez que vous n’avez pas perdu grand chose ! Mais si vous misez « contre » et qu’il existe, vous avez tout perdu, maintenant en vivant pour rien et après, n’en parlons pas ! Décidez-vous, car vous êtes embarqué ! De quoi affiner votre regard sur la question ! »

 Commentaire succinct dans  le Pascal de Romano Guardini (Seuil, p. 155-156) : Le tout pourrait se réduire ainsi : Je suis ici, moi, l’homme avec mon jugement : « Dieu existe » ou « Dieu n’existe pas ». Au loin, séparé de moi par le « chaos infini » de l’incommensurabilité, la « réalité objective ». Chacun des deux jugements  a des chances pour et des chances contre lui.

Le croyant gage « pour » ; on ne peut lui en faire reproche, car le pour et le contre sont équivalents au point de vue de leur valeur logique.

Une autre objection serait plus justifiée : l’erreur n’est pas – dira son adversaire – de gager ceci plutôt que cela, mais tout simplement de gager ; c’est à dire de ne pas tirer de cette impossibilité de démonstration rationnelle la conclusion normale, qui serait de refuser toute décision.

Réponse : On n’est pas libre d’éluder toute décision. La vie de l’homme est ainsi faite qu’elle le contraint à prendre parti. Refuser de prendre parti, c’est encore prendre parti : un mauvais parti d’ailleurs, celui qui consiste justement à ne pas prendre part. Ce qui demeure donc libre, ce n’est pas le fait de la décision, c’est uniquement la manière dont on se décidera.

Pascal, s’appuyant sur les règles ordinaires de la probabilité, prouve ensuite qu’en vertu de la nature même des « grandeurs » qui se font face et de ce qui est en jeu, les chances « pour » sont plus favorables que les chances « contre » ; qu’elles sont même, tout compte fait,  comme l’infini par rapport au néant. Il est donc parfaitement raisonnable de dépasser les limites de la raison. Le seul parti raisonnable est de parier « pour ».

Il va de soi qu’il ne saurait être question dans ce qui précède d’une preuve au sens propre du mot. Mais il est clair aussi que nous sommes devant quelque chose de très sérieux.

Et encore, chez J. Mantoy (liasse 12 « Au commencement », p. 75) : « Arrivés au terme de notre analyse de l’une des Pensées les plus célèbres de  Pascal nous devons nous demander quelle importance son auteur entendait finalement lui réserver dans son Apologie.  Très souvent on a considéré ce passage comme une pièce maîtresse de l’argumentation de Pascal. Ce serait sa voie originale vers Dieu, celle à laquelle il tenait le plus. »

Après avoir affirmé cela on s’empresse de dire, avec juste raison, qu’un pari n’est pas une preuve, que Dieu ne se trouve pas démontré mais seulement postulé. Mettant cette voie en regard du prétendu scepticisme de Pascal, on reconnaît qu’il n’est pas d’autre cheminement possible vers Dieu pour qui n’accorde pas de confiance à la raison. Mais cette démarche, poursuit-on, n’est pas valable, d’abord parce que l’extrapolation d’un enjeu fini à un infini est impossible, ensuite et surtout parce que la vie morale ne consiste pas à faire comme si Dieu n’existait pas, comme si l’âme était immortelle, ne consiste pas à faire les gestes extérieurs de la religion, mais à croire en Dieu, à espérer en Lui, à L’aimer, donc à Le regarder réellement et sûrement comme existant.

Ce dont on ne s’est pas suffisamment aperçu, c’est que l’argument de Pascal est situé au « commencement », qu’il n’est pas un plat de résistance mais une entrée. Précisons encore : l’entrée d’un ouvrage d’apologétique. Autrement dit, Pascal se met en face de son adversaire : c’est un libertin, un homme charnel, un dilettante. Des arguments spirituels, pour valables qu’ils soient en eux-mêmes, ne prendraient pas sur un tel homme. Pascal lui présente un argument ad hominem. Puisque le charnel ne songe qu’à se divertir, il faut l’attirer par une analogie avec ces jeux de hasard qui le passionnent. Puisqu’il ne se sert de sa raison que pour supputer ses chances de gagner ou de perdre, c’est à cette raison mathématique qu’on fera appel. Qu’importe que l’argument ait ou non une valeur objective du moment qu’il fait rompre l’impie avec ses habitudes charnelles ! C’est cette conversion morale qu’il faut d’abord obtenir. Ce n’est pas que la purification des mœurs soit la cause de la foi, mais elle en est la condition sine qua non… »

Le 20 avril 2017

 

Par la porte entrouverte

 

« J’ai vu le temple désormais s’ouvrir à tous. Alleluia ! Le Christ revient victorieux, montrant la plaie de son coté. Alleluia ! »

Ce n’est pas petite chose que l’invitation faite à Thomas par Jésus d’introduire une main dans la plaie de son coté (Jn 20, 27). Elle répond sans doute à l’exigence d’un disciple en quête de preuve – réponse  combien condescendante et affectueuse ! – mais elle est surtout permission et invitation à tous les chrétiens d’entrer désormais dans le Temple, un Temple nouveau !

Jésus se donne en effet ce titre en Jn 12, 19 : « Détruisez ce Temple (c’est à dire: « Si vous détruisez ce Temple, etc…), moi, en trois jours je le relèverai » « Il parlait du Temple de son très saint Corps » (Jn 2, 21-22).

Les juifs qui écoutent s’y méprennent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi en trois jours tu le relèverais ! » (Jn 2, 20). Le Temple auquel, eux, se réfèrent est celui d’Hérode, son immense esplanade (de 14 hectares), ses divers parvis de plus en plus réservés (femmes, hommes, prêtres), avec, sous peine de mort, interdiction aux païens de déborder le leur, et surtout son sanctuaire le plus sacré, le Saint des Saints (30 mètres sur 10), accessible au seul Grand-Prêtre, une fois l’an, à la fête de l’Expiation, à reculons, pour y prononcer le Nom ineffable du Dieu d’Israël.

Eh bien, l’accès du Temple de ce Dieu, jusqu’alors si jalousement gardé, est désormais ouvert à tous. Mais… il ne s’agit plus du même ! C’est l’universalité du nouvel Israël qui est ainsi signifiée (1). C’est sa porte d’entrée qui nous est montrée, montrée ouverte, grande ouverte par le geste du Seigneur retirant un pan de son vêtement. Et c’est sa prise de possession par Thomas que nous célébrons en Jn 20, 27.

La plaie du coté s’ouvre elle-même sur le cœur dont on connaît le symbolisme. L’accès au Royaume est clairement indiqué : c’est l’amour de Jésus, véritable entrée de l’arche prophétique (Gn 7, 1).

 

(1) – Selon l’indication des prophètes (Is 66, 18, 21), jusqu’à annoncer l’intention divine de choisir des prêtres même au sein du monde païen. La fin du « monde clos » juif est pareillement indiquée par la déchirure qui se produisit dans le rideau du Temple de Jérusalem au moment de la mort du Seigneur (Mt 27, 51). Ce rideau n’était pas une quelconque étoffe, lui  qui devait masquer le Saint des Saints. Il était fait d’une dizaine de peaux accolées, rigide comme un mur de briques. Ainsi le décrit Vittorio Messori dans son livre Il a souffert sous Ponce Pilate ; haut d’environ 20 mètres et large de 10, d’un tel point que, d’après Flavius Josèphe, pour le porter périodiquement à laver, il fallait des dizaines de prêtres, les seuls autorisés à pénétrer en cet espace.

 

 

Dans la sainte Russie

 

 

   Février 1977. Je suis à Moscou, incognito, à l’intérieur d’un groupe de touristes. L’U.R.S.S. surveille soigneusement tous ses visiteurs. Je cherche par quels interstices introduire quelque chose du Royaume de Jésus en ce glacis. Il m’a déjà été possible de déposer des médailles de la Rue du Bac en quelques points stratégiques, notamment dans le mausolée de Lénine, ce que j’ai raconté en d’autres pages.

   Cette fois, il s’agit d’une conversation avec la guide de notre groupe. Au programme de la journée une visite au Musée des Réalisations Historiques, son étiquette. J’arrive en retard, ce qui justifiera ma demande de dernière heure, d’un retour aux premières salles que j’ai « manquées ». L’intérêt en émergera plus loin. Pour l’instant j’enregistre tout et cherche la « faille » d’entrée. Elle m’est suggérée par l’enthousiasme même de Natacha, moins fine que Olga, sa devancière guide de la veille. Je me dis que son discours doit être plus ou moins fabriqué et j’attends mon heure.

   C’est dans la salle dite « des décembristes » qu’elle arrive. Son nom lui vient des retombées d’une révolte contre le Tsar de la part d’un certain nombre de seigneurs slaves, un mois de décembre du 19° siècle. De la lointaine Sibérie où ils purgeaient leur peine, ils arrivaient à faire passer quelques messages, véhiculés, vaille que vaille, par des supports de misère : morceaux d’écorce, bouts de papier… Les témoignages en étaient exposés sur les étagères. Je demande à Natacha, avec mon idée bien précise en tête, de nous en traduire les mots d’adresse. Venant de l’aristocratie de la sainte Russie, il me semble impossible qu’ils ne comportent pas quelque allusion religieuse. En effet ! Natacha lit ceci, à haute voix : Christos Voskriesse. Précisément ce que j’attendais ! Il s’agit d’une formule valable en permanence dans la sainte Russie de toujours, mais plus encore aux approches de Pâques ou de Noël.  Elle signifie : « Le Christ est ressuscité », et quiconque l’entend y répond, comme il se doit, en proclamant sa propre foi : « Il est vraiment ressuscité ». Ce que je fais, avec un approximatif Vojstinoje Voskriesse !

   En m’entendant, Natacha a sursauté. Je me justifie : I am a catholic priest, « Je suis un prêtre catholique ». « Oh, fait-elle, je vous prenais pour un professeur ! » Quelques instants plus tard on en a terminé avec la visite officielle. C’est alors que je demande à notre guide de vouloir bien me faire connaître les salles du début qui m’ont « échappé », ce à quoi elle se prête volontiers. Et nous voilà seuls, devant des vitrines de fossiles, objets qui permettent une conversation facile sur l’évolution. Natacha me demande ce qu’en enseigne la Bible. Je réponds qu’elle n’exclut que les théories d’inspiration matérialiste.

   Nous avons ainsi « bavardé » quelques instants, avant que Natacha se souvienne de son poste et de sa mission. Et d’interrompre brutalement, craignant sans doute d’avoir trop parlé !

   Oh Lénine !, Oh Staline !, Oh mânes des « décembristes » !

 

Le 7 janvier 2017

 

Réchauffement climatique et gaz à effet de serre 2)

 

 + On parle beaucoup ces temps-ci dans les media et Congrès divers du réchauffement climatique et sur des effets à gaz de serre dont nous serions en bonne part responsables, qu’en pensez-vous, Père Volle ?

- Vous me croyez plus savant que je ne suis, mes amis. Tout mon savoir en ce domaine est tiré de pages qui vous sont sans doute aussi familières qu’à moi…

+ Détrompez-vous, Père, ce sont-là des sujets compliqués. L’abondance des publications d’ailleurs nuit plus qu’elle n’instruit. Pouvons-nous vous en demander une simplification, questions demandes et réponses, selon notre mode de procéder avec vous ?

- Essayons donc.

Le réchauffement d’abord. C’est un constat. Pas à vue d’œil parce que vous auriez grillé cet été durant vos vacances en Espagne, mais à l’étude des données que nous offre la planète. Le soleil qui nous réchauffe tous voit son impact lui revenir en rayons infrarouges après avoir frappé la Terre. Or ce rayonnement est en partie piégé et réémis par une couche de gaz de notre basse atmosphère qui nous renvoie sa chaleur, (nous sommes à 15°C environ sur l’ensemble de la planète), comme le fait une serre pour des plantes. D’où leur nom G.E.S., gaz à effet de serre.

+ Hommage au Créateur ! et ces gaz sont…

- Essentiellement de la vapeur d’eau, des nuages, du protoxyde d’azote, du méthane, de l’ozone, du gaz carbonique = CO2. Si cette couche s’épaissit la chaleur renvoyée s’en augmente pour nous, c’est clair !

+ C’est le cas ?

- Oui ! Il n’est que de  constater pour s’en assurer le recul des glaciers, la fonte croissante des calottes polaires. L’océan se réchauffe et s’en va réveiller, entre autres effets, le méthane stocké dans ses bas fonds ! On constate en même temps qu’il élève son niveau …

+ Vraiment ?

- De quelques 19 cm, depuis un siècle, ai-je lu.

+ Diable !

- Oui, diable ! Et j’ai lu que si on ne prend pas les moyens d’un stoppage immédiat en ce qui nous concerne, ce serait de 50 cm et plus dans un siècle ! Avec les conséquences qu’on devine pour les villes côtières ! Bien plus, on nous menace, combiné à une augmentation de la population, d’une élévation de la température du globe jusqu’à 10°C d’ici à 2150 si rien n’est fait en notre siècle pour diminuer les rejets humains de GES.

+ Ce doit être pour nous faire peur !

- Mais non ! Pas forcément ! La majeure partie des GES est certes d’ordre naturel (cycles solaires, volcans crachant leur feu et leurs poussières), mais nous avons une part non négligeable dans la production des GES en méthane par le biais des déchets, mais surtout en gaz carbonique par l’exploitation des énergies non renouvelables. Il faudrait, pour ne pas arriver à l’augmentation redoutée de 2°C supplémentaires de chaleur par rapport aux 2°C de croissance enregistrés depuis les débuts de l’ère industrielle (1750) et sans ignorer pour autant d’autres causes, il faudrait, paraît-il, laisser sous terre, c’est à dire cesser d’exploiter 80 % des réserves de pétrole – soit un tiers des réserves ! –, la moitié des réserves de gaz… Sinon c’est une sécheresse croissante sur la terre et une catastrophe de sous-alimentation pour plus de la moitié de la population africaine. Alors que ce serait un surcroît d’humidité ailleurs ! Je ne fais que citer, vous le voyez bien…

+ Peut-être, mais on nous raconte tant de choses sous prétexte de science que nous restons dubitatifs. D’autres en profitent pour nous parler de la fin du monde.

- Je n’irai pas jusque là. Vous êtes venus me voir pour savoir ce que je pensais du réchauffement climatique et des gaz à effet de serre et je vous réponds à partir de notes que j’ai rédigées sur lecture et que je sais presque par cœur. Au-delà libre à vous d’admettre ou pas !

+ Ne vous vous fâchez pas, Père Volle, et changeons au besoin le registre. N’y a-t-il pas des enjeux politiques sous les discours entendus ? Les écologistes « Verts » s’en régalent, paraît-il !

- On peut tout politiser ! On peut même faire dire au pape François qu’il a fait le jeu du mondialisme libéral et des calculs intéressés du monde financier avec son encyclique récente Laudate Si.

- Oui, on peut même leur laisser s’annexer un saint François d’Assise pour bien faire ! Là nous sommes dans la poésie. C’est du Pierre Ronsard avec ses « bûcherons criminels ». Il est temps  de rentrer « cultiver notre jardin » !, et de passer pour nous à des choses pratiques :

respecter la nature, les plantes, les animaux, économiser, fermer à temps nos robinets d’eau, de gaz, d’électricité, limiter peut-être des voyages motorisés, être davantage attentifs aux besoins des populations dévalorisées… Au niveau humanitaire, des gestes comme les « opérations bol de riz » dans nos paroisses ont le bon effet de nous réveiller…

Allez, les enfants, il y a pour nous du pain sur la planche, avant d’ajouter lecture à lecture, parlotte à parlotte, sur le sujet.

A une autre fois !

 

Extrait de La Croix, du 5/09/15 :

« Une panoplie de mesures d’adaptation est déjà mise en œuvre ou à l’étude : recherche de variétés de plantes résistantes à la sécheresse ; installations de systèmes  d’alerte et d’abris contre les cyclones et les inondations ; protection de mangroves pour épargner les côtes ; amélioration des techniques d’irrigation ; création de nouvelles pratiques agricoles ; lutte contre les ilôts de chaleur en ville ; construction  d’ouvrages de protection contre les risques de subversion marine, etc. Les solutions techniques auront néanmoins leurs limites. Au-delà d’un certain seuil de température, les dérèglements climatiques seront tels qu’aucune digue ne pourra les contenir.

Enfin, le réchauffement climatique crée une double injustice : il frappe d’abord les pays les plus pauvres, ceux-là mêmes qui y ont le moins contribué et qui ont le moins de moyens  de s’y adapter. »

 

« Nous sommes appelés à être des « arbres de vie » qui absorbent la pollution de l’indifférence et restituent l’oxygène de l ‘amour ».

Pape François, Assise, le 20 sept. 2016

 

En remontant le temps et concentrant l’espace

 

Des milliers de techniciens ont travaillé pendant des années à l’immense chantier d’accélérateurs de particules inauguré récemment dans les sous-sols de la frontière franco-suisse genevoise. Il s’agit de créer les conditions qui permettront de remonter le temps aussi près que possible de celui du big-bang. Pour essayer de retrouver l’état de la création alors. Sinon la main du Créateur lui-même, puisque le transfert mental en question ressort de la philosophie (disons du sens commun !) et non de la science.

L’univers en question concentré en ses premiers éléments ? Les milliards de milliards d’astres qui le composent, la mystérieuse masse noire inaccessible qui en constituerait pourtant l’essentiel (95% ?), l’espace qui l’enveloppe, tout cela réduit quasiment à un point, des milliards d’atomes pour notre seul corps, avec des électrons qui tournent à la vitesse de 500 millions de tours à la seconde, c’est fabuleux.

Vrai pourtant !

« En Dieu est réuni, lié par l’amour en un volume, ce qui s’effeuille sur l’univers. »

Dante, La Divine Comédie

Nous sommes ainsi remontés jusqu’aux feuillets ultimes, jusqu’à la pensée, au Logos qui est Jésus-Christ.

Le 19 septembre 2016

en la fête de Notre-Dame de la Salette

 

Réchauffement climatique et gaz à effet de serre 1)

 

Conférences internationales et publications de tous horizons nous entretiennent en permanence du réchauffement climatique et des gaz à effet de serre. Je résume ici pour nos bienveillants lecteurs ce que j’ai retiré sur ce sujet de différentes pages.

Les rayons du soleil qui atteignent la Terre réchauffent sa surface et sont absorbés à la hauteur des deux tiers par les sols et les océans. Le tiers restant est envoyé sous forme de rayonnement infrarouge vers l’espace, mais se trouve en partie piégé par des couches de gaz : une première couche pour 2/3 (vapeur d’eau et nuages) située à quelques 12 km au-dessus de notre sol, et une deuxième pour 1/3 (qui sont les GES, gaz dits à effet de serre : gaz carbonique = CO2, protoxyde d’azote, ozone, etc) à 15 kms : cette double épaisseur de gaz  renvoie la chaleur vers la Terre et contribue à la réchauffer. Grâce à ce phénomène naturel, appelé effet de serre, la température moyenne de l’air à la surface de la Terre est d’environ +15° C. Sans ce thermostat naturel, la température moyenne serait inférieure d’environ -33° C.

 

Réchauffement climatique.

C’est un constat universel. En preuve, la hausse de la température moyenne sur le globe (de 2 degrés depuis le début de l’ère industrielle (vers 1750), d’un degré environ en France au cours du dernier siècle). En preuve encore, l’élévation  du niveau de la mer (de 19 cm environ entre 1901 et 2010). C’est le résultat de la fonte et du recul des glaciers ainsi que de la réduction de la banquise polaire. En preuve toujours, l’augmentation de la vapeur d’eau présente dans l’atmosphère.

Quelles sont les causes de ce réchauffement ? Les unes sont naturelles, comme les cycles de l’activité solaire ou les effets des poussières émises par l’éruption des volcans. D’autres proviennent des activités humaines qui épaississent la couche des GES. Par elles s’explique la quasi-totalité du 0,7 degré de réchauffement moyen enregistré en surface entre 1905 et 2010, les causes naturelles telle que l’activité solaire ne comptant que pour un 0,1 degré. Le gaz carbonique est de loin le principal responsable de cet effet. Depuis le début de l’ère industrielle à la moitié du XVIIIe siècle, les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont grimpé de 40%, à cause notamment de l’utilisation de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) et, dans une moindre mesure, de la déforestation, les forêts fonctionnant comme des « puits » de carbone qui donc libèrent alors leur contenu. Pour rester à l’intérieur des 2 degrés d’accroissement prévus il faudrait laisser sous terre le tiers des réserves actuelles de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80%  des réserves de charbon.

L’augmentation incontrôlée de l’effet de serre pourrait provoquer, selon les pires prévisions (violents incendies de forêt dus aux sécheresses et réchauffement progressif des océans entraînant la fonte puis la remontée en surface du méthane stocké au fond des mers), une augmentation  de la température du globe jusqu’à 10 degrés en moyenne d’ici à 2150  si rien n’est fait pour diminuer les rejets humains de gaz à effet de serre.

Selon les experts, un réchauffement climatique de 2 degrés (en ajout) menacerait de sous-alimentation plus de la moitié de la population africaine… « Que l’on continue sur notre lancée et le réchauffement moyen à la surface du globe pourrait ainsi atteindre un niveau médian de 4 degrés à la fin du siècle. Un monde où devraient se multiplier et s’aggraver vagues de chaleur, sécheresses, insécurité alimentaire, tensions sur l’eau, risques de submersion et extinction massive des espèces. L’élévation  du niveau des mers pourrait être comprise entre 52 centimètres et quasiment un mètre, menace directe pour de nombreuses populations côtières. Sur la base des travaux scientifiques, la communauté internationale s’est fixée comme objectif de limiter la hausse du thermomètre à 2 degrés en moyenne, seuil au-delà duquel il sera difficile de s’adapter au réchauffement... Le réchauffement climatique crée une double injustice : il frappe d’abord les pays les plus pauvres, ceux-là même qui y ont le moins contribué et qui ont le moins de moyens de s’y adapter. » L.C. 5 oct. 2015

5 septembre 2016

 

La 8ème œuvre de miséricorde

 

Dans une de ses initiatives et formules lapidaires dont il a le génie, notre pape François vient de donner un nom au respect de la nature qui revient si souvent sur ses lèvres depuis son encyclique de l’été 2015. Il l’appelle « la 8ème oeuvre de miséricorde » (corporelle).

On commencera par énumérer les six premières qui correspondent au texte de Mathieu 25, 35-36 : nourrir les affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, loger les sans-logis, vêtir les déguenillés, visiter les malades et les prisonniers. La 7ème, « ensevelir les morts », date du Moyen-Age, suite aux terribles épidémies qui endeuillèrent l’Europe, ainsi la « grande peste » avec son cortège funèbre de quelques 40 millions de morts aux alentours de 1340.  Et donc, avec notre pape, la bénédiction surajoutée est à ceux qui s’emploient à sauvegarder et améliorer la terre, notre « maison commune ». Renvoi répétitif à cet effet à l’encyclique Laudato Si qui en est le programme et dont voici le résumé : gémissement – accusation – louange – récompense.

 

 Gémissement et accusation.

«  La maison commune de nous tous est pillée, dévastée, bafouée impunément. La lâcheté dans sa défense est un péché grave. Nous voyons avec une déception croissante comment des sommets internationaux se succèdent les uns après les autres sans aucun résultat important. Il y a un impératif éthique clair, définitif et urgent d’agir, qui n’est pas accompli. On ne peut pas permettre que certains intérêts – qui sont globaux, mais non universels – s’imposent, soumettent les Etats ainsi que les organisations internationales, et continuent de détruire la création. Je vous demande, au Nom de Dieu, de défendre la Mère Terre. Sur ce thème je me suis exprimé dûment dans l’encyclique Laudato Si » (Discours à des hommes politiques boliviens, 9/7/15)

 

 Louange et récompense.

Ici nous retrouvons l’encyclique elle-même dans son ultime chapitre IX qui s’accompagne de la célèbre prière de saint François en hymne à la Création. C’est une remontée puissante du genre apocalyptique. « A la fin, nous nous retrouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (1 Co.13,12) et nous pourrons lire avec une heureuse admiration le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici que je fais l’univers nouveau » (Apoc. 21, 5). Entre temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette maison, présent qui nous a été confié, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste. Marchons en chantant ! »

 

La 8ème œuvre de miséricorde, cette fois-ci à portée de nos mains, peut se résumer au bon usage des créatures qui nous entourent. A partir notamment des quelques principes suivants :

- Tout ce que tu as est par quelque biais le bien de tous.

- Respecte la vie où qu’elle se trouve.

- Tout homme, image de Dieu, est chose sacrée.

- Si les animaux n’ont pas de droits, toi, tu as des devoirs envers eux.

- Respecte le pain, à la miette près, en honneur des pauvres.

- Economise l’eau : elle manque cruellement ailleurs.

- Ne jette rien qui pourrait encore servir à d’autres.

- Comme un prêtre, fais monter journellement l’action de grâce au Créateur de tout bien.

- Fais cela et tu vivras, tes œuvres de miséricorde plaidant pour ta cause en sa présence.

 

Ainsi vivait Notre Dame en son temps à Nazareth. Qu’elle reste ton modèle incomparable.

 Ave Maria.

 

29 juillet 2016

Saint-Etienne-du-Rouvray

 

Pour  particulièrement atroce que soit le meurtre - par ailleurs directement antichrétien - du Père Hamel, le 26 juillet, l'émotion s'en apaisera vite, car d'autres suivront.  Dans la mesure où ils sont inspirés par Daech, ils ne sont que l'application de sa tactique : faire peur et engendrer un rejet massif de l'Islam en général, avec une réplique violente à la provpcation. A quoi il sera riposté par une mobilisation tous azimuts des musulmans, de ceux notamment  qu'on appelle "modérés", leur réveil donc devant la menace d'un bien commun soi-disant gravement menacé. Dans son numéro du 21 juillet 2016, l'Osservatore Romano publie sur le sujet un article hautement révélateur, "Stratégie de la haine". Il présente cette haine dans un manifeste qui serait comme le Mein Kampf des djihadistes. On y lit : " L'unique véritable obstacle sur la voie de la domination d'Allah sur le monde entier est constitué par les musulmans qui se permettent des faiblesses et qui, en revanche, devraient mener le djihad avec le maximum de force et de violence". Dans la logique de la propagande des fanatiques, frapper une ville occidentale quelconque devient ainsi incisif, car cela engendre un niveau de haine plus élevé... Que faire donc ? Essentiellement ne pas entrer dans l'engrenage puisque cela ferait le jeu de l'ennemi. Dominer sa réaction n'est pas mollesse, comme on pourrait le croire, mais demande au contraire une très grande force morale. Elle ne s'oppose pas, bien sûr, aux mesures pratiques de sécurité et défense qui sont surtout d'ordre politique.

"Dieu créant Adam", Chartres, portail nord, XIIIe siècle

17 mai 2016

Le 7ème jour, Dieu se reposa (Gn 2, 2)

 

Puis-je vous demander, Seigneur très grand et très puissant, de quoi vous vous êtes reposé, le septième jour de votre création ?

Faire de rien la lumière, le firmament, la lune et les étoiles, la terre et la mer, faire les oiseaux, les poissons et tant d’espèces d’animaux, évidemment c’est « de la belle ouvrage », mais pour vous ce n’est pas du travail. Cela ne vous a rien coûté. Cela ne vous a pas fatigué. Alors pourquoi et de quoi vous reposer ?

D’ailleurs, je remarque qu’il n’est pas mention d’un arrêt, dans le livre de la Genèse, entre les œuvres du premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième jour. Vous alliez bon train, plein d’enthousiasme, en pleine forme. Ce n’est qu’à la fin du sixième jour, ce jour fameux où vous avez créé l’homme, que vous marquez le coup. Là, il vous faut vous arrêter et vous reposer. Mais pourquoi donc ?

Serait-ce que vous avez épuisé votre pouvoir dans cette tâche de dernière heure ? On a peine à le croire. Je veux bien que l’homme soit votre chef-d’œuvre. J’observe même que vous avez pris un temps de réflexion avant de vous décider à le créer, comme vous parlant à vous-même à son sujet.

Mais enfin, là encore, vous avez dit et tout a été fait. Et ce ne sont pas vos mains qui ont pétri la glaise pour lui former un corps, car vous n’avez pas de mains. Ni votre bouche qui aurait soufflé dans ses narines pour lui donner une âme, car vous n’avez pas de bouche.

Et de toute façon, ce serait là jeu d’enfant, amusement bien plus que travail. Il n’y a pas de quoi devoir s’en reposer. Même pour nous, Seigneur, à plus forte raison pour vous. Et alors pourquoi cette soudaine fatigue ?

Ca y est ! J’ai trouvé ! Vous venez de créer l’homme à votre image et ressemblance, tellement supérieur aux autres animaux que vous en faites leur roi. Le voilà qui reçoit de vous l’empire sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et toutes les bêtes de la terre. Vous l’établissez comme garde sur le jardin d’Eden. Voilà, vous pouvez être tranquille désormais, vous reposer sur lui de toute la marche du monde, vous reposer.

Mais non, je suis allé trop vite dans ma logique. La suite des événements aurait dû ralentir ce bel optimisme. On sait bien, Seigneur, ce qui est arrivé. Et vous saviez tout le premier ce qui arriverait. Ou de moins vous pouviez le craindre. Non seulement en regardant Adam mais en pensant à ses enfants.

On peut voir à Chartres, dans la cathédrale, votre belle image, vivante ou presque vivante tant elle est belle, dans la pierre. Vous y êtes représenté par le sculpteur inspiré vous prenant la tête dans les mains, soutenant votre tête où l’on devine des préoccupations. « L’homme, espoir et souci de Dieu » ! Ce doit être cela, Seigneur : vous deviniez à l’avance que cet animal-là, cet animal unique et étrange que vous veniez de faire, le seul doué de liberté, celui-là est capable de tout, il va vous en faire voir de toutes les couleurs…

Avec lui, pas question de repos pour vous, hélas ! Bien au contraire, maintenant, vous devrez voir se troubler votre tranquillité et s’interrompre le joyeux passe-temps qu’aurait été pour vous le déploiement d’un univers purement matériel.

Et cependant il est dit dans l’Ecriture, vous dites vous-même, Seigneur, dans le livre sacré,  que vous vous êtes reposé au lendemain du sixième jour, donc après l’apparition de l’homme. Le problème de votre repos serait-il donc insoluble ? Auriez-vous parlé pour ne rien dire ? N’y aurait-il dans le langage de l’auteur inspiré que scénario pour l’institution de la semaine aux sept jours, ou plus finement pour l’institution d’un Sabbat à destination des humains ?

Vous voudriez peut-être nous faire croire que votre tâche est terminée ? Mais, dans cette dernière hypothèse, pourquoi l’Apôtre Paul nous laisse-t-il entendre au contraire que votre repos véritable n’a commencé qu’avec la Rédemption et ne sera plénier qu’avec la totalité de son efficacité, c’est à dire la Parousie ? Autant dire que ce n’est pas demain la veille !

Seigneur, puis-je parler ? donner mon avis, sans prétendre percer vos secrets ni épuiser la matière, tout en conservant d’ailleurs ce qu’ont de valable les solutions antérieures proposées par d’autres ?

Je crois en cela n’être pas tout à fait novateur. Il y a quelque part un Grégoire de Nazianze pour m’ouvrir la voie. Avec lui, je pense à votre infinie miséricorde qui ne sait sur qui se déverser aussi longtemps qu’elle ne découvre pas de misères autour d’elle. Et il n’y en avait pas dans un monde régi par le déterminisme de la matière. Et vous en étiez très malheureux, tout comme est malheureuse une jeune mère dont les seins sont gonflés de lait mais qui est loin de son bébé. Comme elle désire le nourrir ! Comme elle se repose alors dans l’écoulement de sa substance !

Et pour vous, Seigneur, c’est pareil. Votre sagesse, votre puissance, votre bonté même, trouvaient à se déverser sur les moissons, les oiseaux, les serpents... Mais votre pitié, votre indulgence, votre miséricorde, non !

Tout cela était pourtant en vous, et pas pour les chiens ! Vous avez supporté un jour, puis deux, puis quatre ! Vous avez été impatient au cinquième ! Enfin se termina le sixième ! Il s’y voyait un homme debout et libre de ne pas le rester. Il s’y voyait un homme branlant, un homme qui déjà tombait. Et se tendait aussitôt vers lui votre main secourable. Et se tordaient pour lui des entrailles de tendresse.

Alors que Dieu pensait avoir achevé son œuvre, elle ne faisait en ce sens que commencer. Tout en étant repos au superlatif. Et c’est le lignage des pécheurs qui le lui procurait. Dans l’épanchement de ses pardons. Il n’en est plus sorti depuis lors. Heureusement pour la vie du monde...

 

 

 

 

 

Le 7 avril 2016

De la pyramide égyptienne à la pyramide aztèque

 

Dès son accession au Siège de Pierre, et même bien avant, mais d’une façon extrêmement répétitive depuis lors, notre pape François nous apprend à distinguer «  l’Eglise hiérarchique » de la « hiérarchie dans l’Eglise ». Le premier terme regarde le peuple chrétien en son ensemble ;  le deuxième ce qu’on pourrait appeler, avec une certaine dose d’approximation, son « squelette » : les organes de juridiction, doctrine et discipline qui la structurent à un niveau d’autorité. 

L’idée principale d’un tel enseignement vise à faire prendre une meilleure conscience aux baptisés – hiérarques ou pas – qu’ils sont comme la chair du Christ. Tout en relativisant les structures de fonctionnement qui sont à son service. De quoi désapproprier mentalement de leur charge ceux qui éventuellement en auraient fait « leur affaire ». Il n’y a rien de nouveau  là-dedans, témoin par exemple une grande Catherine de Sienne qui élève sa critique jusqu’au Siège romain. Les membres de la Curie, ministres du Pape, sont plus directement dans le collimateur. Notre pape François veut décentraliser, réduire la distance entre l’en-haut et l’en-bas, le sommet et la base, le centre et l’entour, l’échelon des intermédiaires donc moins marqué. Entre une Eglise qui enseigne (Ecclesia docens) et une Eglise qui apprend (Ecclesia discens), il veut une structure d’épaisse liaison, communionnelle, synodale, quelque chose  incluant mais dépassant l’affectif pour une participation plus élargie de l’autorité.

La conjonction de ces divers aspects de l’Ecclesia n’est pas aisée. Le rappel de la constitution de l’Eglise primitive, fondée sur les douze Apôtres, n’y suffit pas puisque leur collège a un sommet, Pierre. La vision d’ensemble, c’est le corps mystique de Jésus avec Jésus pour tête et Pierre son vicaire sur terre. Cum Petro et sub Petro, l’avec (cum) et le sous (sub). Le modèle synodal de l’orthodoxie fournissant des lumières sans nous départir de notre vision spécifique catholique. Il y a un sommet personnel, individuel, source d’une juridiction globale, chez nous. Dans son effort œcuménique le pape François dépasse parfois les initiatives de ses prédécesseurs au point d’agacer  à l’occasion les Grecs catholiques – les uniates – qui lui rappellent qu’ils ont payé le prix du sang pour rester fidèles au Siège romain.

N’y suffit pas non plus l’idéal du service qui doit inspirer chaque membre d’un tel corps... Il peut bien utiliser, pour en souligner l’importance, son image d’une pyramide inversée, la base devenant sommet (Jésus lavant les pieds à ses disciples), la vision de la verticalité structurelle s’impose toujours. Le « flair » des bonnes voies qui serait un apanage de l’ensemble des fidèles réunis en troupeau, idée si chère à notre pape François, ne la remplace pas. « Le service lui-même n’est jamais idéologique, puisqu’il ne sert pas des idées mais des personnes. »

En connexion des diverses structures en cause, d’aucuns proposent maintenant une maintenance pyramidale d’un modèle différent de celui qui nous servait jusqu’ici pour présenter graphiquement notre Eglise : à savoir une pyramide, non plus à la manière égyptienne mais à la manière aztèque, verticalité pleinement maintenue, avec un sommet unifié, mais coupée dans sa hauteur, avec des plateformes de communication et sollicitude partagée aux étages.

« Le passage à la pyramide aztèque est un acquis indéniable de ces dernières décennies sous l’effet du renouveau ecclésiologique du XXe siècle, de la doctrine conciliaire et surtout des pratiques ecclésiales sur le terrain.  Entre pape et évêques, autorité primatiale et autorité collégiale sont appelées à se croiser et, si je peux dire, à se féconder. » (Stéphane Bauzon, dans le Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne.)

Et par dessus tout, vivifiant les conditionnements de service comme ceux d’autorité, la charité (1 Co.13,13), parfum de Jésus-Christ, encens de prière. 

Le 1er mars 2016

Il y eut un soir, il y eut un matin

 

Il y eut un soir, un soir de nuit profonde. Les ténèbres couvraient la face de la terre, et l’esprit de Dieu se mouvait sur les eaux. Mais ce n’était pas le soir de création. Et le cri qui traversa l’espace n’était pas la voix de Yavhé appelant à l’être ce qui n’était pas, informant et meublant l’abîme. C’était le soir d’un vendredi qui avait vu le soleil se coucher derrière le Mont Calvaire. C’était la mort de Dieu en croix.

Puis il y eut un matin, le sabbat terminé, le sabbat respecté, respecté par son auteur même. Il y eut un matin qui vit et fit jaillir la lumière. C’était bien autre chose encore que l’éblouissement succédant aux trois premiers jours de création. C’était le monde entier devenu lumineux, terre des hommes faite étoile, d’astre mort qu’elle était. Dieu ressuscitant en Jésus-Christ et avec lui toute son œuvre qui reprenait sens.

Il y eut un soir, il y eut un matin. C’était Pâque, le passage du Seigneur. Et ce n’était pas seulement bon, c’était très bon. C’était, pour les fils d’Adam, la porte débloquée d’un jardin d’opulence, celle de l’intimité avec leur Père, qui leur était fermée depuis la faute originelle. C’était Yavhé Dieu visitant ce lieu dévasté à la brise du jour et y rappelant tendrement l’homme : « Adam, où es-tu ? Mais viens donc ! »

Jésus a dit « bonsoir » à son Père lorsqu’il mourait en croix. Il l’a dit en d’autres termes mais c’est bien de cela qu’il s’agissait : « Bonsoir et bonne nuit ! ». C’est le mot des enfants à leurs parents avant d’aller dormir, mot qu’un baiser accompagne.

Jésus disait « bonsoir » en remettant son âme entre les mains du Père, comme on s’abandonne à l’amour. Et un baiser scellait le consummatum est : « Tu es mon Fils bien aimé, en toi toutes mes complaisances. »

Jésus disait « bonsoir » à son Père et aux hommes, à ceux-là même par qui il mourait, car il mourait pour eux, donc dans la tendresse. Et parce que c’était bon pour eux, une solution porteuse de salut, les hommes en l’acceptant disaient aussi «  bonsoir ». Vendredi-Saint, the good Friday. Le soir de ce Vendredi-Saint c’est the good evening, bon et très bon : « Par ta passion qui nous sauve… »

Il y eut un soir, il y eut un matin.  C’était le troisième jour, avant même que ne se levât le soleil. Aux premières lueurs de l’aube quelqu’un sortit du sommeil, souleva son oreiller de pierre et cria d’une voix forte : « Bonjour ! » C’étai le même Jésus, dans l’exultation de sa victoire. Peut-être l’avait-il déjà balbutié l’avant-veille car la victoire en question dès alors lui fut acquise, mais la voix intérieure était couverte par l’effrayante proclamation des lèvres : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » La prière se perdait-elle dans la nuit, dans la nuit, dans la nuit ?  Mais non, elle engendrait déjà sa réponse. Le son est lent à venir mais le voici ce matin dans la résurrection. C’est le bonjour du Père au Fils comme du Fils au Père : «  Aujourd’hui je t’ai engendré – Aujourd’hui je retourne à toi. »

Ce matin, comme le soir d’avant et plus encore, fut très bon pour les hommes. « Bonjour ! » reprennent-ils en chœur depuis le jour du Christ. Ils ne disent même plus que cela : « bon jour », tant la lumière abonde maintenant. Le soleil ne se couchera plus. Ce ne sera plus que « le » jour, le jour où l’on est bien. C’est déjà le monde de l’Apocalypse, dans lequel il n’est plus besoin d’éclairage extérieur, l’Agneau suffisant à illuminer la Cité. 

Il y eut un soir, il y eut un matin.  Tout comme il y avait un temps pour déchirer et un temps pour coudre, un temps pour lancer des pierres et un temps pour en ramasser, un temps pour la guerre et un temps pour la paix, un temps pour se quereller et un temps pour s’embrasser. Mais puisque l’ancien monde s’en est allé, il n’y a plus de soir désormais. Il n’y a plus que le jour. Et ce jour, c’est dimanche. « Le christianisme, c’est la religion du jour du Seigneur, dominica, le dimanche. » (Saint Ignace d’Antioche, lettre aux Magnésiens) Et le dimanche c’est la fête. Elle est affichée en permanence. Quoi qu’il arrive. Avec le Christ sont sorties du tombeau la joie et l’espérance. A jamais. Alleluia !

 

Le 8 février 2016

Autour d’un grave malentendu

(Homélie du 4° dimanche du temps ordinaire )

 

La page d’Evangile qui rapporte le rejet brutal de Jésus par ses concitoyens (Lc.4,16-30) laisse entendre un terrible malentendu de leur part. Après l’avoir si bien reçu dans son retour au village natal, ils sont sur le point de l’assassiner et ce n’est que par miracle qu’il s’échappe de leurs mains.

Mais qu’a-t-il bien pu dire ou faire pour qu’on en arrive là ? Son prêche à la synagogue ? Mais ce n’est que le commentaire « banal » d’un texte d’Isaïe qui est bien connu de ses auditeurs, un programme d’Année jubilaire comme celui que nous avons présentement, sur la Miséricorde divine, dans notre Eglise, avec son contenu d’œuvres humanitaires traditionnel. Il faut donc chercher ailleurs.

Il n’a pas voulu faire des miracles ? Ce ne sera pas tout à fait cela puisqu’il en a opéré. « Pas beaucoup », mais quelques-uns (Mc.6,5), et cela suffit pour devoir chercher ailleurs la solution à notre problème. Sans qu’y suffise l’évocation de miracles réalisés par Elie ou par Elisée, hors de chez eux, car… ils en ont fait aussi en Israël. Et de taille ! On dirait que Jésus – qui le sait bien ! – veut couper court.

Retrouvons le contexte. L’écho du témoignage solennel de Jean-Baptiste en sa faveur, ses propres œuvres sur les bords du Jourdain, à Capharnaüm, Cana, et ailleurs, cet écho est remonté à Nazareth. Et y fait germer l’idée d’un profit pour ses habitants. Cela n’a rien de bien étrange ; la commercialisation des apparitions, des miracles, vrais ou prétendus, est chose courante. Il n’est qu’à voir les « marchands du Temple » installés un peu partout où le merveilleux est affirmé. Ne pas aller trop loin cependant dans la critique puisqu’il est bien normal aux pèlerins de vouloir emporter ou envoyer quelque souvenir de leur voyage. Que d’aucuns profitent de leur piété non seulement pour gagner leur vie mais pour en faire une exploitation, c’est une autre affaire !

Or c’est bien peut-être d’une semblable exploitation qu’il s’agit dans les perspectives des concitoyens de Jésus. On pourrait par exemple les imaginer discuter entre eux (Siméon, Issachar, Ruben, Jacob, et tous les copains) avant d’accueillir leur illustre ami  : On va lui proposer d’installer sur  la route une pancarte : « Nazareth, la ville de Jésus, le guérisseur ». Ca fera venir du monde. Des visiteurs de marque. Des sous. Du travail pour nos garçons. Des mariages rupins pour nos filles. On aménagera un super-marché. Des buvettes. Une hôtellerie. Des hangars. Une agence de voyages…

N’importe quoi… pour expliquer ce qui va suivre, c’est à dire le refus brutal de Jésus d’entrer dans leur jeu. En amplifiant les réactions puisque nous sommes en Orient. En supposant un étalement de plusieurs jours dans l’événement (les évangélistes concentrent).

En résumé la réponse de Jésus à de telles propositions : « Il n’en est pas question !  Mon Royaume n’est pas de cet ordre. Mes valeurs ne sont pas les vôtres. Je ne suis  pas le fondateur d’une O.N.G. (langage moderne !) ... »

Ce n’est pas difficile à développer. Pas plus que l’énervement, puis la colère, l’exaspération, des coups, des injures, l’interposition peut-être maladroite de quelques disciples (ils sont mentionnés en Mc. 6,1 ) - « De quoi, de quoi ! », « Tu rigoles ! », etc.

Ca dégénère. Jusqu’au bord du précipice.

Heureusement que Joseph n’est plus là ! Mais Marie, elle, est là, impuissante, douloureuse. Prévoyant un avenir encore plus sinistre.

Les concitoyens de Jésus n’en démordront pas. Plus tard nous les retrouvons essayant de s’emparer à nouveau de Jésus, cette fois pour le faire enfermer comme fou (Mc.3,21).

Nous avons là une merveilleuse synthèse de ce qu’est et ce que n’est pas le Royaume de Jésus. Et qu’on pardonne la part peut-être excessive d’imagination !

 

Le 4 janvier 2016

Le Bon Berger

 

Cette peinture est maintenant universellement connue qui veut donner intelligence à l’Année de la Miséricorde telle que le pape François l’a proclamée à Rome, le 8 décembre dernier. C’est l’image du Bon Pasteur portant tendrement sur ses épaules la brebis enfuie, poursuivie et rattrapée. Habilement disposés, les yeux se regardent.

En prolongement de ce sujet le commentaire de la parabole évangélique.

Une brebis s’est échappée. Echappée du bercail. Dommage ! Plus que dommage, malheur ! Malheur pour elle plus encore que pour le berger car elle n’avait sa vie assurée que par lui. Loin et seule elle mourra. Elle en mourra. Cette brebis s’appelle Adam, c’est l’homme, c’est l’humanité. Elle s’est échappée depuis les jours d’Eden, et poursuit sa fugue. Ce sont les fils d’hommes assoiffés d’indépendance, avides de bonheur, mais d’un bonheur qu’ils ne devraient qu’à eux-mêmes, voies et mode d’emploi inclusivement.

Mais une telle autonomie ne convient pas à une créature, même dotée de liberté, celle-ci étant choix entre diverses sujétions et non leur exemption totale. Le bon choix ne fut pas celui du jardin de la Genèse. C’est pourquoi le malheur fut trouvé assis à ses sorties, compagnon de route désormais pour le fugitif, pour Adam pécheur et ses enfants de révolte. Nous écrivons au présent l’histoire de ce drame dans les faits sanglants dont les mass-media nous fournissent journellement des échantillons.

Heureusement, le berger veille. Il connaît par leur nom chacune de ses brebis et il les aime. Lorsque Adam a pris la fuite, ses enfants dans les reins, il ne se savait pas suivi, bien mieux poursuivi. Un regard de Dieu était pourtant attaché à ses pas. Un Dieu à l’affût pour chaque homme attendant le moment propice, propice non pour châtier mais pour sauver. Cherchant le point faible par où inoculer le désir du retour. Tant qu’il fait jour, de la première seconde à la  vingt-quatrième heure. Et multipliant les efforts sans se lasser.

 Ce monde étalé des hommes est en permanence atteint par l’appel. Avec des réponses diversifiées de la part de chacun d’eux, et se diversifiant dans le cours d’une seule vie. Avec des retours succédant à des fuites, des fuites à des retours, mais enfin une remontée de « oui » à la grâce. C’est l’œuvre du berger qui veut conserver son bercail. C’est le berger qui veut le bonheur des siens, un vrai bonheur, en des pâturages non frelatés. Le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, le mensonge et la vérité, le laid et le beau co-existent et se mêlent dans le monde, mais le négatif n’aura jamais le dernier mot. C’est pourquoi le malheur n’est pas seul à remplir les pages de nos nouvelles. Il y a un endroit du monde comme il y a un envers. Et c’est merveilleux, d’une part que la lumière luise dans les ténèbres, d’autre part que celles-ci ne puissent l’arrêter !

L’Année Liturgique nous retrace l’odyssée du Berger dans sa recherche, de colline en colline, de Noël à Pâques jusqu’à l’Ascension. C’est ce jour-là que, sur ses robustes épaules, il introduira la précieuse brebis, nature humaine, dans le bercail d’éternité.

16 novembre 2015

Aux  pieds du Christ-Roi

 

- Tiens vous revoilà ! Bienvenue !

+ Merci de nous recevoir avec tant de bienveillance, cher Père ! Vous devez vous lasser à la longue !

- Mais pas du tout ! Qu’est-ce qui vous arrive aujourd’hui ?

+ Nous sommes un peu troublés par les façons de faire de notre nouveau curé.

- Ah bon ! Qu’est-ce qu’il a fait ?

+ A peine arrivé dans notre paroisse, il a voulu ôter de l’église un tableau du Christ-Roi qu’on aimait.

- A peine arrivé ? C’est un prêtre jeune ?

+ Oui, et dans son premier poste.

- Autant de circonstances atténuantes ; tellement c’est courant dans tout remplacement d’introduire quelque nouveauté. Pas forcément en pensant faire mieux que son prédécesseur, mais parce que tout homme a son style propre. Peut-être y a-t-il mis quelque empressement dans votre cas, mais ce sera bénin, j’espère ! Vous-vous souvenez du curé qui remplaça don Camillo et se permit de déplacer des chandeliers de l’autel ? Et de l’indignation de Pepone devant l’outrage à la mémoire de son adversaire bien-aimé ? Cela nous fait bien rire aujourd’hui, tout comme riaient les spectateurs dans la comédie de Boileau avec son lutrin (1) !

+ C’est plus sérieux dans notre cas ; il s’agit d’un tableau qu’on avait toujours aimé dans notre église et qu’il a voulu enlever. C’est un Christ en majesté, vêtu d’apparat à la façon orientale, avec ses attributs classiques : couronne, sceptre, globe du monde, étole…

- Votre nouveau pasteur vous a sans doute expliqué les raisons de son geste, non ?

+ Oui ; il dit que ce style de présentation du Christ ne correspond pas à la sensibilité actuelle ; qu’on lui préfère un Christ d’humilité et de service.

- Celui de la Passion ? Quand les soldats se riaient de lui, une chlamyde écarlate sur le dos et un roseau en main ? « Tu te dis roi ? Eh bien voilà pour toi ! » 

+ Non, pas du tout ! Celui qu’il dit devoir être  préféré en pastorale moderne c’est celui du lavement des pieds des Apôtres, tel qu’on le trouve en saint Jean. Il nous l’a assez répété : « Vous m’appelez Maître et Seigneur et c’est vrai. C’est pourquoi j’en agis ainsi avec vous ». Autant dire : « Ma royauté est de cet ordre, et pas différente ».

- C’est soutenable comme préférence mais pas en exclusive, il s’en faut ! J’entends d’ailleurs autrement le texte cité (Jn.13,14).

+ A savoir ?

- « Vous m’appelez Maître et Seigneur et c’est vrai ; et pourtant… » Vous voyez la différence : d’un coté le contenu et donc la nature du Royaume de Jésus ; de l’autre un contraste qui suppose l’abaissement à partir de la grandeur. L’accentuation est très différente. Du « et donc » au « quoique ». Encore qu’on puisse retenir aussi  la première interprétation. Au titre de la sensibilité affirmée, mais guère plus ! L‘abaissement suppose d’ailleurs un autre niveau, de départ ou d’accompagnement. Quand saint Paul, dans sa Lettre aux Philippiens, enseigne  l’attitude du Christ dans l’œuvre de Rédemption c’est pour dire l’immense amour de sa condescendance, nous invitant à l’imiter en humilité et service. Elle implique sa divinité : « Il n’a pas voulu la retenir comme une rapine, c’est à dire injustement  C’est en quoi il s’est abaissé jusqu’à  une sorte d’anéantissement ». La suite du texte cité n’est d’ailleurs qu’une récompense d’exaltation pour une telle attitude. La même plume développe cette glorification et ses conséquences dans les deux épîtres de même contexte : aux Ephésiens et aux Colossiens.

Vous voyez donc que le versant humilité dans l’Incarnation ne saurait enterrer l’autre de grandeur. C’est vrai pourtant que dans sa vie publique, sans parler de sa vie cachée à Nazareth, Jésus ne s’est montré majestueux que lors de la Transfiguration et de l’Ascension. Mais cela suffirait pour ne point vouloir pour lui d’un Royaume amputé. Toute réalité étant complexe, on se doit d’insinuer au moins le versant que l’on ne veut pas développer, l’exception dans la loi et vice versa. On ne peut baiser un pied sans l’autre, comme disait saint Bernard. Du moins que ce soit l’un après l’autre ! Et « il ne faut pas exorciser l’œil droit en même temps qu’on crève l’œil gauche » (une trouvaille de Marie Noël).

S’attarder différemment, ça c’est correct. Ainsi, la main des Christs romans à large paume pour imaginer la miséricorde, et deux longs doigts pour la justice. « Toutes les choses vont par deux en vis a vis… Une chose souligne l’excellence de l’autre », a écrit Ben Sirac le Sage (42, 24-25)…

 Les choses sont moins définies ou tranchées quand on passe de la théorie à la pratique ; il n’est guère possible en effet dans le feu de l’action de maintenir l’équilibre souhaitable. Saint Bernard, le Docteur dit melliflu cité tout à l’heure, était bien coléreux le jour où il fit condamner par un concile son adversaire Abélard (2). Et pareillement dans son opposition à ce qu’il appelait faste excessif d’architecture ou de musique dans l’abbaye concurrente de Cluny. L’on y disait : « Rien n’est trop beau pour Dieu », mais Bernard répliquait que « Rien n’est assez pauvre pour l’Evangile ». En ces occasions notre Docteur, « tout miel » de réputation, ne se souciait pourtant guère du second pied à baiser ! C’est qu’il n’est pas donné à d’autres qu’à saint François de Sales de « regarder avec bonté de l’oeil droit celui qui vient de vous arracher l’oeil gauche » ! Ajoutons que pousser un coup de gueule – par définition sans nuance – peut avoir une utilité de réveil ou d’équilibrage, puis on reprend le ton normal. « Les choses ne commencent que par les extrêmes, dans l’outrance souvent, mais ne se durent que dans la modération. »

Mais je me suis quelque peu écarté de votre question.

Pardonnez moi donc d’avoir fait le rhéteur et revenons chez vous, sur le geste contesté de votre nouveau curé. Où a-t-il placé le tableau pour lui indésirable ?

+ Pour l’instant  à la sacristie, sans autre destination précise.

- Ce serait triste s’il s’agissait de le remiser. Vous pourriez peut-être lui suggérer la tribune de votre église, non ? en tout cas quelque part en bonne place. Le contraste en lui-même est théologique, instructif, voire esthétique. Pourvu qu’il ne soit perçu comme une provocation, évidemment ! Voyez le tableau de Grunewald  à Issenheim sur l’Incarnation : en haut la riche ténèbre où habite le Dieu « inaccessible », en bas, près du berceau, un pot de chambre ! Je vous renvoie aussi à la riche toile de saint Nicolas de Flue avec le résumé tant des principaux mystères évangéliques que des béatitudes et des œuvres de miséricorde…

 Evitez la polémique en votre affaire qui, au fond, n’est pas grave.. A-t-on trouvé quelque chose de remplacement au goût de votre curé ? Dans le numéro de Pâques 2015 de la revue Magnificat il y avait, en couverture, une reproduction qui pourrait faire son affaire et serait facile à monter en poster. Simple suggestion. A supposer que le remplacement ne soit pas déjà effectué ?

+  Non, la paroi est encore vierge.

- Vous avez donc la possibilité de donner votre avis. Dites-moi la prochaine fois le résultat de votre  petite querelle du moment.

+ D’accord ! A bientôt donc…

 

(1) Il s’agit d’une dispute entre le trésorier et le chantre d’une église à propos de cet objet de culte. Pour ce qui est de don Camillo et Pepone tout le monde a lu le best-seller de Guareschi « Le petit monde de don Camillo » .

(2) Philosophe scolastique, aux idées quelque peu fumeuses – et aux amours qui ne l’étaient pas moins avec Héloïse.

Le 9 octobre 2015

Une lettre poignante

 

Je suis dans le train et me prépare à en descendre. Une jeune fille, voisine de compartiment mais que je n’avais remarquée jusqu’alors, me tend le billet que je reproduis ci-dessous, sans autre commentaire qu’un renvoi à la bonté de Dieu. Si opportun en cette année jubilaire dite « de la miséricorde ».

 

« Mon Père,

Voici plusieurs minutes que je suis assise près de vous et vous lisez quelques pages de votre journal. J’ai reçu comme un électrochoc en vous voyant : « J’allais m’asseoir près d’un homme de Dieu ».

J’aimerais tant vous aborder, vous demander de dire une dizaine de chapelet avec moi ; qui prie si peu depuis des mois et de mois, depuis que j’aime et que je fréquente un homme marié. J’aimerais tant me confesser à vous, demander pardon ; j’aimerais tant que vous m’aidiez,  que vous me parliez de ce Dieu d’Amour dont je me suis éloignée depuis tant de temps. Je me sens tellement coupable, tellement mal ; je voudrais tant que ma vie soit belle…

Alors, bien sûr, il y a, dans l’Evangile de ce matin, la femme adultère qui m’a un peu réchauffé le cœur, mais que c’est dur d’être dans le péché et de ne pas avoir assez de force pour s’en défaire.

Puis-je vous demander quelque chose dans le secret de nos cœurs ? En ces  prochaines semaines qui préparent Noël, pouvez-vous prier pour moi, pour que je trouve la force d’aller me confesser ? Ce serait tellement important que je fasse cette démarche pour le Seigneur.

Mon prénom est Céline.

Fraternellement. Céline »

4 septembre 2015

Ces animaux qui nous questionnent

 

+ Père Volle, lors de notre dernière rencontre du Cercle, l’un de nos amis nous est venu avec un gros livre duquel il extirpa, comme qui tire un lapin d’un chapeau, une phrase qui était bien à même de nous rendre perplexes avec lui.

- Voyons ce livre ?... Du Père Descouvemont ? Oh, alors, ce sera du solide, avec sa réputation de savant ! Voyons ce passage qui vous intéresse !

+ C’est souligné !...Voilà, voilà ! : «  A chaque seconde naissent par milliards dans le monde de nouveaux êtres vivants. D’où viennent leurs âmes ? Sans l’existence d’un Dieu créateur faisant perpétuellement surgir du néant toutes ces âmes, l’existence de ces nouveaux êtres vivants est proprement incompréhensible ». Qu’en pensez-vous, Père Volle ?

- Si c’est exact, j’en suis émerveillé. En plus de la visée apologétique exploitée par l’auteur. Simplement par la profusion de vies que  cela suppose. Avec ça, nous remontons à la richesse fabuleuse de l’univers, à la grandeur de son Créateur, donc.

+ Voir des âmes partout ne vous choquerait donc pas  ?

- Le terme est réservé « par l’usage » au monde des hommes, mais il est clair que tout ce qui est « animé », par définition, le mérite, qu’il s’agisse de végétaux ou d’animaux « organiques ».

+ Jusqu’à la moindre mousse ou le moindre vermisseau ?

- Et plus petit encore ! Ce qui me choquerait plutôt dans la vision du père Descouvemont, c’est qu’on peut étendre sa vision à toute nouveauté, vivante ou non, matérielle ou non. On pourrait dire ainsi qu’à chaque seconde naissent – = se mettent à exister –, des milliards et milliards de « choses », jusqu’aux moindres particules du temps lui-même. Il sera bien « chose » lui aussi puisqu’il  mesure le mouvement. Mouvement à entendre au sens très large  d’une succession, autant celle d’idées ou d’images dans notre tête que celle de nos pas sur la croûte terrestre. Et renvoyant dans le passé tout ce qui fut inscrit dans le temps ou dans l’espace. Per omnia saecula saeculorum…

+ Père, l’éternité, c’est quoi ?

- Je ne sais pas ! Il vous faudra le demander au Père Descouvemont ! Un au-delà du temps ? Un non-temps ? Un point ? L’immobilité ? L’infini ?

+ Ca donne le tournis  

- Oui, avec un risque de panthéisme.

+ Père, vous nous avez fait monter trop haut. Nous aimerions nous restreindre aux deux seules questions que se sont posées les amis du Cercle en écoutant la phrase citée : «1° : les animaux (couramment appelés tels) ont-ils une âme immortelle ? 2° : Si oui, peut-on les imaginer en Paradis ? 

- Avec cela nous retombons sur terre, en effet. Du moins nous reprenons les choses à notre niveau commun.

   Une grand-mère à qui je disais qu’il n’y avait pas d’animaux en Paradis (c’est à dire son chat ou ses serins !) m’en a voulu beaucoup ; du coup, je mesure davantage l’effet  possible  de mes paroles. « Eh, bien, Madame, puisque vous aimeriez les avoir avec vous en Paradis, je réponds pourquoi pas ? », tout en me demandant à part-moi : « Qu’est-ce qu’ils y feraient ? »  D’autant que j’ai besoin moi-même d’un éclairage supplémentaire sur la question ; l’hymne massive de glorification en Jésus, selon saint Paul, de toutes les créatures (lettre aux Colossiens surtout) ; notre Mère Eglise qui a des bénédictions pour les animaux en même temps, voire en relief à leur endroit, plus que pour les fruits de la terre ; le cheminement conjoint des hommes et des animaux à travers tant de textes inspirés (du « Cantique des trois enfants dans la fournaise » aux accents emphatiques de l’encyclique du pape François Laudato si, tout cela exige une revalorisation des animaux, même aux yeux de ceux qui ne croient pas à leur immortalité (j’en suis !). J’ai relevé en son temps une petite phrase de la plume, exigeante, comme on le sait, du pape Paul VI : « Les animaux sont la partie la plus petite de la création de Dieu mais, un jour, nous les reverrons dans le mystère du Christ ». Et du non moins rigoureux Jean-Paul II : « Les animaux ont aussi une respiration, un souffle vital qu’ils ont reçu de Dieu ».

+ C’est quoi la mort pour eux ?

- Pas facile à expliquer. On voit se dessécher les  plantes et mourir les animaux comme peut-être disparaît un sourire sur les lèvres. A la différence de ce qui a lieu pour les humains dont l’âme a une substance propre douée de liberté, responsable,  capable d’amour, destinée pour cela à l’éternité. Avec besoin d’un support sans en être entièrement dépendante. Pas « entièrement » puisque restant humaine, et même personnelle. C’est un « moi » tout entier qui subsiste en Dieu. La mort pour nous n’est pas la mort. C’est une séparation momentanée.

+  Vous ne croyez pas, Père Volle, à la transmigration des âmes d’un corps à un autre ?

- A la métempsycose, vous voulez dire ? Bien sûr que non !  Ce serait la négation de tout ce que nous venons de dire. Comme il est étrange et dommageable que ce soit pourtant la croyance d’une grande partie de l’humanité. Jésus nous a enseigné autre chose ! Quel bonheur !

+ Depuis quand y a-t-il des hommes sur terre ?

- Quelques 150.000 ans, paraît-t-il.

+ Et avant ?

- Dieu orientait son œuvre vers l’Incarnation et la Rédemption. En attendant l’homme, il pouvait se complaire dans le rayonnement de sa Sagesse. Et les anges de battre des mains ! 

+ Dites-nous encore comment un chrétien  doit voir le temps.

- Comme un encadrement de notre activité. Chaque seconde mérite un Gloria Patri. C’est le support de notre louange. Le temps s’en égrène, espérant de nous une remontée, au moins implicite. Faute de quoi, nous le lui volons ! A remarquer qu’après des efforts d’attention au départ, cela devient spontané, comme une deuxième nature. Le Cœur du Christ qui en était empli de façon  permanente, récapitulant en lui tous les temps, sera notre richesse…

+ Avec le temps dans notre tête, l’espace ?

- C’est un autre encadrement, celui de l’immense univers (des milliards de galaxies comme notre Voie Lactée, chacune avec des milliards d’étoiles plus grandes que notre soleil, univers issu de la bulle née du Big Bang, il y a 13,8 milliards d’années), qui se déploie à une vitesse supérieure à celle de la lumière et en expansion accélérée. Des milliards de milliards de milliards d’années-lumière, sans qu’on voie comment ça puisse s’arrêter ! Et, à coté de l’infiniment grand, l’infiniment petit, si l’on pense que dans le moindre grain de poussière il y a des milliards de rosaces, comme autant de petits soleils !

 + Ca nous donne le tournis ! 

- A moi aussi !

+ Merci, Père ! Nous venions vous questionner sur les animaux, et vous en avez rajouté !

- C’est vous ! Vous avez commencé avec un livre du Père Descouvemont, tachez de  rencontrer l’auteur lui-même, à Paray-le-Monial, par exemple, où il se produit parfois. Je le sais d’un abord facile… Et chapeau pour vos soucis philosophiques ! Ce n’est pas si courant à votre âge 

 

Comme une émeraude est verte…

Simone Weil, Lettres d’Amérique

« Dieu établit avec ses amis un langage conventionnel. Chaque événement de la vie est un mot de ce langage. Le sens commun à tous ces mots, c’est « Je t’aime. » Je bois un verre d’eau. L’eau est le « Je t’aime » de Dieu. Je reste deux jours dans le désert sans y trouver à boire. Le dessèchement de la gorge est le « Je t’aime » de Dieu. Dieu est comme une femme importune collée à son amant et lui disant tout bas dans l’oreille, pendant des heures, sans s’arrêter : « Je t’aime – Je t’aime – Je t’aime et je t’aime… » Dieu n’a pas de mots pour dire à sa créature : « Je te hais. » Il aime, non pas comme j’aime, mais comme une émeraude est verte. Il est « J’aime » Et moi aussi, si j’étais dans l’état de perfection, j’aimerais comme une émeraude est verte. »

 

Le 1er août 2015

Une page provocatrice de Jean-Jacques Rousseau

 

+ Nous sommes restés perplexes, Père Volle, après avoir lu la page de Jean-Jacques Rousseau, qu’un ami  a apporté à notre Cercle. Nous l’avons avec nous et vous la laisserons. En deux mots, il discrédite le christianisme : ce ne serait que racontars transmis de bouche à oreille et s’enjolivant au cours des siècles.

 - Eh bien, puisque c’est court, je la lis tout de suite et nous la commenterons ensemble. Faites voir …

 

(Suit le dialogue de Jean-Jacques avec son interlocuteur supposé) :

«  Dieu lui-même a parlé, Monsieur, écoutez sa révélation.

- Dieu a parlé ! Voilà un bien grand mot. Et à qui a-t-il parlé ?

- Il a parlé aux hommes.

- Pourquoi donc n’en ai-je rien entendu ?

- Il a chargé d’autres hommes de vous rendre sa parole.

- J’entends ! Ce sont des hommes qui vont me dire ce que Dieu a dit. J’aimerais mieux avoir entendu Dieu lui-même ; il ne lui en aurait pas coûté davantage, et j’aurais été à l’abri de la  séduction.

- Il vous en garantit en manifestant la mission de ses envoyés.

- Comment cela ?

- Par des prodiges.

- Et où sont ces prodiges ?                                                                                      

- Dans les livres.

- Et qui a fait ces livres ? Sont-ils écrits uniquement dans des livres ? Et, dis-moi, s’il te plaît, qui a écrit ces livres ?

- Des hommes.

- Et qui a vu ces prodiges ?

- Des hommes qui les attestent.

- Quoi ! Toujours des témoignages humains ! Toujours des hommes qui me rapportent ce que d’autres hommes ont rapporté ! Que d’hommes entre Dieu et moi ! »

(Fin de lecture)

 

 + Eh bien Père Volle, qu’en pensez-vous ?

- Que c’est très intéressant !

+ Ah bon !

- Mais oui, très intéressant, en tant que provocation de notre foi. J’avais déjà entendu la même chose de la bouche d’un garçon rencontré dans sa famille. Pas aussi savant que Rousseau, mais encore plus ironique. C’était un jour de Pâques et lui se croyait intelligent en s’en moquant : « En somme, c’est comme l’homme qui a vu l’ours qui a vu l’ours qui a vu l’ours ! »

+ C’est méchant !

- Mais pas sans intérêt. Je n’ai pas envoyé promener mon garçon, commençant même par abonder dans son sens. Dubitatif en Histoire, il pouvait l’être, moi avec lui et vous avec moi, tant de  témoignages ayant été déformés dans leur transmission. Pas qu’en un domaine religieux, mais en tous ordres des sciences humaines. Et pourtant nous ne faisons pas sans cesse des enquêtes dans la vie quotidienne. Ainsi, je n’en fais pas une pour savoir si la balance utilisée par mon vendeur de fruits et légumes est fausse ou non ; si les bananes que j’achète viennent bien du pays de leur étiquette, si la monnaie que j’utilise pour payer est légale. Avec de telles exigences on ne pourrait plus vivre. De même les témoignages d’ordre historique n’imposent pas chaque fois de preuves de leur véracité, au moins quant à leur substance. On croit à la bataille de Poitiers, à la guerre de 14, à l’existence de tel ou tel homme politique d’envergure, etc. Bref, à ce qu’on a appris dans les livres.

+ L’homme qui a vu l’ours qui a vu l’ours qui a vu l’ours !?

- Mais oui ! Pourquoi serait-ce forcément inventé ? Nous croyons tout aussi faiblement, sans preuves absolue de véracité, à ce que voient nos yeux ! Ainsi, ce qui engendre l’incroyance, c’est plus la liberté qui se protège que l’absence de preuves. Au départ au moins ! Beaucoup de convertis l’ont reconnu : notre cœur n’était pas pur !

   Le cas de notre garçon taquin sinon incrédule je l’avais rencontré bien plus avant, dans ma jeunesse cléricale, avec un ami intime qui avait laissé « tout tomber » comme on dit. Pour lui, le grand homme c’était Renan (1823-1892). Quelqu’un qui comme lui avait trouvé que « tout ça c’est des inventions. ». Il raisonnait à partir de sa science, profonde d’ailleurs, d’historien et d’exégète (et sans que je mette en cause ses mœurs irréprochables) : l’homme qui a vu…

+ Bon, ça suffit !

+ Je lui écrivis une longue lettre, petit traité d’apologétique, qui est le meilleur de mes livres où je lui montrais que, en réalité, ça c’était bien tenu au long des siècles. En matière religieuse, tout comme en tous ordres, la science fait sans cesse des progrès. Une récente découverte, par exemple, nous  émerveille, d’un fragment d’évangile, de saint Marc, retrouvé sur un masque mortuaire de momie égyptienne. Un papyrus daté de l’an 90. Le texte même que vous pouvez aisément comparer avec toute bible moderne. C’est fabuleux ! De même d’ailleurs, en gros, pour tous les documents bibliques découverts et comparés où les différences s’avèrent insignifiantes. Des tas d’intermédiaires entre hier et aujourd’hui, mais en substantielle cohérence. Notre Jean-Jacques pouvait inventer n’importe quoi pour se justifier ; les contradictions ne lui coûtaient guère pour cela. Jusqu’à écrire un livre retentissant sur l’éducation (L’Emile) et semer en même temps un peu partout des enfants naturels. Théosophe plus que chrétien, et de plus venant de Genève, la cité du libre examen protestant. De quoi faire voler en éclats votre perplexité de départ. A la supposer authentique !

+ Mais non, Pèe Volle, vous savez bien que nous vous testons plus que nous ne vous chercherions à vous embarrasser !

- Et votre ami de départ, celui de la page exploitée ?

+ Non, il est, lui, plutôt du genre sceptique.

- Eh bien, traduisez lui au mieux notre entretien d’aujourd’hui.

+ Nous pourrions avoir votre livre sur Renan ?

- Non, ou alors le faire re-imprimer, car je n’en ai qu’un exemplaire. Mais vous trouveriez sans peine, en toute librairie catholique, les ouvrages que j’aime tant, par exemple Les Pensées de Pascal, ou encore Les  Paradoxes du  christianisme, chez Chesterton, voire mes propres livres qui m’engendraient moi-même alors qu’ils coulaient de ma plume…

Allez ! Nous-nous quittons bons amis !

+ Bien sûr, comme toujours !

- Avant de vous laisser partir, dites, vous croyez en Vercingétorix ?

+ Certes !

- Et bien que Jules César en ait quelque peu rajouté pour se donner un beau rôle dans sa Guerre des Gaules !

 Au juste, Vercingétorix c’est avant ou après Jésus-Christ ? 

+ ???

- Eh bien, c’est avant ! De quelque 50 ans au moins !

Que d’intermédiaires entre l’alors  et l’aujourd’hui ! Et pourtant repris à l’identique dans tous nos livres d’Histoire !

Le 4 juin 2015

       Le thème de l’imbrication des vérités et des vertus chez Pascal

                   « Tout est en tout comme les trois Personnes… »

Pensées diverses IV

édition Léon Brunschvicg (Br.) 483 et 484

 

L’imbrication des vérités

 

« La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire. Temps de rire, de pleurer, etc. (Qo. 3, 4) Responde. Ne respondeas (Pr. 26, 4). La source en est l’union de deux natures en Jésus-Christ. Et aussi les deux mondes. La création d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre (2P. 3, 13). Nouvelle vie, nouvelle mort. Toutes choses doublées, et les mêmes noms demeurant. Et enfin les deux hommes qui sont dans les justes. Car ils sont les deux mondes, et un membre et image de Jésus-Christ. Et ainsi tous les noms leur conviennent, de justes pécheurs, mort vivant, vivant mort, élu réprouvé, etc. »

   « Il y a un grand nombre de vérités, et de foi et de morale, qui semblent répugnantes, et qui subsistent toutes dans un ordre admirable. (La source de toutes les hérésies est de ne pas concevoir l’accord de deux vérités opposées et de croire qu’elles sont si incompatibles.) La source de toutes les hérésies est l’exclusion de quelques-unes de ces vérités.

   « Et la source de toutes les objections que nous font les hérétiques est l’ignorance de quelques-unes de nos vérités.

   « Et d’ordinaire il arrive que, ne pouvant concevoir le rapport de deux vérités opposées, et croyant que l’aveu de l’une enferme l’exclusion de l’autre, ils s’attachent à l’une, ils excluent l’autre, et pensent que nous, au contraire. Or l’exclusion est la cause de leur hérésie ; et l’ignorance que nous tenons l’autre, cause de leur défection.
« 1°) exemple : Jésus-Christ est Dieu et homme. Les Ariens, ne pouvant allier ces choses qu’ils croient incompatibles, disent qu’il est homme : en cela ils sont catholiques. Mais ils nient qu’il soit Dieu : en cela ils son hérétiques. Ils prétendent que nous nions son humanité : en cela ils sont ignorants.

« 2°) exemple : sur le sujet du Saint-Sacrement. Nous croyons que la substance du pain étant changée, et transsubstantiée, en celle du corps de Notre-Seigneur. Jésus-Christ y est présent réellement. Voilà une des vérités. Une autre est que ce sacrement est aussi une figure de la croix et de la gloire, et une commémoration des deux. Voilà la foi catholique, qui comprend ces deux vérités qui semblent opposées.

   « L’hérésie d’aujourd’hui (Luther) ne concevant pas que ce Sacrement contienne tout ensemble et la présence de Jésus-Christ et sa figure, et qu’il soit sacrifice et commémoration de ce sacrifice, croit qu’on ne peut admettre l’une de ces vérités sans exclure l’autre pour cette raison.

   « Ils s’attachent à ce point seul, que ce Sacrement est figuratif ; et en cela ils ne sont point hérétiques. Ils pensent que nous excluons cette vérité ; et de là vient qu’ils nous font tant d‘objections sur les passages des Pères qui le disent. Enfin ils nient la présence ; et en cela ils sont hérétiques.

  « 3°) exemple : les indulgences.

   « C’est pourquoi le plus sûr moyen pour empêcher les hérésies est d’instruire de toutes les vérités ; et le plus sûr moyen de les réfuter est de les déclarer toutes.

   « Pour savoir si un sentiment est d’un Père (il faut trouver le sens qui accorde tous les passages contraires). » (Br. 862)

 

Imbrication des vertus.

 

   « Je n’admire point l’excès d’une vertu, comme de la valeur, si je ne vois en même temps l’excès de la vertu opposée, comme en Epaminondas, qui avait l’extrême valeur et l’extrême bénignité. Car, autrement, ce n’est pas monter, c’est tomber. On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l’entre-deux. Mais peut-être que ce n’est qu’un soudain mouvement de l’âme de l’un à l’autre de ces extrêmes, et qu’elle n’est jamais en effet qu’en un point, comme le tison de feu ? Soit, mais au moins cela marque l’agilité de l’âme, si cela n’en marque l’étendue. »  (Br. 353)

   « Quand on veut poursuivre les vertus jusqu’aux extrêmes de part et d’autre, il se présente des vices qui s’y insinuent insensiblement, de sorte qu’on se perd dans les vices, et on ne voit plus les vertus. On se prend à la perfection même… » (Br. 357)

   « Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contre-poids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires : ôtez un de ces vices, nous tombons dans l’autre. » (Br. 359)

   « Les passions dominées sont vertu. » (Br. 502)

  

Bien évidemment tout ceci est à introduire comme une sorte de « détail » à l’intérieur de la seule vertu qui compte pour Pascal, à savoir la Charité – « Qui n’est pas un précepte figuratif, ce serait horrible à penser ! » (Br. 665). Pourtant notre Blaise donne de l’importance aux moindres choses. Tout pour lui a de la valeur dès que la charité fait loi : « Le moindre mouvement importe à toute la nature ; la mer entière change pour une pierre. Ainsi,  dans la grâce,  la moindre action importe par ses suites à tout. Donc tout est important. » (Br. 505)

   « On se fait une idole de la vérité même ; car la vérité hors de la charité n’est pas Dieu, et est son image et une idole… Encore moins faut-il aimer ou adorer  son contraire, qui est le mensonge. » (Br. 582)

 

Commentaire d’un tel style, par le cardinal Garrone (Ce que croyait Pascal, Mame, p.145-146) : D’avoir aperçu une synthèse possible entre des contraires lui procurait l’ivresse de l’intelligence en laquelle il mettait tout son plaisir. Sa joie éclate toutes les fois qu’appliquée à un aspect quelconque des choses, son intelligence y discerne, derrière la multiplicité des données immédiates, le signe de l’harmonie qui les rassemble et, comme il le dit lui-même, la liaison toujours admirable que la nature, éprise d’unité, « établit entre les choses les plus éloignées en apparence… ».

Le 15 mai 2015

L’arbre sacré et ses branches

 

+ Père Volle, puisque cette année est appelée « année de la vie consacrée », dites-nous ce qu’elle a de singulier. Les baptisés ne sont-ils pas tous consacrés ?

- Bien sûr ! et ils sont même tous rois, prophètes et prêtres !

+ Vous dites ?

- Allez, ne me faites pas marcher ! Comme si vous n’aviez pas bien souvent entendu ce langage dans certaines Préfaces de la Messe ! Il n’est peut-être pas inutile pour autant que je vous en fournisse une rapide explication ; les baptisés participent de tous les attributs de Jésus-Christ, et c’est pourquoi ils sont comme lui, des rois des  prêtres et des prophètes.

+ Des rois, dites-vous ? Cela ne va pas loin !

- Détrompez-vous, comme si c’était peu de chose d’être bénéficiaires et acteurs du Royaume de Dieu sur terre !

+ Et des prophètes encore ?

- Oui, en tant qu’ils annoncent de quelque façon son règne d’éternité.

+ Et des prêtres ?

- Oui, dans l’offrande sacrificielle de leur vie, qui est la définition même du sacerdoce.

+ Père, c’est vrai que nous savions déjà tout cela, encore qu’il soit toujours bon de se le voir préciser. Mais vous n’avez pas pour autant répondu encore à notre question de départ : qu’y a-t-il de singulier dans l’appartenance des moines, religieux, religieuses et assimilés à l’état de la vie consacrée par rapport aux autres ?

- En me servant d’une image, je les situerais, sous une même étiquette pour l’instant, comme une branche à part du même arbre

+ Pourquoi et en quoi à part ?

- Je veux dire une branche particulière.

+ Comme le sont toutes les branches !

- Oui et non, car certaines sont marquées à leur ancrage par un sacrement, comme par exemple le mariage.

+ Ah bon !

- Bien sûr ! Les époux sont vraiment sacralisés comme tels, pour s’édifier mutuellement et pour engendrer et élever des enfants à Dieu. Et ils sont à l’origine de ceux et celles qui seront gratifiés éventuellement par une vocation personnelle. Moines ou pas, nous avons tous des parents. Le mariage n’est pas contraignant pour un chacun, mais le dessein universel de Dieu, en créant et unissant l’homme et la femme, est bien de présenter le modèle de la sociabilité... Vous ne vous attendiez pas à me voir commencer par cet état, pas vrai ?

+ On n’y songeait pas en priorité, c’est tout !

- Vous avez sûrement voulu me voir situer le sacerdoce par rapport à la vie religieuse, pas vrai ?

+ Oui ! Une branche à part aussi ?

- Oui encore, dans la ligne d’un devoir d’état singulier, celui d’une orientation pastorale marquée notamment par le pouvoir de célébrer l’Eucharistie et celui de pouvoir pardonner les péchés. Tous les baptisés n’ont pas  une telle vocation.

+ Dans l’esprit de beaucoup de chrétiens ça les met au-dessus des autres ; comme d’ailleurs ils y mettent leur propre curé quand ils l’aiment ! On entend parfois, concernant les non-prêtres une réflexion d’ailleurs parfaitement odieuse : « Ce ne sont que des Frères ! ». Notre vue de la hiérarchie dans le monde ecclésial est-elle bonne ?

- Oui et non.  Oui, dans l’ordre de la pastorale; non, quant au devoir de se sanctifier. Ils y sont appelés comme les autres, mais ce n’est pas chose faite parce qu’un évêque les aurait oints. Au niveau qu’on peut appeler spirituel le programme est le même pour tous. D’autant que les sacrements n’on plus leur rôle terrestre en Paradis.

+ Et les religieux dans l’affaire ?

- Ils sont appelés à se sanctifier à l’intérieur du cadre de vie qui les caractérise et les favorise. C’est pour eux une radicalisation de l’Evangile avec les trois vœux classiques de pauvreté, chasteté et obéissance. A l’intérieur normalement d’une vie communautaire, toit et table.

+ Bien entendu vous parlez aussi des religieuses ?

- Evidemment, « la portion la plus illustre du troupeau du Christ », selon saint  Cyprien(1), et aussi de tous ceux et celles qui, dans leur ligne particulière, sont également consacrés, vœux privés, vie charismatique dans le monde. Les uns et les autres marqués par ce qu’on appelle la vocation subjective et l’aval officiel de l’Eglise, comme un sacramental, si vous voulez.

+ Dites nous, Père, et quand il s’agit de religieux prêtres, qu’ont-ils de particulier par rapport à des confrères, peut-être de la même communauté,  ceux qui n’ont pas un sacrement à la base ?

- Et bien c’est un ajout, voilà tout ! ils ont à déployer leur effort vers la sainteté en s’y aidant du cadre de la vie selon l’esprit de leur Institut. Leur fonction spécifique sacerdotale surajoutée, pastorale et eucharistique,  entraîne pour eux un surcroît de responsabilité.

 + Une branche à part ? Deux branches accolées ?

- Je ne sais que  vous répondre au sein de notre imagerie limitée. Un greffon sur une même branche peut-être. Deux branches qui  s’enroulent ?

+ Et si c’était l’une dans l’autre ?

+  En quelque chose, oui ! Si c’est l’un dans l’autre, un prêtre religieux me semble être avant tout un religieux. Mais, tout en gardant l’esprit de son Ordre, il cesse de lui appartenir si on l’ordonne évêque.

+ Une vocation dans la vocation ?

- Dites plutôt hors d’elle, en ce cas ! Toutefois on peut envisager, sans aller trop loin, quelque singularité de vie en quelqu’un des frères doué visiblement d’un charisme émergeant.  Dans le monde religieux, c’est un surcroît de responsabilité pour celui qui est ou devient prêtre, et éventuellement évêque, bien sûr !

 + Changement de « métier »  pour ce dernier ?

- Oui, et pas sans oublier le poids de la mitre ! Heureux celui qui peut dire alors comme saint Augustin  à ses fidèles : «  Pour vous je suis évêque (et j’en tremble), mais avec vous je suis chrétien (et cela me rassure) ». Son mot me renvoie au baptême.

+ Vous n’avez pas parlé de la confirmation !

- Elle est, comme son nom l’indique, une ratification et un renforcement du sacrement premier. Destiné à faire des apôtres vigoureux. Tous les baptisés y étant appelés, il n’y pas lieu à une nouvelle branche. Pas plus que pour l’Eucharistie. Nous restons dans la droite ligne du tronc… Mais, si vous voulez bien, j’aimerais revenir sur l’effet fondamental du baptême. Nous sommes allés trop vite, nous ne l’avons quasiment que survolé. Quand je vous disais qu’il nous fait, en Jésus-Christ, rois, prophètes et prêtres, c’est vrai, mais il nous fait d’abord enfants de Dieu, avec une sur-nature divine. C’est  comme une nouvelle création en celui qui le reçoit.

+ Une surnature ?

- Oui ! Car, sans nous tirer de la condition humaine, il nous divinise, nous mettant en cela de plain-pied avec notre Père du ciel et son Paradis. Sur-nature, ou au-dessus d’elle comme un nouveau nom, une nouvelle identité. Lors des premières persécutions, les chrétiens ont plus d’une fois revendiqué ce titre dans leurs interrogatoires : « Votre nom ! – Chrétien ! » - « On vous demande votre nom ! » – « Je vous l’ai dit : chrétien ! » Et l’époque actuelle de christianophobie nous fait revivre des scènes de ce genre. L’islam radical a appris aux siens cette déclinaison d’identité : « Je suis musulman ! musulman ! musulman ! ». En répétitif devant nos juges. Le terme « sur-nature » me rappellerait l’emploi similaire du surnom à d’autres époques. A entendre non pas comme une moquerie, mais comme un titre laudatif, un sur-nom. C’est par exemple le cas de l’illustre orateur de Rome, Cicéron, qui est passé à la postérité, sous cet appellatif, à cause du grain qu’il avait sur le front (cicero, en latin, c’est le pois chiche !). On en a oublié son nom officiel de Marcus Tullius. Le sur-nom ça donnerait pour lui Tullius mihi nomen est, Cicero vero cognomen. Le cognomen, c’est le sur-nom. Si je vous cite en latin, n’y voyez pas un étalage d’érudition, mais parce que j’ai trouvé par hasard dans mes lectures cette formule rapprochée sous la plume de saint Pacien, un évêque du 4° siècle : Christianus mihi nomen, catholicus vero cognomen. Avec l’usage, on est passé souvent du laudatif au familier, oubliée la moquerie du départ…

  Il serait bon qu’en langage de chrétienté on puisse qualifier quelqu’un en commençant par son identité baptismale et parler d’un chrétien menuisier, ou d’un chrétien professeur, ou de n’importe quel métier plutôt que l’inverse : menuisier chrétien, professeur chrétien, etc.

+ C’est intéressant et nous en savons plus que nous n’en avions demandé. Nous rapporterons tout ça à notre groupe.

Gratias tibi, Pater !.

 (1) : « Les vierges sont la fleur de l’Eglise, le décor et la gloire de la grâce spirituelle, la jeunesse joyeuse, l’œuvre parfaite et incorruptible de louange et d’honneur, la portion la plus illustre du troupeau du Christ. La glorieuse fécondité de l’Eglise, notre Mère, se réjouit par elles et s’épanouit en elles ; et plus s’accroît le nombre des vierges, plus s’accroît la joie de la Mère. » Saint Cyprien, évêque de Carthage (Office des vierges)

Le 27 avril 2015

 

La tradition vivante

 

 

Dans le langage le plus officiel de notre Eglise catholique la transmission du dépôt de la foi confié par le Christ à ses Apôtres et clos avec la mort du dernier d’entre eux, cette transmission prend le nom de « tradition vivante ». Elle est porteuse d’un enrichissement continu à partir de son actualisation sous l’effet des circonstances, en distinction de ce qui ne serait que répétition de formulations de départ, appelée alors à bon droit « tradition morte ».

Cet enrichissement est comme l’émergence dans l’enseignement magistériel de données contenues sans doute dans le noyau catéchétique d’origine mais peu ou pas du tout soulignées jusqu’alors. Emergence subite ou progressive d’un point de doctrine, sous le cri quasiment prophétique d’un fidèle suffisamment crédible de l’Eglise (enseignée ou enseignante), ou bien sous la pression, comme un soulèvement cosmique, de croyances populaires se généralisant et se faisant instantes. Points de croyance du corps mystique de Jésus dans l’Esprit Saint, points de croyance avalisées un jour officiellement par la Succession apostolique, sans que ce soit forcément en explicitation systématique du donné déjà enseigné. On peut aussi bien parler alors d’un instinct : phylum souterrain, feu de tourbe, « conscience collective » : un « Sentir (diffus) cum Ecclesia ».

Bien sûr le Magistère peut aussi, et c’est le cas le plus fréquent, introduire, dans son catalogue des définitions dogmatiques, tel ou tel point d’un enseignement déjà admis mais qui l’était avec une coloration moindre. Théoriquement, le Souverain Pontife pourrait procéder ainsi de sa propre initiative et de son propre pouvoir, mais il va de soi qu’il recourt d’ordinaire à des consultations préliminaires et n’agit qu’en solidarité avec l’ensemble de l’épiscopat.

La vie de l’Eglise est ainsi toute parsemée d’enrichissements ponctuels de son Credo, sous le double angle d’une part des exigences ou convenances du temps – à questions nouvelles, réponses nouvelles –, d’autre part d’une liaison assurée avec le dépôt doctrinal confié par le Christ aux Apôtres. Les dernières mises en surbrillance des vérités du Credo concernent le dogme de l’Immaculée Conception de Marie en 1854 et celui de l’infaillibilité pontificale en 1870. L’influence de fidèles auréolés de doctrine ou de sainteté a été considérable pour un tel apport : Duns Scot, et le franciscain saint Léonard de Port-Maurice notamment pour le premier dogme cité ; notre épiscopat français pour le second. Outre les points devenus « dogmatiques » par une définition solennelle du Magistère, quantité de nouveautés doctrinales, morales ou cultuelles ont enrichi le « corpus catholique », en rapport plus ou moins direct avec la foi. Par exemple l’introduction de fêtes au calendrier liturgique : la « Fête-Dieu » en lien avec la Présence réelle eucharistique, à l’initiative de sainte Julienne de Mont-Cornillon, ou la fête du « Sacré-Cœur », après les révélations de Jésus à sainte Marguerite-Marie, ou encore celle de la « Miséricorde divine » due en bonne part au Petit Journal de sœur Faustine, celle de Marie Reine de l’univers,  celle de « Saint Joseph ouvrier », celle du « Christ-Roi », etc. Les Souverains Pontifes ajoutent ainsi quasi tous quelque trace de leur passage sur le Siège de Pierre, soit par le biais de leurs encycliques, soit par celui d’une insistance dans leur enseignement ou initiatives apostoliques. Le concile Vatican II à lui seul, sans avoir voulu définir de nouvelles doctrines, a fourni quantité de points de réflexion aptes à une dogmatisation possible d’avenir, comme la collégialité épiscopale, la liberté religieuse, l’oecuménisme ou les points de mariologie présentés dans la Constitution Lumen Gentium (Ch. VIII, n° 62) : Marie, avocate, auxiliatrice, médiatrice du salut, etc.

On en ajouterait aisément d’autres, tels qu’ils semblent devoir être remis en valeur dans un peuple chrétien si perturbé actuellement par les médias dans sa foi ou sa piété séculaire : valeur sanctificatrice de la souffrance, exclusivité du sacerdoce masculin, personnalité de l’embryon humain, jugement particulier à la mort, suffisance d’une foi minimale pour la validité du mariage chrétien, etc, etc.  Concernant l’infaillibilité de l’Eglise en son ensemble, lorsqu’il y a consensus moral entre ses membres, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » (Vatican II,  L.G. (Ch. I, n° 12), on n’omettra pas d’inclure dans ce nombre les membres de l’Eglise du ciel ! Idée volontiers rappelée par notre Pape Benoît XV. Elle permet d’équilibrer nova et vetera, en enjambant au besoin une actualité « de dégringolade » (1) !

Il n’y a rien de singulier en tout cela, et c’est même, me semble-t-il, très normal et merveilleux. Pour d’aucuns cependant les choses ne vont pas aussi aisément dès lors qu’ils ne saisissent pas comme nous la liaison nova et vetera. Ainsi notamment les disciples de Mgr Lefebvre. Leur théorie générale reste strictement celle de saint Vincent de Lérins : « Dans l’Eglise catholique elle-même il faut veiller soigneusement à s’en tenir à ce qui a été cru partout, toujours et par tous ». Tant qu’on parle d’explicitation, voire de prolongement des « conclusions théologiques » classiques,  ils s’y retrouvent, mais pas dans les voies quelque peu dépourvues de rigueur logique, telles que celles  insinuées plus haut.

L’étude de Newman peut aider à éclaircir ce sujet. D’une part, notre auteur a abondé dans ce sens, d’autre part, sa récente béatification contribue à créditer une doctrine qui avait déjà du mal à passer en son temps.

 

Nos citations reprennent sommairement le sujet à partir de l’affirmation d’un savoir d’inspiration chez les Apôtres, pour le poursuivre d’un savoir d’assistance dans l’Eglise.

En toute hypothèse Newman part de l’analogie de la foi, c’est à dire de la cohérence de tout point de doctrine avec son ensemble, dépôt ou transmission. « Les Apôtres avaient la plénitude de la connaissance révélée, une plénitude qu’ils étaient aussi incapables de « réaliser » eux-mêmes, que l’esprit humain est incapable d’être conscient de toutes ses pensées d’un seul coup. Elles s’explicitent suivant les occasions. Un homme de génie ne se promène pas avec son génie à la main ; dans l’esprit d’un Apôtre, une grande partie de sa science reste par la force des choses latente ou implicite. Je dirais volontiers qu’il n’y a rien, dans ce que l’Eglise définit ou définira, à quoi un Apôtre, si on l’avait interrogé, n’eût été pleinement capable de répondre et n’eût effectivement répondu comme l’Eglise l’a fait, l’un répondant par inspiration, et l’autre en vertu du don de l’infaillibilité » (Essai sur le développement).

« Connaître, commente et poursuit notre cardinal Honoré (La pensée de J.H. Newman), c’est d’abord avoir une vision qui perçoit l’unité et la cohérence d’un ensemble ; ce regard synthétique est toujours sous-jacent à la connaissance de l’une ou l’autre partie qui n’est d’ailleurs perçue que dans sa relation avec la totalité… Un point est net, qu’il faut maintenir dans la pensée de Newman, c’est que la Révélation est close avec le dernier des Apôtres et qu’il ne peut être question d’envisager une croissance du dépôt par additions successives de vérités qui ne seraient pas contenues initialement en lui. Il faut donc que les Apôtres aient eu avec la Révélation qui leur a été transmise la connaissance de tout ce que l’Eglise, dans la suite des temps, a été conduite à préciser et à expliciter. La foi leur donnait le regard surnaturel qui, dans la lumière de l’Esprit-Saint, leur permettait de discerner toute vérité incluse dans ce message. Il y a ainsi, chez les Apôtres, comme une sorte de connaturalité de la foi avec le mystère révélé, qui fait en sorte que celui-ci leur est présent dans une vision synthétique qui englobe à la fois l’explicite et l’implicite. »

 

« La loi du devenir (pour les vivants) étant universelle, il est normal pour l’Eglise de connaître elle aussi, depuis ses origines, des changements et des développements. Seulement, il y a des changements qui altèrent la nature des êtres, modifient en quelque sorte leur identité première ; et il y a des changements qui, au contraire, expriment une dynamique propre, comme s’ils ne faisaient que révéler les virtualités qui existaient à l’origine. »

Newman les énumère, dans tel de ses Sermons universitaires. Le cardinal Honoré dans l’ouvrage cité (p. 74-86) résume quels sont, selon lui, les critères du vrai développement. Généralisant, de l’idée à la doctrine, il écrit par exemple :

« Tout développement suppose un passage entre un stade originel où l’idée n’a pas encore poussé ses prolongements, et un stade ultérieur où apparaissent les séquences doctrinales et les réalisations concrètes par lesquelles l’idée révèle son empreinte sur les faits de l’histoire. Un tel passage n’est légitime que si l’idée elle-même se prête à ce mouvement de progrès et si elle est capable de se plier à une réflexion logique qui en organise les acquisitions. Cette réflexion logique n’est d’ailleurs pas à entendre nécessairement dans le sens d’une pure déduction qui irait des prémisses aux conclusions. Il s’agit d’un raisonnement qui obéit à des lois plus spontanées, celles que La Grammaire de l’Assentiment évoquera pour montrer que la pensée peut être valide sans obéir aux règles du savoir…

Un vrai développement se juge encore par l’apparition, dès les premières étapes de son histoire, de formes suffisamment nettes du type, pour qu’on puisse y discerner les ébauches et les anticipations de ce qu’il est appelé à devenir dans sa plénitude d’accomplissement. Ainsi, le culte de la Vierge témoigne, dès les premiers siècles, de signes assez clairs de dévotion mariale pour que celle-ci jouisse aujourd’hui d’un titre de continuité… »

Longue dissertation au niveau des principes : « Un développement n’est valide que si les doctrines sont liées aux principes par une étroite fidélité. Les doctrines énoncées par l’Eglise romaine, ou par les autres confessions chrétiennes, doivent donc exprimer cette fidélité dans laquelle les principes, à travers toute l’histoire religieuse, trouvent leur permanence… »

 

                                             Tradition (Théo, p. 1173)

 

                                            

            La Tradition, selon Monseigneur Lefebvre

 

« C’est pour garder intacte la foi de notre baptême que nous avons dû nous opposer à l’esprit du concile Vatican II et aux réformes qu’il a inspirées.

   Le faux oecuménisme qui est à l’origine de toutes les innovations du Concile, dans la liturgie, dans les relations nouvelles de l’Eglise et du monde, dans la conception de l’Eglise elle-même, conduit l’Eglise à sa ruine et et les catholiques à l’apostasie.

   Radicalement opposés à cette destruction de notre foi, et résolus à demeurer dans la doctrine et la discipline traditionnelles de l’Eglise, spécialement en ce qui concerne la formation sacerdotale et la vie religieuse, nous éprouvons la nécessité résolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise… » (  Lettre du 2 juin 1988 au Pape)

 

 

    La Tradition, d’après Jean-Paul II

 

   « A la racine de cet acte schismatique on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition qui, comme l’a enseigné clairement le concile Vatican II, « tire son origine des Apôtres, se poursuit dans l’Eglise sous l’assistance de l’Esprit-Saint ; en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles s’accroît, aussi bien par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l’intelligence intérieures des choses qu’ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la consécration épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité. »

   Mais c’est surtout une notion de la Tradition qui s’oppose au Magistère universel de l’Eglise lequel appartient à l’évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. Personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ en la personne de l’apôtre Pierre a confié le ministère de l’unité dans son Eglise… » (Motu Proprio Ecclesia Dei Afflicta, 2 juillet 1988)

Le 6 mars 2015

 

Les tentations de Jésus

 

   Les tentations de  Jésus dans le désert restent assez mystérieuses. Il n’y avait pas de témoins,  leur récit correspond  donc à ce que Jésus en a rapporté plus tard, en une ou plusieurs fois. En concentré ici. Si on veut les unifier, malgré la distinction de leur objet matériel, ce serait  pour le démon une insinuation globale à son étrange interlocuteur de s’auto-accréditer par le biais du miracle. Ce qui, on le sait, ne correspond pas du tout aux voies d’humilité que suivra le Seigneur. Comme le serait pour lui un salut au rabais. Un tel éclairage est celui de la semonce qu’il adresse à Pierre, lors de la première prédiction de sa passion. Une telle perspective pour le Maître bien-aimé indigne le disciple : «  Jamais de la vie ! », ce qui lui vaut l’âpre réplique que l’on sait : « Arrière, Satan ! Tu me fais obstacle. Tes pensées sont celles des hommes et pas celles de Dieu ! » (Mt.16, 21-23) (1)

On aimerait introduire ici, à travers un récit en forme de parabole, l’intelligence qu’a eu de l’événement Dostoïevski dans sa célèbre « Légende du Grand Inquisiteur » (Les Frères Karamazov).

   Nous sommes au XV° siècle. A Séville. Un homme étrange, vêtu de blanc, y prêche, y fait des miracles, devant des foules médusées. L’Inquisition, toute puissante et omni-présente, le voit comme un perturbateur et le fait arrêter. C’est le Christ qui a voulu, ne fusse qu’un instant, visiter ses enfants sous la même forme humaine qu’il a revêtue durant 33 années. Dans son cachot le prisonnier reçoit, de nuit, une visite, celle du grand inquisiteur en personne. Lequel lui tient à peu près ce langage : « Je sais qui tu es ! Tu es Jésus-Christ, venant nous donner des leçons, les mêmes leçons qu’à ceux de ton temps, qui sont un appel à la liberté. En t’opposant à un légalisme d’époque, tu renvoyais les hommes à des choix personnels. C’est là ton crime, car c’est les rendre malheureux. De ta liberté ils ne savent que faire. Ils sont tellement plus à l’aise guidés du dehors, sans avoir à engager leur responsabilité. S’ils ont de quoi satisfaire leurs  appétits, ils courbent volontiers la tête et vont jusqu’à baiser la main qui les opprime. Tu as voulu, en les dégageant de l’obéissance sans nuances à la loi, les sortir de toute soumission  imposée.

 Et c’est en cela que tu nous es dangereux, démolissant la nécessité de l’ordre externe, pour cela que je t’ai fait arrêter, te condamnerai, et te ferai périr dans les flammes. »

   C’est outrancier, évidemment, car la liberté promue par le Christ n’est pas celle du libre examen. Nous avons là, sous la plume du grand écrivain russe, une critique voilée de l’Eglise catholique sûre d’elle-même, autoritaire, cultivant le triomphalisme. Dans l’abandon donc des vertus d’humilité, pauvreté, modestie, de l’Evangile. Acquiesçant ainsi quelque peu aux propositions du diable au désert…

De Saint-Exupéry maintenant : « Il est des esclaves tellement habitués à porter leurs chaînes qu’il n’est même plus besoin de leur en mettre. Ils ont si bien désappris la liberté qu’ils en ont perdu jusqu’au souvenir. Trop craintifs pour oser penser par eux-mêmes, ils s’effraient même des menaces d’autrui… » Abusif aussi, mais du moins restrictif dans son application.

 

(1) – On trouve, dans la littérature médiévale, à savoir dans la Passion d’Arnould Gréban, quelque écho ou reprise de la position de Pierre en cette occasion. Il s’agit dans les deux cas d’une suggestion faite à Jésus d’écarter la souffrance de son projet de salut. La Vierge est censée lui en demander au moins une atténuation. C’est contraire à la vérité historique puisque elle aurait plutôt encouragé son divin Fils dans sa voie, mais enfin ça reste noble et beau. Jésus répond rudement à sa maman. « Ce sera au moins pendant la nuit ? – Non, mais  en  pleine heure de midi –Y seriez-vous à découvert ? -  Totalement, nu comme un ver ! »

Le 9 février 2015

Une riche actualité

 

+ Père Volle, l’actualité qui nous intéresse est tellement riche en événements qu’on ne sait par où l’aborder. Mais au moins savoir ce que vous pensez de la manifestation du 11 janvier, suite au massacre d’une partie de l’équipe du journal Charlie-Hebdo. Nous avons entendu ou lu tant de choses contradictoires à ce sujet ! De l’enthousiasme à la critique, tout cela sur un ton extrême, que nous en sommes devenus perplexes. En gros, l'aspect est, disons, positif avec ses thuriféraires : une condamnation massive de l’attentat, puis une défense de la liberté de la Presse ; une proclamation des valeurs de la République ; un sursaut de patriotisme ; une France retrouvée ; l’union sacrée, quoi ! A l’inverse, une émotion populaire qui, après des départs peut-être spontanés, a été rapidement canalisée, orientée, par des idéologues, des politiciens y trouvant profit, surtout de gauche comme le journal qu’ils prétendaient défendre, du gonflé, de l’artificiel, avec la démesure d’un deuil national et des cloches sonnant le glas, un journal en faillite qui voyait tomber du ciel une manne miraculeuse, et notre Président de la République monter vertigineusement dans les sondages. Trop c’est trop. Du grotesque et du moutonnier, vous dis-je ! Un plâtrage qui ne pouvait que recouvrir, une heure durant, les grandes failles de notre pays. Sans compter les moqueries goguenardes d'une fraction sociétaire qu’on croyait s’attirer. Suivez mon regard ! En référence, par exemple, l’article virulent du Frère Thierry-Dominique Humbrecht, dans Le Figaro du 19 janvier, sous le titre « Le théâtre du vide » : « La laïcité s’est couronnée elle-même de la tiare de papesse des religions » (1)

Qu’en dites-vous, Père Volle ?

- Il doit y avoir quelque chose de vrai dans cette liste des motivations, tant d’un coté que de l’autre, mais autant vous le dire, je suis Vincent Lambert, mais pas Charlie (me référant essentiellement ici au journal en tant que satirique, et parfois blasphématoire) !

+ Nous nous en doutions !

- Pas plus que vous, pour être honnête. Comme beaucoup sans doute de ceux qui cependant en portaient la pancarte dans le défilé. Certains ne savaient rien du contenu du journal qu’on voulait leur faire venger. J’ai trouvé, le 13 janvier, donc trois jours après le drame, dans un journal régional (de Jacques Leroge, dans Le Dauphiné) une caricature suggestive : au milieu de la foule aux pancartes qu’on sait, un individu en portait une qui disait : « Je suis ici ». Je me risque à penser qu’une bonne partie du populo en ébullition aurait pu s’y retrouver ! (Le dessinateur donnant peut-être un autre sens à son dessin : « Ici, et bien à ma place ».)

+ C’est vrai, au moins de quelques-uns de nos amis, qui ont vu ce dessin et s’y reconnaissaient : « Je suis ici » ; pour eux cela voulait dire « Si je suis ici, c’est pour faire comme tout le monde ! »

- Parmi les motivations de la manif, je cois que nous en avons oublié une d’importance, la peur quelque part, la peur d’une violence au risque d’expansion universelle. Dès lors chacun veut se protéger par avance, et dans sa personne, et dans ses biens, et dans sa fonction.

Pour ne parler que de ce qui a trait avec la communauté musulmane, on sait qu’elle est très solidaire. Outre son aspect expansionniste, elle est un corps qui bat en son ensemble à la moindre provocation ou ce qui est conçu ainsi. D’instinct, sans besoin de mots d’ordre : « Soutiens toujours ton frère, qu’il ait raison ou non ». Et ce ne sont pas les déclarations de tel ou tel chef de gouvernement ou d’un de ses chefs religieux qui modifieront la donne. Dans La Croix du 27 janvier, Rémy Hebding, ancien rédacteur en chef de l’hebdomaire protestant Réforme, a publié un article percutant sur le sujet. Après avoir évoqué les liens de certains versets guerriers du Coran avec le climat de peur qui nous habite en ce moment, il écrit : « Une pétition signée des intellectuels musulmans – dont Fteft Islamouna et Ghaleb Bencheikh – déclare : «  Aujourd’hui la réponse à cette guerre (qui menace) ne consiste pas à dire que l’islam n’est pas cela. Car c’est bien au nom du Coran que ces actes criminels (à propos des tueries d’actualité) sont commis. Non, la réponse consiste à reconnaître et affirmer l’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes qui contient la tradition musulmane. Et à en tirer les conséquences ». Ces signataires préconisent de sortir d’une lecture littérale des textes pour tenir compte du contexte historique et littéraire. En venir enfin à une interprétation désacralisée du Coran afin de procéder à une exégèse rigoureuse, scientifique, menant enfin le fidèle à se débarrasser des blocages réducteurs et conservateurs.

Sortir donc l’exégèse coranique des dogmatismes.

+ Père, restons-en là sur ce sujet, car le temps passe et voudrions en introduire d’autres dans notre rencontre d’aujourd’hui !

- Eh bien, allez-y ! Qu’est ce qui vous préoccupe maintenant ?

+ Certains propos de notre pape François. Son langage sur la procréation responsable en a choqué plus d’un. C’est entendu, les « catholiques n’ont pas à se reproduire en série, comme des lapins », mais enfin il y avait d’autres façons de le dire ! Les oreilles de plusieurs de ses devanciers - d’un saint Pie X par exemple, qui ne voulut pas canoniser un saint homme parce qu’il avait l’habitude de dire des gros mots (genre Guy Gilbert ?). Voire celles de Benoît XVI tout proche…

- De Benoît XVI, vous croyez ? Mais non, je pense plutôt qu’il en a été amusé.

De toute façon c’est sûr qu’un langage aussi académique que le sien n’aurait pas fait mouche sur notre public d’aujourd’hui. Les journalistes s’en sont moqués, mais au moins le message passait sur la responsabilité des hommes et  des femmes dans la procréation. En cette occasion il a vigoureusement souligné l’importance et l’actualité de l’encyclique de Paul VI « Humanae Vitae »  laquelle enseigne à ne pas déconnecter la liaison naturelle de l’acte sexuel de sa finalité procréative. Au reste encore, c’est lui qui exalte chaleureusement la générosité dans les foyers.

+ Il est tout de même étrange qu’il ait proposé comme idéal le nombre de trois enfants.

- Vous n’y êtes pas ! Il a dit tout simplement, suivant en cela les statisticiens, que la succession des générations n’est assurée qu’avec ce nombre. La suite de son discours n’a été qu’exaltation des familles nombreuses.

+ Il y a de quoi être troublé cependant par les paroles en ton de blâme qu’on lui prête envers une maman, mère de 8 enfants dont 7 par césarienne : « Ne voyez-vous pas que vous  preniez le risque de faire 8 orphelins ? – Nous faisons confiance à Dieu. – Sans doute, mais cette  confiance n’exclut pas la prudence ».

Le Padre Pio n’aurait pas répondu ainsi. Dans une circonstance similaire, il a dit à une épouse qui l’interrogeait sur le risque pour elle d’une nouvelle grossesse : « Faites votre devoir ! »

 - C’est plutôt laconique ! Restons en là si vous voulez bien. Nous avons été longs. A une autre fois !

 

-  Un de mes correspondants a envoyé au journal La Croix une réflexion que je lui ai promis de reproduire dans notre site :

 « Non, Charlie s’est trompé. Celui qui pleure, avec la pancarte « Pardon » au-dessus de la tête, c’est Jésus, lui que Charlie a brocardé, dénigré, avili, au-delà de toute mesure, et bien plus que Mahomet, c’est Jésus qui pleure sur Charlie et qui pardonne. Et le pape aussi qui parle au nom de Jésus. Mais c’est aussi Jésus qui, par la même voix de notre pape François, répercute l’appel au secours des enfants et des femmes d’Afrique, victimes de la violence horrible de Boko Haram et autres barbares de la même eau. Ces victimes-là pour lesquelles on n’a pas fait de manifestations massives de soutien, et qui périssent misérablement par dizaines, voire par centaines chaque jour, on les relègue dans quelque coin de notre cerveau pour une molle et abstraite déploration. Mais la moindre de ces victimes a pour Jésus l’importance de la brebis pour laquelle il s’écarte de son troupeau, afin de la ramener dans ses bras. L’amour, personne n’est habilité à en parler, s’il n’est pas prêt à faire autant que Jésus. Et à penser que la petite victime innocente, dont personne ne connaît le nom, originaire de quelque coin perdu du Nigéria, mérite, pas plus peut-être, mais autant que Cabu et ses amis, notre attention, notre compassion et notre soutien effectif. Je suis fier d’être d’une Eglise qui ne s’est jamais trompée de combat et que l’on a pourtant, Dieu sait combien, vouée aux gémonies. Aujourd’hui, l’enseignement du Christ résonne avec une intensité particulière. Et son éternelle actualité est plus manifeste que jamais. Sa place dans le combat contre l’obscurantisme (qui lui fut si souvent attribué) devrait être déterminante et permettre à notre société de se préparer au combat qui l’attend sans jamais trahir ses valeurs. Qui sont celles de la lumière. » Claude. M.

 

Le 12 janvier 2015

Pauvreté et Vie consacrée

 

Le pape François a voulu faire de l’an 2015 une « Année de la vie consacrée ». Essayons d’en dire quelque chose à travers le vœu de pauvreté qui l’introduit dans l’énumération classique : pauvreté, chasteté, obéissance… Et notamment à travers la vie communautaire, où elle se réalise de façon normale : même toit, même table, mêmes offices… Elle implique sous cet aspect un appel à l’intériorisation, comme on va le voir. Bien au-delà de la frugalité ou du  don auquel on songerait tout d’abord (n’étant pas propriétaire le religieux se prive de fait de cette dernière joie, la joie de donner).

Que la communauté soit nombreuse, et alors l’individu se perd dans l’ensemble, un parmi d’autres, ou bien elle est restreinte, auquel cas chacun n’a pas grand chose à raconter à partir du moment où il n’a plus d’activités externes, où il souhaite même l’isolement. Il faut pourtant converser pour ne pas sombrer, rester un homme, voire pour ne pas s’ennuyer. Il n’y a d’issue alors que dans la conversation intérieure. Celui-là ne s’ennuiera pas qui parle avec Dieu qui l’habite. C’est ainsi que la vie religieuse communautaire, sous son aspect de pauvreté, d’isolement forcé, introduit, dans son repliement, un état d’oraison. Que ce soit une prière contemplative, d’acquiescement muet à la sainteté de Dieu, ou de prière, avec des formulations inventées ou tirées des livres, oraisons jaculatoires par exemple : « Que ma prière monte vers toi, Seigneur, comme un encens, et mes mains comme l’offrande du soir » (Ps. 129) ; ou la formule si heureuse  de sainte Marguerite-Marie, de Paray-le-Monial : : « Je contemple en tout temps et je porte en tout lieu et le Dieu de mon cœur et le coeur de mon Dieu ». C’est d’ailleurs celui-ci qui attire au-dedans avec d’ordinaire une certaine joie. Mais il est une prière pauvre de joie sensible autant que d’idées, faite tout simplement de l’oblation de sa vie en union avec la déréliction du Christ. A elles toutes seules nous en instruiraient abondamment certaines pages d’Histoire d’une âme de sainte Thérèse de Lisieux…

Dans la vie laïcale ordinaire, vie professionnelle, vie de famille, vie civique, il sera moins facile d’atteindre une telle intériorisation. Elle est là pourtant où il y a une volonté généreuse de fidélité à la grâce. Car le Seigneur sait appeler très fort au sein même des exigences d’attention liées au devoir d’état. L’exemple le plus typique à mes yeux c’est celui de Marie de l’Incarnation qui, avant de fonder les Ursulines, s’activait sur les bords de la Loire avec les  centaines d’ouvriers que lui imposait la reprise, des mains de son frère, d’une entreprise de transports fluviaux qui périclitait. Aussi religieuse contemplative alors que singulièrement  active. Il est coutume aussi de présenter dans cette ligne conjointe Thérèse d’Avila, la réformatrice du Carmel. Puisque nous sommes invités à célébrer cette année le 5° centenaire de sa naissance (28 mars 1515) ce sera ici l’occasion de mentionner un trait de son esprit qui ne dépare pas dans notre page : d’amour de la pauvreté pour ses filles et de bon sens pratique pour d’autres. (A lire dans sa Vie par Marcelle Auclair, Le Seuil, p. 213)

La Madre, allant vers Tolède, vient de visiter en un détour la fondation miséreuse à l’extrême de Duruelo. Ensuite, de son chariot, elle entend les commentaires admiratifs des deux marchands qui conduisent. Ils n’avaient d’autre sujet de conversation que Duruelo : "Je n’échangerais pas ce que j’ai vu là contre tous les biens du monde », disait l’un d’eux. L’autre proclama que tant de vertus, de pauvreté, lui semblaient plus enviables que toutes les richesses. Mais aucun d’eux ne tourna bride, renonçant à ses ducats afin d’être saint plutôt que riche.

Teresa de Jésus les entendait vaguement, et se retenait de sourire. Elle songeait qu’en ce monde il faut qu’il y ait des saints, mais aussi des marchands, et qu’il est déjà beau qu’un  négociant repu ait de temps en temps, dans son opulence, la nostalgie du dénuement."

 

Je me sers couramment chez un petit épicier de quartier. Il est marocain et m’avertit de son absence de quinze jours qu’il va passer dans son pays avec sa famille. Je lui demande s’il a des enfants. "Cinq", me répond-t-il. – Et vous ? - "Aucun parce qu’un prêtre n’est pas marié. C’est comme pour les Religieuses. C’est tout fait pour la prière." Il élève alors le pouce dans le sens admiratif que nous donnons au geste.

Nous-nous sommes éloignés de la pauvreté et de son vœu dans la vie consacrée pour passer à celui de chasteté ? Mais non, c’est presque pareil !

 

 

Le 31 décembre 2014

 

Un certain désarroi

 

+ Père Volle, des amis nous ont manifesté leur malaise, pour ne pas dire leur désarroi, devant les prises de position si accentuées de notre pape François lors de son voyage en Turquie, fin octobre. Ils savent et acceptent la ligne directrice interreligieuse et inter-communionelle qui est celle de nos derniers Papes, mais cette fois c’est peut-être, disent-ils, « pousser un peu loin le champignon ». Il n’a été question en la circonstance que d’accolades et de bénédictions réciproques entre lui et le patriarche orthodoxe de Constantinople, Bartholomée. Pareillement les manifestations d’estime de sa part avec les représentants de l’Islam laisseraient entendre que finalement « c’est tout pareil », que nous avons jusqu’ici engagé des combats bien inutilement. Que leur répondre ?

- Leur demander si eux-mêmes, en reprenant leur formule abrupte, « ne poussent pas un peu trop loin le champignon ». C’est certain, notre Pape a fait des gestes et prononcé des paroles qui accentuent le regard de bienveillance qu’il nous est demandé de porter et de cultiver vis-à-vis des confessions religieuses évoquées. Concernant l’orthodoxie, c’était non seulement le souhait d’un cheminement vers l’unité chrétienne, mais du « presque fait ». Je reconnais avec vos amis en désarroi, et peut-être avec vous, que nous n’avions pas été formés en regardant ces croyants de cette façon-là, avec tant de bienveillance. Dans une théologie, on dirait « classique », nous cherchions les éléments différentiels du christianisme, voire du catholicisme, par rapport aux autres religions ou confessions, plutôt que les éléments communs aux unes et aux autres. On dit maintenant, non pas le contraire, mais de ne pas regarder par cette seule fenêtre. Le monde entier s’en va tellement en quenouille, qu’il faut ouvrir des yeux nouveaux sur ces choses qui favorisent le « vivre ensemble »,. Ce n’est plus du coté de l’orthodoxie dogmatique que va l’enseignement, mais de celui d’un renforcement d’un climat réciproque de bienveillance, loin de ces discussions qui deviennent facilement des disputes.

+ C’est vite régler le problème. A en oublier ces cas de fausse paix ou d’hospitalité baignés d’émotivité plutôt que régulés par la prudence. Comme nous les trouvions dans certaines fables de La Fontaine, vous vous souvenez, notamment dans « Le coq et le renard » et « La lice et sa compagne ».

- C’est vrai ! Je crois que ces cas restent valables sans se suffire pourtant à eux-mêmes. Je veux bien les ajouter au rapport de notre causerie pour en convenir. Mais j’ai mieux à reprendre dans notre contexte le propos de notre philosophe Gustave Thibon teinté d’autant de vérité que de bonhommie, charmé comme je le fus, son auditeur naguère : « Pour s’entendre, il faut s’entendre!»

+ Qu’est ce que cela veut dire ?

- Cela veut dire qu’une certaine convivialité est requise aux échanges fructueux de paroles. Quand  ont dit de deux personnes : « Ils s’endentent bien tous les deux », cela veut dire qu’ils sont amis ; à partir de là ils peuvent discuter. Ce verbe « s’entendre » a donc deux sens dans notre phrase, celui de tomber d’accord, et celui – et d’abord – d’adopter une approche de bienveillance. Le contexte dira de quel coté il faut appuyer. Ce qui vaut pour ces fables évoquées, le fabuliste parlant des problèmes civiques de son temps plus que de ceux religieux du nôtre. Hors cette exigence de contexte, on tombe en effet dans la « débine », le désarroi des « cathos pur sang », frères émus par les invitations de nos souverains pontifes actuels, du pape  François notamment, d’aller au delà des murs.

+ Il faudrait savoir toutefois s’il y a de la réciprocité, sans quoi c’est un leurre.

- Evidemment ! La bienveillance unilatérale de départ essaie au moins de l’introduire. Ce sont  les premiers pas dont parle l’Evangile.

+ Dans les faits, qu’en est-il au sein des accolades et des « bisous » ? Qu’en est-il au terme de tant de déclarations plus ou moins tonitruantes ? Qu’en est-il au résultat de tant de congrès ? Quand on voit la suite !

- Je ne sais trop que répondre, ayant lu récemment le refus de théologiens orthodoxes (La Croix du 7 décembre 2014) d’entrer dans le jeu, mais il ne faut pas que le désarroi de vos amis nous atteigne. Nous aurions besoin de plus d’optimisme, en écho à la satisfaction exprimée par nos propres théologiens et d’abord par nos Papes successifs, Jean-Paul II, Benoît XVI et maintenant le Pape François.

+ Certains ont été scandalisés le voyant prier dans la mosquée bleue d’Istanbul. Et pourtant ce n’était rien à coté de la photo qui a couru le monde, en son temps, d’un Jean-Paul en courbette, à Damas, devant le Coran. « Scandaleux ! », ont-ils dit.

- A nouveau mon impuissance à en juger. Il faudrait pour cela savoir quelles paroles accompagnaient le geste. Cela peut tour changer. Reste la nécessité des premiers pas dont nous parlions tout à l’heure. Je me souviens d’avoir lu la tristesse du bon Pape Jean, berné par un mensonge de haut niveau lorsqu’il était nonce en Bulgarie. Cela ne l’a pas empêché de se compromettre, pour rien, plus tard en d’autres circonstances. Ou plutôt, non, pas pour rien ; beaucoup de choses ont évolué dans le bon sens depuis son pontificat, celui du Concile.

+ Vous êtes toujours optimiste !

- Je m‘efforce de l’être, dans la foi. Par-delà les hommes, il y a Jésus qui veille sur son troupeau. Il laisse ses pasteurs prendre leurs initiatives, quitte à les ramener dans ses voies s’ils s’en égarent. et  il sait manipuler jusqu’aux manipulateurs.

+ C’est bien dit !

- Ce n’est pas de moi, mais de Georges Huber dans son livre sur la Providence : « La Providence, qu’est-ce que c’est ? C’est le déroulement des événements sous le regard souverain de Dieu qui manipule jusqu’aux manipulateurs ».

+ Nous sommes loin de notre sujet de départ !

- C’est vrai, cela déborde de tous cotés, mais en particulier d’un certain désarroi possible en des sujets comme le cheminement de l’Eglise. Prions donc pour celui qui la gère en ce moment au sommet ; prions « pour lui et non pas contre lui », comme il l’a demandé en une certaine circonstance ( A Assise, en sa visite de 2013, au parloir des Sœurs Clarisses !)

   Une dernière chose me vient à l’esprit, qui aurait bien pu être la première dans notre débat. Jésus est le fils d’un peuple plus que sourcilleux vis-à-vis de tout ce qui fait ombrage à sa foi et à son patriotisme. Or il naît et vit sous l’occupation romaine, entouré de légionnaires païens. Ses rapports avec eux sont plutôt des rapports de bienveillance. Peut-être a-t-il fait scandale lorsqu’il a déclaré au centurion venu lui demander une guérison miraculeuse, sans s’autoriser pourtant à l’inviter chez lui : « En vérité je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël ». Les disciples devaient en rester « coincés », en désarroi eux aussi…

  Saint Paul aura une parole décisive en faveur de toute outrance défensive et d’apostolat par trop conquérant : « Autant qu’il dépend de vous, vivez en paix avec toute le monde ». A nouveau des ponts plus que des murs. Nous avons à prendre du feu dans « tout ça », plutôt qu’à ruminer des objections, vous ne croyez pas ?

 

P.S. – Vous aimeriez peut-être savoir ce que le Pape François a écrit sur le Livre d’Or de la basilique Sainte Sophie (transformée en musée) : Agia Sophia tou Théou et Quam dilecta tabernacula tua Domine (psalmus 83), c’est-à-dire, respectivement, en grec : « Sainte sagesse de Dieu » et en latin : « Que tes demeures sont aimables, Seigneur (psaume 83) », louange que les juifs réservaient au temple de Jérusalem et que l’Eglise chante lors d’une dédicace d’une église. Apprécions la finesse du geste !

Le 22 novembre 2014

Encore le Synode !

 

Vous avez voulu relever, Père Volle, dans le dernier numéro de la Revue Marchons, notre conversation amicale sur les problèmes du Synode romain d’octobre 2014. Cela nous a plu. Nous nous y sommes bien retrouvés. Surtout sur ce que vous avez expliqué sur la distinction « loi de gradualité » et « gradualité de la loi ». Jamais personne ne nous avait éclairés sur ce sujet. C’est pourquoi nous voudrions y revenir, d’autant que notre conversation était antérieure aux débats synodaux,  en préparation donc à ceux d’octobre 2015, session définitive.

- Vous dites : « Jamais personne …» ! C’est que vous n’avez pas dû consulter beaucoup, ou que vous avez détourné votre attention sur le bruissement des médias de l’époque, car le sujet n’est pas nouveau. Traité notamment depuis 50 ans à travers les livres soit du P. Bernard Häring, soit du Catéchisme hollandais. Et par des spécialistes divers. Dans l’actualité, en petits articles assez aisés à lire, vous auriez de quoi vous instruire dans des textes récents de L’Homme Nouveau ou de La Nef,  revues courantes et bon marché.

+ Ce qui est trop compliqué n’est pas pour nous. Ce que nous avons surtout aimé chez vous ce sont vos exemples de pastorale personnelle. Votre image de l’épouse flouée par un mari infidèle, qui ne se contente pas des promesses de celui-ci de raréfier ses rencontres avec sa maîtresse, nous en apprend plus que des traités ! Raréfier, petits pas, certes, mais sans sortir du mal, sans changer son but.

- Eh bien, puisque cela vous plaît, je vais vous enrichir de ma façon de faire dans un cas d’actualité immédiate. Il atteint le cas houleux du Synode concernant l’accueil des divorcés remariés à la communion. Il relève aussi le compagnonnage, mais non la confusion des deux lois de pastorale évoquées. Chaque soir vient rejoindre notre Communauté parisienne pour un de ses patients l’infirmier que son hôpital nous envoie. Il est brésilien, catholique de racine. Sa profession semi-libérale lui permet un moment de conversation avec moi, finie sa tournée. Nous sommes devenus amis. Il m’a déclaré être divorcé remarié, père de quatre enfants, puis un jour a ajouté, tout de go: «  Vous m’avez réconcilié avec l’Eglise catholique. J’en étais sorti naguère devant les outrance inacceptables du curé de ma paroisse qui se permettait, en les nommant, de s’en prendre à tel ou tel dans ses prêches. Mais sorti pour aller où ? J’ai tâté des protestants, des pentecôtistes, des méthodistes, de la franc-maçonnerie, des rose-croix, sans y trouver satisfaction. Mais nos entretiens, votre joie à me réapprendre les prières populaires de l’Eglise, le chapelet, l’angelus, m’ont fait réintégrer affectivement le bercail ». De quoi j’étais personnellement très content moi-même, évidemment, non sans noter qu’il n’y allait encore au niveau externe de la loi des petits pas. D’autres viendront sans doute. J’en ajoute toutefois un de plus dans son éclairage. Mon ami, en retard ce jour-là,  est arrivé alors que je commençais la messe dans notre chapelle communautaire. Il est resté jusqu’au bout et, bien  sûr, y a communié comme tout monde. Pas question pour moi de l’éconduire – on verra plus tard ! il n’y aurait rien compris ! Par ailleurs, et ici je sors de mon cas, on nous a toujours enseigné qu’il ne fallait jamais instruire qu’avec discernement un pécheur ignorant la gravité de son état si on devinait qu’il ne changerait pas pour autant de conduite. Ce qui le ferait passer à un niveau subjectivement pire, une descente. Les choses de morale demandent beaucoup de doigté. Une mauvaise conception de la miséricorde et son enflure poussent naturellement vers le plus facile, qui implique une déviation par rapport à la rigueur, ligne objective de départ.

+ Vous nous rapportez encore aux principes, Père Volle.

- C’est sûr et vous allez m’y trouver dans un contentieux qui date d’au moins vingt ans. Pardonnez l’importance que je m’y donne. J’étais opposé alors à l’auteur d’un livre sur notre sujet, du Père François You, aujourd’hui Abbé de monastère olivétain N. de Maylis. Etant donnés les liens d’amitié qui m’unissaient à lui et son Abbaye, je me permettais de critiquer son ouvrage récemment publié « La loi de gradualité », qu’il réduisait, me semblait-il, à laisser place au gris, passage entre le blanc et le noir (ce sont siens propos). Le cardinal Ratzinger l’en aurait félicité. Devant mes réticences il m’écrivit : « Me prenez-vous pour un théologien relativiste ? » A quoi je répondis : «  Mais bien sûr que non, cher Père ! Il suffit que vous acceptiez un seul cas d’absolu en morale, du « jamais » permis, pour échapper à l‘accusation, et c’est certainement votre position, ne serait-ce par exemple qu’en ce qui concerne le secret de la confession. Ce que je regrette dans votre livre, c’est de l’incohérence, une chose et son différent ». Il accepta noblement mes remarques – sans quoi je n’en parlerais pas ici – et publia des réserves sur son propre ouvrage. Chapeau !

+ Si des spécialistes s’y perdent, comment voulez-vous que s’y retrouvent ceux du vulgus pecus ?

- Il y a comme un instinct de sagesse qui fournit des réponses correctes à ceux qui les demandent à Dieu humblement. Même sans théoriser de façon explicite. Nos bons prêtres avec les réunions de doyenné, comme je les ai connues dans ma jeunesse. Merveilleuses pratiques qui permettaient, avant ou après une bonne table, d’élaborer une pastorale qui se tenait ! Et ça doit exister encore ! L’Evangile d’un Jésus à l’aise au milieu des pécheurs de son temps en fournit lumière et chaleur.

+ Dans notre groupe de réflexion, l’un de nous a rapporté un type d’apostolat « par tranches » tiré du livre célèbre des abbés Godin et Daniel, France, pays de mission (1943), d’un jeune d’Action Catholique de l’époque, pas assez bon pour éviter les bals, mais pas assez mauvais non plus pour s’y mal comporter. Un idéal pour vous ?

- Mais non, vous le devinez ! Ce sont là des travaux d’approche « qui n’approchent rien », comme le disait à l’époque notre Père Vallet. La gradualité de la loi y enterre l’autre.

+ Bon, Père Volle, nous en savons assez par rapport à notre demande du début. Laissez-nous digérer ce surplus substantiel. En attendant le Synode d’octobre 2015, point final aux débats du précédent. Et merci encore !

 

En supplément, cette lettre d’un lecteur ami concernant un mien article antérieur : « Votre texte m’a un peu revigoré et remis en ordre les idées que je me faisais de notre pape François, de son « originalité » et des subtilités « rusées » de ses propos. Je suis de ceux qu’il déconcerte et j’ai un peu de mal à suivre les méandres de sa pensée « jésuite », à comprendre notamment son attitude dans la petite tempête qu’à soulevée le dernier Synode à Rome. Mais l’Eglise est notre mère, elle le sera toujours et je l’aime ; je prie pour mieux adhérer à son enseignement et pour qu’elle soit toujours docile à son Esprit qui la guide… » Excellent !

 

Le 15 octobre 2014

 

Homélie du 12 octobre

 

Chers frères et soeurs en Jésus, ne vous sentez-vous pas perplexes devant la page d’Evangile que nous venons de lire ? Tant qu’il s’agissait des autres textes de l’office : les vins capiteux d’Isaïe, les vertes prairies du psaume, le merci de Paul à ses fidèles de Philippes, autant d’images d’attrait concernant le Royaume de Dieu… Mais ici, le ton est bien différent : un roi en colère, du forcing pour faire le plein des noces malgré tout, un resquilleur peut-être mal habillé mais mis à la porte si brutalement… Ne trouvez-vous pas que c’est peu attrayant ? sans y voir de leçons positives à en tirer pour notre compte ? Certes, cela va mieux quand on sait qu’il s’agit d’une parabole et que le langage des paraboles demande de considérer certains détails comme du remplissage ; afin de favoriser l’émergence d’une idée centrale qui serait ici encore, sous la véhémence et les exigences même des appels invitatoires, l’importance du banquet, la douceur proposée de l’intimité divine. Accueillie ou pas.

Pas tellement bien honorées en effet dans notre page, les invitations n’ont pas été pourtant récusées en permanence dans l’historique des hommes, sans quoi il n’y aurait jamais eu de chrétienté sur terre. Votre présence ici en est la preuve.

Il est vrai que Dieu veille à sa maintenance, avec des formes d’action toujours harmonisées à leurs nouveaux contextes. Y mettant du sien au besoin, par un surplus de sa droite, main forte et bras étendu. Notre pape François nous dit que c’est notre époque. Et il le laisse entendre dans l’accentuation qu’il voit – réalité ? souhait ? – pour la pastorale d’aujourd’hui tissée de proximité et d’humanité. De quoi attirer où la rigueur s’avère  de toute évidence inadéquate.

 

Dieu qui y met du sien avec un surplus de sa droite ? Cela ne s’est jamais mieux réalisé qu’en évoquant l’impact sur tout un peuple des apparitions de la Vierge de Guadalupe… Avec quelques jours d’avance pour en fêter l’anniversaire, nous nous instruirons singulièrement ici de la pastorale de Dieu. Il s’agit de l’intervention du Ciel dans l’accession à l’Evangile du peuple mexicain, son entrée massive dans la salle des noces, à partir de l’apparition de la Vierge à un humble fils aztèque de cette terre, Juan Diego. Nous sommes en décembre 1531. A la suite du conquistador Hernan Cortez, une Eglise catholique s’était mise en place depuis quelques années, ave son culte et ses ministres, mais, venant d’ailleurs, imposée de haut, les autochtones n’en voulaient pas, lui tournant  massivement le dos. Puis soudain, en quelques mois, tout a changé. On se rue dans les églises, à demander le baptême. Qu’est-il arrivé ? Notre-Dame ! En des formes si conformes à ce que nous appelons aujourd’hui l’acculturation – justement la proximité et l’humanité de la pastorale évoquée plus haut – que toutes les oppositions sociétaires d’avant en ont été balayées. Elle a un visage d’Indienne, l’idiome du lieu. un vêtement festif, un croissant de lune écrasé sous ses pieds vainqueurs, des fleurs tout autour avec des oiseaux chanteurs, une conversation pleine d’affection. Ajoutons qu’elle est manifestement enceinte, du jamais vu en ses apparitions :

« - Juanito, mon tout petit Juanito, 

- Et vous, chère petite fille, ma Dame, mon Amie ? 

- Mon tout petit Juanito, mon Dieguito. Il faut que tu saches et que tu comprennes, toi, le plus petit de mes enfants, que je suis la Sainte Vierge Marie, Mère du vrai Dieu pour qui l’on doit vivre ; du Créateur qui tient tout entre ses mains, Seigneur du ciel et de la terre. Je souhaite vivement que l’on me construise ici un sanctuaire afin d’y montrer, puisque je suis votre pieuse Mère, tout mon amour, ma compassion, mon appui et ma protection envers vous tous, les habitants de ce sol, et à tous ceux qui m’aiment, qui m’invoquent et qui se confient en moi. Dans ce lieu j’écouterai leurs plaintes et je porterai remède à toutes leurs misères, peines et douleurs… Va trouver l’évêque de Mexico et dis-lui que je t’envoie pour lui faire connaître ces miens désirs Sois sûr que je t’en serai reconnaissante… » 

On connaît la suite… 

« Cette fois-ci c’est chez nous, pour nous ! » Du forcing amoureux en somme ! En maintenant, revenant sur notre terre et contexte propres, ce sera cette réflexion d’un S.D.F. après avoir écouté l’Abbé Pierre : « Si Dieu est comme ça, alors j’en veux bien ! »

Proximité et bonté, ne pensez-vous pas que nous aurions profit nous-mêmes à entrer plus avant que nous le faisons dans cette double ligne d’action ? D’apostolat, évidemment, pour rester dans la perspective d’invitation aux noces royales, mais en même temps pour un impact personnel croissant en intimité divine, cœur du Royaume ? Ce sera un rapprochement avec tel ami aux relations devenues tendues, une prise de conscience des besoins d’un voisin de rue ou de palier, l’intérêt soudainement éveillé pour une visite d’hôpital, une modification de langage à l’égard  du « prochain-proche » par excellence, ma femme, mon mari, tel de nos enfants particulièrement difficile.

Ce sont là, malgré un décalage de niveau, en petit donc pour nous, quelques leçons cohérentes avec la pédagogie de la Madone mexicaine, un prolongement de nos réflexions d’Evangile, une liaison harmonieuse avec  nos autres textes de l’office, symboliques du Royaume : les vins fins d’Isaïe, les prairies grasses du psaume, la satisfaction de saint Paul dans son épître… Nazareth ou Guadalupe, c’est pareil.

Son programme missionnaire à mettre en œuvre dès la sortie, en commençant peut-être par un regard les yeux dans les yeux d’un S.D.F , avec une caresse à son chien quand c’est possible. D’accord ? Et moi avec vous !

Sous des apparences pauvres, du divin quelque part !

Le 2 septembre 2014

 

Un dénominateur commun des religions ?

 

+ Père Volle, comme nous en avons l’habitude, nous venons vous consulter lorsque des questions de votre ressort agitent notre groupe d’amis. C’est précisément notre cas ces jours-ci… Nous étions ensemble à l’écoute d’un universitaire de haut vol qui nous a montré ce qu’il appelait « le dénominateur commun » des religions. Son but visait à l’apaisement des tensions entre les tenants de divers Credo. Noble intention sans doute mais qui nous a laissés plus ou moins perplexes sur l’originalité et finalement la crédibilité du christianisme. Si on trouve ses éléments constitutifs dans la plupart des autres religions, comment pouvons-nous nous croire à détenir seuls les voies du salut ? Jusqu’à devoir y laisser la vie si, d’aventure, on nous mettait ainsi au pied du mur ? Et déjà simplement tenir fermes, sans nous laisser impressionner de trop, dans la pression idéologique relativiste que vous connaissez bien ?

- C’est beau, de votre part, de vous intéresser à un tel sujet. Il est à la fois très actuel et très ancien. Les Pères de l’Eglise restent nos maîtres en matière de foi. Or ils étaient la plupart du temps, en même temps, des philosophes. Surtout lorsqu’ils étaient des convertis, ils ne larguaient pas totalement leur science religieuse antérieure en épousant la Voie du Christ. Ils savaient comparer, purifier, passer éventuellement au crible de la critique, mais en même temps ils s’engouffraient avec une admiration non dissimulée devant ce qu’ils considéraient comme une nouveauté absolue, à savoir le Christ lui-même, événement complètement inédit, transcendant, singulièrement exigeant, dominant toute l’histoire et la colorant en tous ses aspects. La philosophie grecque en particulier, possédée à fond par d’aucuns, leur donnait assez de lucidité pour le tri nécessaire. C’est pourquoi, au sein des vérités comme des erreurs drainées par les courants de pensée qu’ils abandonnaient, de leurs programmes respectifs de beauté, bonté, ou moraux, ils discernaient des traits qu’ils rapprochaient des enseignements de l’Evangile. Leur philosophie elle-même leur fournissait la lumière pour pouvoir parler alors de  « semences du Verbe » éparses dans la création.

+ C’est un peu difficile pour nous !

- Figurez-vous que j’ai eu l’occasion naguère de batailler sur le point précis qui vous amène, point et programme de morale. Et cela avec un adversaire de taille puisque Doyen d’une de nos Facultés de théologie catholique. Tout comme votre conférencier du début, il soutenait qu’on pouvait trouver du répondant dans les autres religions à la plupart de nos propositions chrétiennes.

+ Vous  lui avez dit ou écrit quoi ?

- Qu’il était à coté de la plaque !

+ Tout de go, comme ça ?

- Non, bien sûr, avec des formes polies, voire policées.

+ Et il vous a répondu quoi ?

- Il m’a envoyé promener, comme un ignorant !

+ Et ça a fini comment ?

- Par une énorme satisfaction de ma part, notre Pape, Jean-Paul II à l’époque, ayant fait allusion, dans un de ses discours, à la position d’en face jugée par lui aberrante : « Il est insensé de taire la nouveauté morale chrétienne… » Ce n’était pas peu amusant pour moi, ancien gardien de chèvres (oh, quatre biques, durant les vacances !) et quasiment sans bagage universitaire, d’avoir raison contre un personnage sans doute bourré de diplômes !

 + Et alors cet illustre correspondant ?

- Il a réagi comme il l’a voulu.  Je ne reçus et ne voulus lire plus rien de lui !

+ On aimerait savoir tout de même quelle argumentation vous lui opposiez !

- Plutôt que d’en retrouver les termes, je vais me servir de l’image qui m’inspirait et demeure en moi pour vous satisfaire. Il s’agit de différencier, d’une part le matériau et la forme ; d’autre part de distinguer la partie et le tout. Imaginez donc une ville qui s’édifie, intentionnellement ou non, près d’une carrière de pierres. En fonction des besoins et peu à peu, il sera normal d’en exploiter les gisements pour ses constructions. On aura ainsi des demeures modestes, de riches villas et des châteaux. Même matériau, mais disposé différemment, selon le coût, les exigences de temps, les dispositions du terrain, et divers autres intérêts en cause. Le petit propriétaire pourra bien dire : « Ma maison ressemble à celle du châtelain », ce ne sera vrai que par le biais du matériau ou de quelque détail de style , non pour une totalité d’édifice. Ou l’autre pourrait bien admettre d’ailleurs « qu’il n’a guère utilisé que de la pierre commune ».

 D’autres terrains de discussion auraient pu tout aussi bien nous convenir. Les anciens se plaisaient à aligner face à face, pour les comparer, tant du point de vue consonances que dissonances, les réalités terrestres : la terre, l’air, l’eau et le feu. On peut très bien parler encore des quatre briques qui les construisent : l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, le carbone…. Nous aimons aujourd’hui retrouver une énorme masse de données communes d’ordre biologique entre vivants et non vivants, plantes et animaux, animaux entre eux et l’homme, entre nous, humains. Un tout petit quelque chose parfois, mais ce petit quelque chose, c’est tout ! Ainsi entre nous trois en ce moment ! En raisonnant à l’envers, on peut monter un puzzle avec des pièces tirées d’originaux les plus différents. A la limite du fantasque, ce sera la figure humaine avec du matériau « fruits et légumes », (« L’automne »), ou « fruits de mer », (« L’Amiral »), de Giuseppe Arcimboldo…

+ Mais c’est très éclairant tout cela ! Votre altier correspondant aurait pu en convenir !

- D’accord, je le pense aussi mais n’en parlons plus ! Ou plutôt si, mais avec vous pour élargir les perspectives. Partir des différences entre les religions par le biais des citations de textes apporte quelques lumières à notre cause, mais il est bien évident que ce sont la présence ou l’absence de Jésus-Christ, Dieu incarné, qui font tout basculer. Saint Augustin devenu chrétien ne voyait les choses que sous cet angle : que Zarathoustra, que Platon aient dit ceci ou cela, que  Confucius, que Bouddha, etc., quel intérêt pour moi si je n’y retrouve pas Jésus-Christ ! C’est lui la source universelle du vrai, mais il embaume de sa divinité ses seules paroles et c’est lui seul qui me jugera !

+ Notre conférencier de départ ne le mettait pas en cause.

- Peut-être, mais il n’en voyait sans doute pas toute l’importance. Il lui aurait suffi pourtant de constater que Jésus a coupé le temps en deux : ante-Christum et post-Christum.

   Ceci dit, mes amis, si vous le voulez bien, nous allons changer de registre. J’ai répondu de mon mieux à votre question précise, situant les choses à un niveau doctrinal, mais aujourd’hui il faut envisager ce qu’exige, en plus grande profondeur, le « vivre ensemble » de l’humanité. Tout y semble à feu et à sang. Du coup, il faut chercher ce qui unit plus que ce qui divise. C’est à quoi nous invitent nos leaders religieux autant que politiques. L’actualité impose des bémols à la polémique. Sans compter les exigences d’une nouvelle évangélisation, qui passe par la culture du dialogue et de la rencontre. Plus encore que ses devanciers, notre Pape François insiste  beaucoup là-dessus. A titre d’exemple ce mot de lui : « Ne va pas à la rencontre de l’autre pour le convaincre de devenir catholique, non, non ! Va le rencontrer parce qu’il est ton frère ! (…) Si tu vas l’aider, Jésus et l’Esprit-Saint feront le reste. » (Message du 7 août, pour la fête de saint Gaétan). A rapprocher de Mère Teresa : Un hindou s’adresse à elle sur un ton de perplexité : « Vous voulez nous convertir au christianisme avec vos oeuvres de charité ? » – Réponse de la Religieuse : « Il ne s’agit pas de cela pour moi. Ce que je veux, c’est vous entraîner vous-même à la charité. Votre cœur en deviendra disponible aux appels de Dieu. La suite dépendra de lui et de vous. ». Notre Pape voit l’apostolat comme un attrait et non comme une conquête : la mission devenant communication d’un désir, Jésus-Christ faisant tache d’huile, huile parfumée, humée avec plaisir… C’est peut-être un peu poétique, mais on serait déstabilisé à lui manquer de confiance. (1)

+ Nous l’avons constaté, en effet

- Pourtant ne rien absolutiser chez lui car on le donne pour avoir inauguré un « pontificat à la pensée incomplète », c’est à dire fait d’ajouts successifs. Par ailleurs vous pourrez toujours prolonger pour votre compte notre dialogue du début car son importance spéculative demeure. J’ai trouvé pour le mien beaucoup d’intérêt à lire les pages que lui consacre le Père, et un jour cardinal, Henri de Lubac, dans son livre savant Théologie dans l’Histoire – La lumière du Christ, p. 203-211, et suivantes (2). Genèse, continuité, nouveauté dans notre foi. Pas cette radicalité toutefois, que vous avez appelé « mise au pied du mur » en vous situant devant l’éventualité du martyre. C’est plus nuancé ! Il faudra que vous le recommandiez à votre conférencier !

+ Et vous dans ce cas à votre illustre Doyen !

- O.K ! C’est pas bête !

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(1) Pour d’aucuns de telles démarches d’approche s’éloigneraient de l’annonce missionnaire authentique. On ne les comprendra correctement qu’en les situant dans un contexte élargi. Me vient ici à l’esprit ce que j’ai lu dans la biographie de Christian de Chergé, le Prieur des moines martyrs de Thibirine, tiré de sa conversation fréquente avec Mohammed, son voisin et ami musulman. Ils évoquent ensemble la thématique du puits. Un jour, par mode de plaisanterie, le Père pose la question :  « Et au fonds de notre puits, qu’est-ce que nous allons trouver ? de l’eau musulmane ou de l’eau chrétienne ? » Réponse de Mohammed : « Tu sais, au fond de ce puits-là, ce qu’on trouve, c’est l’eau de Dieu. » J’aime penser que le Père a ajouté, au moins mentalement, comme une donnée de sa foi chrétienne, le « per ipsum, et cum ipso et in ipso » de sa Messe, les mots qui précèdent le Notre Père : « Par lui (Jésus-Christ), avec lui et en lui, à Toi, Dieu le Père Tout-Puissant, tout honneur et toute gloire. Pour les siècles des siècles. » (cf aussi le pape François dans La Joie de l’Evangile n° 246 -251)

 (2) – « Les pas de Darius avaient marché pour lui / C’est lui qu’on attendait au fin fond de la Perse / Et les pas d’Alexandre avaient marché pour lui / Du palais paternel aux rives de l’Euphrate / Les rêves de Platon avaient marché pour lui / Du cachot de Socrate aux prisons de Sicile / Les règles d’Aristote avaient marché pour lui / Du cheval d’Alexandre aux règles scolastiques /…Il allait hériter de tout l’effort humain / Et pourtant il allait tout entier le refaire… » (Charles Péguy, dans « Eve »)

Le 28 juillet 2014

 

Des bienfaits de l’institution

 

Sous notre titre, le Père Thierry-Dominique Humbrecht o.p. expose  dans la Revue La nef de juillet-août 2014, un problème qui n’a pu échapper à nos sociologues religieux : celui de brillants mouvements terminés en nauséabondes révélations de fondateurs longtemps adulés,  mouvements rescapés ensuite tant bien que mal, ou finis carrément en queue de poisson. Comment expliquer un tel contraste ?

« Les années qui suivirent Vatican II furent celles d’une crise qui affecta l’institution. L’Eglise se vit contestée par ceux qui continuaient néanmoins à vivre d’elle, semant le trouble partout et poursuivant bourgeoisement leur marche au pouvoir culturel. D’innombrables lieux de formation intellectuelle et spirituelle fermèrent par autodestruction, sous les applaudissements des uns et l’aveuglement des autres. Dans les années 70, des prêtres ou des laïcs, dotés de fortes personnalités, réagirent et cherchèrent à sauver ce qui pouvait l’être. Certains fondèrent des communautés, qui virent affluer des centaines de jeunes en recherche de radicalité et de ferveur. Tout cela en marge des institutions locales, qui souvent comprenaient mal leurs objectifs, pour des raisons diverses de distance, entre idées et réseaux. Malgré les apparences, alors qu’il s’agissait pour ces jeunes fondations de sauver le sens de l’institution, c’est elle qui leur a cependant doublement fait défaut, à leur naissance et pendant leur croissance, obligées qu’elles étaient de se développer un pied dehors et un pied dedans. L’écosystème de l’Eglise leur a manqué, vivificateur, régulateur et facteur de pluralité. Les plus opposés à cette époque soixante-huitarde, laquelle bradait toute forme d’autorité et d’institution, continuaient à dépendre d’elle sans le savoir. Ils reproduisaient à l’envers le  déficit des normes, au moment où ils s’en réclamaient.

La faiblesse de l’institution se traduit par une excroissance de l’affectif. La règle objective, autorité fondée en raison et expliquée en vérité, préserve de la volonté de puissance. Elle libère de soi, de l’amour fusionnel et des caprices des autres… La forte demande du public a parfois rencontré les propres défaillances des fondateurs et suscité une offre typique de l’époque : un ministère spirituel starisé, où les règles s’effacent au profit du charisme personnel. Le réseau des relations remplace le tissu ecclésial. La volonté d’union fusionnelle l’emporte sur le respect de l’altérité. La nécessité de l’institution ecclésiale apparaît plus que jamais. Elle nourrit l’écosystème de la communauté chrétienne, c’est à dire la pertinence des projets, leur bon fonctionnement, un légitime pluralisme et l’application du droit de l’Eglise. D’où l’hypocrisie des pourfendeurs de l’institution, qui ne vivent cependant que par elle, parasitaires comme du gui sur un chêne, et déclarent s’étouffer d’indignation des représentants de celle-ci. Ils dénoncent le pouvoir lorsqu’ils ne l’exercent pas eux-mêmes… Ce qui sauve les communautés et leur donne leur respiration, ce sont les élections régulières et le remplacement normal de leurs cadres. Un brin de collégialité déjà les assouplit… La vie sourd à nouveau dès que le charisme s’incarne dans et par l’institution. Ce qui revient à prendre de définitives distances avec le soixante-huitisme ecclésial autant que sociétal. »

En simplifiant : les fondateurs des mouvements auxquels renvoie notre auteur ont été mis en difficulté par l’enthousiasme même de leurs fans. Ils n’ont pas su l’encadrer à temps. Et peut-être ne le pouvaient-ils pas, étant eux-mêmes plus ou moins contaminés, à leur insu, par l’esprit libertaire. Mais on ne fait rien de durable sur du souffle… On part ordinairement dans l’outrance, puis il faut marquer l’arrêt… Merveilleuse et toujours exemplaire la façon de Jésus-Christ dans le choix diversifié et la lente formation de ses disciples… « Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne survit que par les moyens. » Le souci de Napoléon, alors Premier Consul, de « recréer les masses de granit » contre la pulvérisation comme grains de sable de la société française, par la tourmente révolutionnaire : préfet, maire, code civil, lycée, légion d’honneur… Chi va piano va sano. Mais aussi à l’envers, et dans la souplesse.

 

Le 26 juin 2014

La mystique dans « La joie de l’Evangile ».

 

   Le 24 novembre 2013, fête cette année–là du Christ-Roi, le pape François publiait son Exhortation La joie de l’Evangile. Bien que l’auteur ne prétende qu’à « quelques réflexions » (n°260), il s’y donne en fait quasiment une dimension de prophète.

   C’est ainsi qu’il voit partout de la mystique : dans le peuple, dans la rencontre, dans le pauvre, dans ces périphéries existentielles dont il raffole : « Sortez, sortez, sortez, Dieu est là ! »… De quoi surprendre assurément.

   Dans le langage commun religieux, en effet, « vie mystique » ou « phénomènes mystiques » renvoient plutôt à une rencontre supposée avec le divin dans une forte dose de subjectivisme. Et souvent avec quelque méfiance dans l’entourage, soit devant quelqu’un qui n’a guère les pieds sur terre tant sa piété l’attire ailleurs, soit devant un illuminé qui n’a plus tout à fait sa tête. Et voilà au contraire notre Pape qui ramène la chose au niveau ordinaire. Avec en plus des qualificatifs d’attrait. La mystique est présentée par lui comme une révélation du visage de Dieu, un « lieu théologique » (1), source donc de la foi, enracinement de notre identité de chrétiens (n°126).  Joie de vivre en plus si on s’y laisse prendre !

    « Mystique », c’est le langage du pape François, notamment pour présenter la piété populaire ;  en périphrases ou textuellement (la mistica popular, n°105) avec les évêques latino-américains d’Aparecida : « Le substrat chrétien de certains peuples - surtout occidentaux - est une réalité vivante… Il faut reconnaître là beaucoup plus que des « semences du Verbe », étant donné qu’il s’agit d’une foi catholique authentique avec des modalités propres d’expression et d’appartenance à l’Eglise » (n°68)… La présence (en eux) de l’Esprit-Saint donne aux chrétiens une certaine connaturalité avec les réalités divines et une sagesse qui leur permet de les comprendre de manière intuitive, même s’ils ne disposent pas des moyens appropriés pour les exprimer avec précision » (n°119). « La mystique populaire accueille à sa manière l’Evangile tout entier, et l’incarne sous forme de prière, de fraternité, de justice, de lutte et de fête. » (n°237) «  Ses expressions ont beaucoup à nous apprendre et, pour qui sait les lire, elles sont un lieu théologal  auquel nous devons prêter attention, en particulier au moment où nous pensons à la nouvelle évangélisation. » (n°126). Le prédicateur doit y être très attentif : « Il y a une sensibilité spirituelle pour lire dans les évènements le message de Dieu. » (n°154)

   Ailleurs, exposant les formes et moyens modernes d’évangélisation, le pape François nous pousse à découvrir et transmettre « la mystique du vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer » (n°87). « Quand nous vivons la mystique de nous rapprocher des autres, afin de rechercher leur bien… dans l’amour, notre foi s’illumine pour reconnaître Dieu. » (n°272) « Au-delà de toute apparence, chaque être est infiniment sacré et mérite toute notre affection et notre dévouement. C’est pourquoi, si je réussis à aider une seule personne à vivre mieux, cela justifie déjà le don de ma vie… Nous atteignons la plénitude quand nous brisons les murs, pour que notre cœur se remplisse de visages et de noms ! » (n°274) « L’Eglise devra initier ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs - à l’art de l’accompagnement pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (Ex 3,5). (n°169). Evangélisation spontanément et en tout lieu. » (n°127)

   C’est plus encore en s’exprimant au niveau des pauvres que le pape François invite ses lecteurs à découvrir en eux le visage de Dieu. Ils sont à ses yeux le lieu par excellence de son dévoilement : « Pour l’Eglise l’option pour les pauvres est une catégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique ou philosophique… Elle est une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise. Cette option est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir par sa pauvreté. Pour cette raison, je désire une Eglise pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances, ils connaissent le Christ, ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences et à les mettre au centre du cheminement de l’Eglise. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer par eux » (n°198) – « Message si clair, si direct, si simple et éloquent qu’aucune herméneutique ecclésiale n’a le droit de relativiser. » (n°194)

   Et de terminer son enseignement véhément sur ce sujet par une inquiétude : «  Je crains que ces paroles fassent seulement l’objet de quelques commentaires sans véritables conséquences pratiques. Malgré tout, j’ai confiance dans l’ouverture et dans les bonnes dispositions des chrétiens, et je vous demande de rechercher communautairement de nouveaux chemins pour accueillir cette proposition renouvelée. » (n°201)

   Etrangeté du langage ? Oui et non. On le trouve en quantité de textes de la littérature chrétienne, mettons par exemple en Bossuet, mais ici c’est la vigueur du ton qui dénote, et surtout « ça vient de haut ».

   Il me semble que pour saisir ce Dieu mystérieux, caché dans le peuple, dans la rencontre, dans le pauvre, etc, il faut y aller de sa personne par quelque biais. Sans qu’y suffise la lecture d’une exhortation comme la nôtre. Pourtant je dois dire là-dessus que, lecture sur lecture, méditation sur méditation, avec un léger suivi d’application, j’ai beaucoup appris. Certaines phrases du texte m’ont sauté au visage. Presque comme il arrive en découvrant la troisième dimension d’un stéréogramme !  

 

 

1 – « On appelle lieux théologiques les paroles et les événements qui fondent notre foi, comme la Sainte Ecriture, la vie du Christ, l’enseignement des apôtres ; ou ce qui fait la vie de l’Eglise : enseignement des Pères, des théologiens, des conciles, des papes, et la liturgie . » (Père Valentin Tappazzon, dans Le Messager de Saint Antoine, décembre 2006

 

Francis Volle CPCR

Le 10 mai 2014

 

Pour retrouver l’espérance

 

Les fêtes liturgiques du Seigneur sont toutes des « mystères » qu’on interprétera de bien des façons, en vue d’applications diverses. Celle de l’Ascension y ajoute du sien par son côté spectaculaire…

« Qu’avez-vous à regarder le ciel ? » (Act 1,11), renverra, bien sûr, aux tâches de la terre.

« Votre Jésus reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller. » (Act 1,12) introduit des perspectives d’Apocalypse dans la vision…

Et d’autres leçons tirées par les témoins eux-mêmes dans la trajectoire des Actes des Apôtres.

Une d’entre elles me semble revêtir un intérêt d’actualité particulier. Il naît du contraste entre la privation de leur Maître pour les disciples et la joie qui pourtant les submerge. Où l’on s’attendrait plutôt à des lamentations, regrets et larmes, le récit nous enseigne que tous retournèrent à Jérusalem « avec une grande joie ». (Lc 24,52)

D’où peut-elle leur venir ? Qu’on sache la réponse pour conforter tant de fidèles dans l’épreuve, et notamment nos frères chrétiens persécutés, menacés de désespérance.

Serait-ce le fruit d’une méditation à partir des enseignements antérieurs du Maître, lorsqu’il leur parlait, au soir de la Cène, des avantages de son départ ? « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père vous préparer une place dans sa Maison, et d’où je vous enverrai l’Esprit Saint » ?  (Jn 14,2, 16,8, 16,28)

Il s’agit bien de cela, certes, mais pas sur le mode d’une réflexion méditative. En effet, on ne peut comprendre leur joie qu’à partir d’une attraction puissante, laquelle les fait s’oublier entièrement au profit de leur bien-aimé Seigneur.

C’est facile à admettre pour la Vierge Marie qui n’en est pas à parler d’avantages personnels. Qu’importe pour elle ! Mais c’est vrai aussi pour les disciples, dans un dépassement total de leur profit : « Quelle importance désormais ! » 

En revanche, on ne peut tenir légèrement ce langage à ceux qui sont dans l’épreuve. On cherche d’abord à les en alléger. Cependant, la désespérance qui menace nos frères ne sera pas tant résolue par des secours d’ordre matériel, quelque urgence qu’il y ait, que par les secours spirituels liés directement à la foi, à la vie liturgique, à la piété. Les choses ne s’opposent pas d’ailleurs. On saura privilégier pourtant celles qui ne se contentent pas d’être des O.N.G., termes repris de notre pape François.

L’actualité de cette présentation de l’Ascension vient de la nécessité pour des chrétiens d’aimer Jésus-Christ plus que tout. Lorsque je suis entré au monastère laissant mes proches en désarroi, maman m’a dit pourtant, lors d’une première visite : « Mais si tu es heureux, nous, nous ferons bien comme nous pourrons ! », allusion aux difficultés de notre pauvre ferme cévénole, privée désormais d’un de ses membres.

Nous avec lui dans son Ascension.

 

Témoin et compagnon de martyre : le Frère Marie-Nizier

 

La figure de saint Pierre Chanel, Père Mariste, premier martyr d’Océanie, est d’une telle fulgurance, qu’on serait tenté de ne voir ses « documentalistes » que sous un angle utilitaire : ceux qui ont permis d’en écrire la biographie. Alors qu’eux mêmes sont très dignes d’une publication personnelle. C’est le cas en particulier du Frère Marie-Nizier (Jean-Marie Delorme). Et cela pour la totalité de sa trajectoire religieuse, mais spécialement en tant que compagnon du Père, à Futuna, durant 3 ans ½ (du 12 novembre 1837 au 28 avril 1841, date du martyre). Il est heureux qu’un Frère Mariste, Frère Joseph Ronzon, éveillé par certains textes venant de son confrère d’antan, ait voulu, à partir de 1994, obvier à la carence. Il a su et pu pour cela réunir et publier les archives, en bonne part d’ailleurs élaborées dans ce but par l’intéressé lui-même lors de sa fin de vie à Sydney puis Londres (mort le 3 février 1874).

Voici la liste des lettres, rédigées de sa main et conservées de lui : 3 au Père Marcellin Champagnat, le Fondateur, dont il avait reçu l’habit religieux le 8 décembre 1833 - 1 au Frère François, son successeur comme Supérieur Général de Frères Maristes - 2 aux Frères de l’Hermitage, ses anciens confrères - 3 à Mgr Pompallier, Vicaire apostolique de l’époque en Océanie – 17 au Père Colin, alors Supérieur général de la Société de Marie – 9 au Père Poupinel, secrétaire du précédent – 1 au Père Junillon. De quoi situer en toute assurance Frère Marie-Nizier Religieux à part entière dans la Société des Frères Maristes, tant avant qu’après l’approbation canonique de celle-ci par le Saint-Siège en 1852.

Envoyé en Océanie, en compagnie de 5 Pères, dont deux deviendront évêques par la suite, (P. Bataillon et P. Pompalier), et deux frères (« servants » comme lui, c’est à dire collaborateurs non prêtres des premiers), il va être, à Futuna, le second du futur martyr, tous deux pionniers inséparables d’une première et dure évangélisation en cette terre lointaine.

Les premières biographies du Père Chanel, tout en situant honnêtement le travail de l’un et de l’autre, se centrent pourtant davantage, c’est normal, sur le martyr, laissant quelque peu dans l’ombre celui qui fut son bras droit. Encore qu’on lui doive l’essentiel de tels ouvrages, à savoir son témoignage de première main sur le martyre. Il n’était pas présent à l’heure du drame, mais en recueillait sur place dès le matin suivant tous les échos.

Le Père Ronzon fait quasiment œuvre de justice en lui consacrant, en gros, les 216 pages de son livre (Imprimerie des Monts du Lyonnais, 1995).

C’est ainsi qu’émerge sous sa plume un Frère Mariste de haute stature, humaine et religieuse. Plein de qualités physiques, intellectuelles (Brevet élémentaire d’époque, doué pour les langues, excellent catéchiste, maître d’école), morales, et surtout pratiques : l’homme à tout faire : infirmier, barbier (du roi !), cuisinier, savetier, tailleur, agriculteur, fermier etc.

Même si cela va de soi pour un Religieux on reste profondément édifié par ce qu’on peut énumérer comme composantes de sa charité : douceur, humilité, patience, oubli de soi, facilité à pardonner, etc. Mais il faut voir le contexte, notamment l’autoritarisme d’un terrible Supérieur (Mgr Bataillon). On peut bien lui pardonner dès lors quelques échappées de mauvaise humeur ! Dur ! Dur !

La disparition tragique du Père Chanel sera évidemment pour lui une page à tourner, bien qu’il passe encore quelques années à Futuna. Il y sera progressivement secondé, remplacé et… un peu oublié.

Le livre du Frère Joseph Ronzon n’est pas de grande esthétique. Fait d’ajouts successifs, de reprises et de répétitions, donc de bric et de broc, on en aimerait une refonte. Mais tel qu’il est il donne envie d’être bon, très bon, très bon Frère Mariste. C’est quand même l’essentiel !

Le 14 avril 2014

 

 

Pour aider des conférenciers d’occasion

 

+ Bonjour, Père Volle, nous revoilà, si vous voulez bien nous recevoir !

- Bien sûr, mais effectivement c’est à peu de jours de votre dernière visite ! A croire qu’il y a chez vous du nouveau et de l’urgent !

+ Quelque chose de ça, oui ! Notre Père curé, dans une tournée de quartier, s’est entendu dire qu’il y avait du « facho » dans le Notre Père. Il s’en est ému et a programmé sa prochaine causerie de paroisse sur ce sujet. En nous demandant de la prendre en charge.

- Du « facho » dans le Notre Père, ça, oui, ce serait grave ! Je comprends l’émoi de votre curé et me réjouis qu’il s’en prenne à l’expression, intéressante pourtant dans son outrance même. Tout comme je me réjouis de voir qu’il a fait appel à vous pour sa causerie. C’est chaque mois ?

+ Sur des sujets divers, oui !

– Pour combien de personnes d’ordinaire ?

+ Une vingtaine !

– Alors, des habitués, c’est du gagné d’avance ! Vous n’aurez pas beaucoup d’opposition !

+ D’accord, mais nous nous sommes piqués au jeu, tant il nous permettait, dans une ambiance favorable, d’approfondir l’idéologie sous-jacente à l’expression.

- C’est plus qu’une boutade pour vous ?

+ Du moins ce peut être analysé en sérieux, au-delà de l’amusette, du scepticisme, on n’ose dire du blasphème.

- Du blasphème ? supposons que non, dans une conversation de quartier, encore que… Ce serait comme cracher sur ce que le Seigneur nous a laissé de plus délicieux, en plus de sa personne. Dans ce cas je vous rejoins, après avoir paru vous montrer de l’étonnement. Bien plus, je crois (sauf incorrection vis à vis de Jésus, de quoi lui en demander pardon d’avance), je crois qu’on peut effectivement trouver du « facho » dans sa prière, ou du paternalisme, ou de l’anti-républicain, ou de l’anti-démocratique, ou tout ce que vous voudrez, selon ce que l’on mettrait sous les termes. Ca sonne très mal, mais allons-y !

+ C’est du « mai 68 », pas vrai ?

- Oui, pour ceux qui inscrivaient sur nos murs parisiens que « le père, ça pue ! » ou qu’ « il est interdit d’interdire », et tout autant d’imposer. Et encore : « Sous les pavés (des barricades), la plage (de la jouissance) ! » Du recuit donc en ce sens, mais voyez qu’on y revient avec les retombées familiales du gender : « père, mère, ça fait quelque part conservateur, tradi, vieux jeu, quoi ! » Ce qui est monstrueux déjà au niveau du bon sens, la paternité étant, avec la maternité, la plus belle et la plus féconde à jamais des réalisations de l’homme. Mais, au point où nous en sommes, dans le rejet de l’ordre naturel le plus élémentaire et fondamental, c’est logique : ni Dieu, ni maître, la création, qui impose ses codes de vie, est de trop. Avec un donné antécédent, on ne pourrait plus penser comme on veut. Si un plan nous surplombe, on n’est plus libre. Mort aux commandements, surtout ceux du Décalogue ! Homo Deus Dei ipsius : L’homme, Dieu de Dieu lui-même !

+ La philosophie des Lumières ?

- Appliquée à un niveau de bas étage, langage inclus... Pour en dédommager notre Père du ciel, dans sa bonté outragée de Créateur, nous aurions envie de lui en demander pardon. D’autant que nous sommes introduits dans une dimension filiale, celle qui permet de le prier en l’appelant Abba ! Un si beau cadeau ! Si mal reçu par d’aucuns ! Je vais vous citer encore Jean Jaurès, dans une de ses envolées tonitruantes, pour vous montrer jusqu’où peut aller l’outrance, inclusivement chez un homme intelligent : « Si l’idée même de Dieu prenait une forme palpable, si Dieu lui-même se dressait, visible, sur les multitudes, le premier devoir de l’homme serait de lui refuser l’obéissance ou de le traiter comme l’égal avec qui l’on discute, et non comme le maître que l’on subit ».

+ Nous vous enregistrons, Père Volle. Vos paroles sont autant de munitions pour notre causerie !

- Des munitions ? Non, ou alors des flèches à toucher le cœur. Et pas que les anarchistes de toujours ou les anti-fachos estampillés d’aujourd’hui, car, à moindre charge d’hostilité, nous trouvons des relents de leur esprit libertaire en des chrétiens, nos frères. Ceux-ci supportent mal, par exemple, les premiers mots de notre Credo sur la toute-puissance de Dieu, ou quelque dessein d’éternité dominant nos vies. Vous n’en avez pas rencontré de cette mentalité ? Vous, ou bien votre curé ?

+ Oh que si ! Sans que les qualificatifs de tendresse accolés aux termes les désarment. Ca reste contraignant, à leur avis.

- Cela se comprend. Croire en un Dieu « tout puissant en amour » n’évite pas de supposer en lui une exigence de retour. Le dessein dit « bienveillant » d’un saint Paul répétitif n’exclut pas cette même réponse. Nous sommes devenus si auto-suffisants que les cadeaux eux-mêmes nous sont suspects, dès qu’ils demandent un merci. La prédication de l’Evangile en est évidemment affectée. Enseigner, voire simplement proposer, c’est surplomber.

+ Oui, nous avons rencontré ça. Il ne nous resterait que la conversation sur un plan d’égalité, l’amitié, celle qui fait des égaux ou les suppose, le dialogue cordial, si on y arrive.

- Notre Pape François nous y encourage vivement, le poussant jusqu’aux extrêmes, les « lointains » comme il dit. Dans cette disposition d’esprit à leur égard qui ressort de l’empathie, se mettre à la place de l’autre, en sentant instinctivement ses besoins et en reconnaissant ses richesses. Pour cela correspondre à sa longueur d’onde... La perspective n’est pas tellement nouvelle, tant elle relève de l’expérience journalière. Nous l’avons souvent trouvée en Pascal quand il nous enseignait à présenter notre discours comme aimable, souhaitable, afin de donner envie qu’il soit vrai et de le faire alors accepter. Ou en saint Ignace, invitant ses frères d’apostolat à « entrer par la porte de l’autre et ressortir avec lui par la nôtre ». J’ajoute ici le mot, à la fois bonasse et profond, de Gustave Thibon : «  Pour s’entendre, il faut s’entendre », c’est à dire que pour s’écouter, puis arriver à se comprendre, il faut déjà une bienveillance réciproque… Il y a pourtant du nouveau dans les lois de l’évangélisation, avec le dialogue entendu dans le sens énoncé de nos grands Papes actuels. Sans trop savoir ce que ça donnera !

+ Ni le rechercher ?

- Je suis un peu embarrassé pour vous répondre. Oui, bien sûr qu’il faut le rechercher ou du moins le souhaiter, mais sans prendre la place de l’Esprit-Saint. Peut-être y a-t-il là un renvoi à la discrétion plus poussée que dans les méthodes traditionnelles d’apostolat.

+ Il ne semble pas que les prédicants évangélistes aillent par cette voie !

- Malheureusement ! Ce qui nuit beaucoup en ce moment à nos missionnaires, notamment en Amérique latine et en Afrique. Notre Pape François l’a constaté tout le premier en son pays, l’Argentine, mais il prêche pour les siens, pas pour les autres !

+ C’est jouer perdant !

- Les lois de l’évangélisation sont essentiellement du domaine de la grâce.

+ N’est-ce pas enterrer la vigueur d’enseignement qui nous a donné la plupart de nos martyrs ?

- Je comprends aussi, sans me départir de l’accentuation souhaitée à la discrétion.

+ Nous aimerions revenir, Père Volle, à notre anti-facho du début.

- Il n’a été que le point de départ à des réflexions élargies. En lui-même il ne nous intéresse guère. Le tour d’esprit impliqué dans son propos me paraît ressortir encore plus de la bêtise que de la méchanceté. Comme pour l’humoriste à la T.V. qui croyait se rendre rigolo par sa prière moqueuse : « Notre Père qui êtes au cieux…restez-y ! »

+ Complètement idiot !

- Ou comme l’autre « Ne dites pas Seigneur (avec un e) mais saigneur (avec un a) ». Ca fait mal tout de même ! Quand on compare avec la conviction fondamentale du croyant, croyant en la bonté du Créateur, croyant en la fécondité de sa volonté, quand on pense à la complaisance énamourée des saints pour cette volonté (leur maison, leur refuge, leur nourriture !), alors on saisit mieux ce qui sépare le ciel de l’enfer, et vice versa… En ce qui concerne l’auditoire qui va vous écouter, cherchez essentiellement à la leur faire aimer. « Serviteur de Dieu », « Servante de Dieu », autant de louanges sur les lèvres pour qui s’y entend, langage si propre de notre Eglise .

+ Peut-être pourrions-nous en profiter pour aborder le thème de la Providence qui fait aussi problème pour certains chrétiens ?

- C’est du pareil au même si on s’ancre dans l’idée que cette Providence implique sujétion, alors qu’elle est essentiellement l’exercice de la bonté créatrice… Un païen comme le pharaon Akhénaton (le mari de la belle Néfertiti, 14° siècle avant J.-C.) savait la reconnaître, lui qui la présentait dans un disque solaire aux mille bras prolongés d’autant de mains, mains ouvertes pour donner, non pour prendre. La Providence c’est l’agencement harmonieux des moyens qui nous favorisent notre croissance. Dieu ne gagne rien à nous les voir assumer, mais nous beaucoup. Sans nous lasser d’admirer sa patience. Il pardonne inlassablement les péchés. Il fait lever journellement son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber sa pluie sur les champs de ceux qui vont à la messe et sur ceux de ceux qui n’y vont pas ! Patience, et longanimité. En attendant que les yeux s’ouvrent.

+ Merci, Père Volle, nous venions pour des munitions et vous n’avez pas fait qu’emplir nos gibernes mais aussi nos musettes d’un abondant casse-croûte personnel !

- Mais je pensais à vous être utile, bien plus à vous qu’à votre « anti-facho » de départ ! A une autre fois ! Vous ne me lassez jamais ! Et mon bonjour à votre Père curé !

Le 7 mars 2014

 

Pour ne plus s’ennuyer à la messe

 

Alors que je les surveillais de l’autel, mes petits amis Pierre et Elise (respectivement de 8 et 10 ans), m’ont semblé plus que distraits à la Messe paroissiale où je les avais conduits. Mais on est passé ensuite tous ensemble au restaurant et, encouragé par leur papa, j’ai engagé avec eux la conversation suivante qui peut intéresser nos lecteurs habituels.

- « Dites, amis, est-ce qu’il y a des choses qui existent sans pourtant qu’on les voie ? »

Ils en tombent d’accord à partir des exemples que je leur fournis : les ondes hertziennes qui sont arrivées dans mon transistor, on ne sait comment ; la pièce de 20 centimes qui contient assez d’énergie, paraît-il, pour éclairer Paris toute une année. » 

+ Ah, bon ?

-  C’est que ça tourbillonne là-dedans ! A une vitesse prodigieuse ! Et pareil dans ces raisins secs, dans notre prochain dessert, devant vos yeux, voire dans la moindre poussière ! Et l’électricité, etc. »

Ils me prennent pour un grand savant et écoutent de toutes leurs oreilles.
Autre chose tout en mangeant nos lasagnes :  « Attention pourtant, parmi les choses qui se voient – comme d’ailleurs pour les autres – il ne faut pas mettre tout sur le même plan d’importance. Voyons qu’est-ce qui compte pour un bouquet ? »

+ Les fleurs !

- « Evidemment, mais qu’est-ce qu’il y a encore ! »

+ Les queues ! Le vase !

- « Vous me faites rire ! Il n’y a rien autour des fleurs ? Et cela dans n’importe quel bouquet, même celui pourtant simplifié de la mariée ? »

+ Si, il y a des feuilles, du vert !

- « O.K….Et dans la cérémonie de mariage, puisque nous l’avons évoquée, qu’est-ce qui compte avant tout pour des assistants pas trop distraits ? »

+ La mariée ! Si elle est jolie ! Comment est sa robe ! Et les enfants d’honneur ! Et la musique ! Et les lumières !

- « Mais le cœur de la cérémonie, c’est quand même les futurs, non ? »

+ Oui, c’est leur amour !

- « O.K. toujours ! Et remarquez au passage que l’amour ça ne se voit pas. Ca se devine seulement à travers le dialogue qui va unir le garçon et la fille : « Paulette, tu veux bien prendre Paul que voilà pour mari ? – Mais oui ! – Et toi , Paul, tu veux bien prendre Paulette que voilà pour femme ? – Pensez-voir !

- « A peu près comme ça, en termes plus élégants ! Donc le centre, c’est quelques formules. Le reste c’est comme les feuilles vertes autour des fleurs ; et leurs tiges et le pot, si vous y tenez. Evidemment ce reste est important ! S’il n’y avait que les deux tourtereaux et leurs témoins devant le curé ça manquerait de grandeur. Même avec un décor fastueux , il n’y a rien sans l’amour. Il lui faut des expressions, certes, et un peu de durée. S’il n’y avait que l’échange des consentements ce serait expédié en quelques minutes. Vous imaginez ? »

Lamentable ! Nous en tombons tous d’accord.

- « Eh bien, nous pouvons maintenant revenir à la Messe, car ça va raisonner pareil. Derrière ce qu’on voit ou ce qu’on entend (la procession, les enfants de chœur, l’orgue, les lumières, les cantiques), il y a ce qui ne se voit pas et qui est pourtant capital : derrière les prêtres qui célèbrent, à partir de ce qu’ils disent dans un moment bien précis qu’on appelle la Consécration, il y a Jésus-Christ en croix, ou plutôt Jésus-Christ tourné vers sa croix, une croix à la fois sanglante et brillante. Cette croix qui fut son autel à lui quand il mourait en offrant sa vie en sacrifice ; dans la fidélité à ce qu’il disait être le commandement de son Père du ciel, et en même temps son amour pour nous, qui y trouverions le pardon de nos péchés et notre salut éternel. Croix, j’ai dit à la fois non seulement sanglante, douloureuse, mais aussi brillante, brillante de la gloire que Jésus y trouvait à jamais, et nous avec lui si nous le voulons. C’est le Jésus-Christ du Paradis, qui ne meurt plus, bien sûr, mais qui y maintient de là son offrande d’il y a 2.000 ans. »

+ 2014, Père !

- « D’accord, 2014, ou à peu près ! Je vois que ça écoute, Pierre, chapeau… ! Tout n’est pas dans la Messe, bien sûr ! mais c’en est quand même le centre, le cœur, le principal.

+ Le reste ce serait de l‘habillage ?

- « Plus que cela, tout de même, Elise ! C’est l’image visuelle des noces qui t’inspire sans doute. Tu en as retenu justement l’idée d’un ensemble, fond et forme. Il te reste dès lors à admettre la perspective d’une évolution possible dans la présentation, comme pour le mariage. Les formes de l’Eucharistie pour les premiers chrétiens, surtout s’ils s’y préparaient au martyre, avaient des caractéristiques qui ne pouvaient se maintenir sans tourner à la pagaille : improvisation, chaleur, longueur, surveillance et secret, etc. Au long des siècles, et en fonction notamment de l’élargissement géographique et sociologique de l’Eglise, des adaptations se sont faites et continuent à se faire. Pour en revenir à toi, Elise, avec ta question sur le « reste », il s’agit essentiellement, forme et fond, de nourrir la vie spirituelle des chrétiens. Et cela dans leur ensemble. On n’est pas seul devant le célébrant quand on va à la Messe, surtout le dimanche, jour du Seigneur, la Messe des Messes. On y est même relié d’une certaine manière avec le monde entier et ses besoins… A ce propos je vous fais remarquer qu’on met une goutte d’au dans le calice. Vous voyez ce que c’est que le calice ? »

+ Oui, c’est le vase.

- « Et vous savez ce qu’elle représente cette goutte ? »

- Non !

- « Eh bien, c’est nous, c’est le prêtre qui célèbre, mais aussi les assistants et tous les baptisés. Ainsi ce matin tout comme moi, toi, Pierre, toi, Elise. C’est notre vie, c’est notre mort que nous unissons là à la vie, à la mort, à la résurrection de Jésus. Alors là oui, ça devient notre affaire : adoration, remerciement, demande de grâces… Du coup, si on a été suffisamment attentif, ça vous transforme une existence, à la fois en meilleurs amis de Jésus et en ses missionnaires… A la Messe, on s’encourage à être plus généreux et à faire connaître à d’autres la Bonne Nouvelle de l’Evangile. C’est magnifique ! Je me demande comment on pourrait s’ennuyer dans ces conditions ! Pas possible ! S’il y en a qui s’ennuient, c’est parce qu’ils ne savent pas. Et, à votre avis, pourquoi ils ne savent pas ? »

+ Parce que personne ne le leur a expliqué !

- « Exactement ! Mais ce ne sera plus votre cas !... »

- Père, et le dessert ?

- « C’est juste ! Maintenant le dessert ! »

 

Note des parents – Parce que nous avions quelque peine à croire à la teneur d’un rapport si savant pour des enfants, nous avons interrogé à ce sujet le Père Volle. Il en maintient l’exactitude substantielle, prénoms inclus, tout en reconnaissant un « finissage », forcément postérieur à la conversation. Et alors, oui, chapeau à Pierre et à Elise !

 

 

 

Le 8 février 2014

Institution ou doublure ?

 

+ Dans notre cercle d’études religieuses, nous en sommes venus, la dernière fois, à parler de l’Eglise comme « institution », et – croyez-moi – ils n’étaient pas nombreux ceux qui étaient pour ! Et vous, Père Volle, qu’est-ce que vous en pensez ?

- Oh ! mais, dites-moi, c’était exactement le langage des accusateurs de Jésus lors du procès de la femme adultère ! « “Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?” Et ils disaient cela pour lui tendre un piège. » Vous voudriez peut-être vous servir de vos discussions et controverses pour me déstabiliser, moi que vous savez un homme de la boutique ?

+ Mais non, jamais une telle perversion de notre part car nous vous aimons bien, mais avoir votre idée sur la question nous intéresse.

- Quelle question, au juste ? Qu’est-ce qui vous a amenés à regarder l’Eglise par ce biais là ? C’était pour l’opposer à quoi ?

+ Vous avez bien vu ! C’était pour l’opposer à la vie intérieure, les élans du cœur, la piété, et, pour d’aucuns plus avancés, quelque expérience mystique…

- Chapeau ! Je n’imaginais pas que vous en soyez-là ! C’est tout à votre honneur ! Et l’institution que vous évoquez vous ferait de l’ombre ? Quelle institution d’abord ?

+ Selon les grandes voix du groupe c’était les conciles, les évêques et leurs mandements, le sacre des rois, les croisades, les ex-communications, les indulgences, les bénédictions, les rituels, le clergé, qu’est-ce qu’on sait, nous ! Mais, ne vous irritez pas, Père Volle, nous ne faisons avec vous que rapporter le sujet du débat !

- Après vous avoir félicités pour vos propos antérieurs, maintenant laissez-moi rire ! Quel fourre-tout votre déballage ! Il n’y manque que le Vatican et ses richesses, Galilée, l’Inquisition ! Et il n’y avait personne parmi vous pour y mettre de l’ordre ? Et vous n’avez pas commencé par éclaircir ça ?

+ Que voulez-vous, tous parlaient à la fois ! Les plus véhéments n’avaient des louanges que pour la vie intérieure, la louange divine, la piété, le sentiment. Et nous étions quelque peu d’accord, mais simplement pour l’intérêt de la sainteté et pas pour récuser la nécessité d’un appareil porteur ecclésial ! Nous sommes partis d’ailleurs avant la fin…

- Donc, à présent, voyons paisiblement les choses entre nous. C’est par les définitions qu’il faut commencer, les deux aspects de l’Eglise, son « dehors » et son « dedans », le « dehors » étant celui de la construction (le terme est de saint Paul), avec tout ce que cela peut comporter d’initiatives humaines, le « dedans » étant celui de la grâce qui sanctifie, domaine de l’Esprit-Saint. Parler de la construction en termes d’appareil c’est un peu faible, comme s’il s’agissait d’artificiel et de jetable, mais enfin cela peut faire partie de la collaboration à la grâce souhaitée par Dieu et remise entre les mains de ses bons ouvriers. Pour l’apprécier correctement il faut en saisir l’opportunité à l’intérieur de l’histoire. Pour le « dedans » il faut voir l’Eglise dans son mystère, en tant qu’elle est le Corps spirituel du Christ, sa mystique Epouse. On distinguera donc la « Personne » et le « personnel » du même ensemble. Cela apaise la question puisqu’on accepte alors de reconnaître l’artificiel, le variable, voire le déficient d’un aspect tout en protégeant dans l’autre son contenu sacré , tant d’ordre intellectuel que spirituel : vertus infuses, dons du Saint-Esprit, habitation trinitaire. Ici encore ne pas séparer ce que Dieu a uni, le nuptial et son vecteur périphérique.

+ Merci, Père, pour cet éclairage nuancé. Nous essaierons de l’introduire dans une prochaine réunion du Cercle.

- J’en ai quelque peu rajouté par rapport à votre problématique de départ ? Ce qui m’y pousse c’est moins les rapport des turbulences de votre groupe que la conversation que j’ai eu récemment avec un ami, relié dans son actualité à un groupe charismatique. La nouvelle vie qui devenait la sienne, dans la louange, lui semblait la bonne voie, voire la seule bonne.

+ Et ce serait faux ?

- J’y ai vu le danger d’un dévoiement lorsqu’il m’a dit qu’il ne sentait plus autant poussé vers l’institution.

+ Et vous lui avez répondu quoi ?

- Comme à vous, pratiquement, que l’on ne pouvait dissocier dans l’Eglise ou dans le Christ le dehors et le dedans. Figurez-vous qu’il n’avait pas pris contact avec sa paroisse depuis les deux ans de son déménagement et installation locale. Sa liaison avec l’Eglise institutionnelle se faisant sur la distance, avec une grande ville voisine. Je lui ai dit d’aller voir son curé car il est pour lui l’institution dans l’immédiat. Notamment parce qu’il a la clé des sacrements (1) à sa portée ; et aussi parce que la paroisse est le meilleur lieu de la communion avec ses frères chrétiens du coin. C’est moins chaleureux qu’une assemblée d’amis mais, à la longue, c’est vital pour être en pleine santé, grâce à un aspect relationnel élargi. Du pain avec sa croûte, si vous voulez, et pas du gâteau, mais de ce pain-là on ne se lasse pas. Le bon Pape Jean XXIII l’appelait la fontaine publique où tout le monde peut boire.

+ Il était d’accord ?

- Oui, car, en bon chrétien qu’il demeurait, il reconnaissait devoir réajuster sa position.

   Un deuxième cas m’a été rapporté récemment qui m’incline à rappeler quelque exigence à ce niveau. Il s’agit cette fois d’un garçon qui entre au séminaire sans en avoir parlé à son curé  - « Ce n’est ni beau ni bon », ai-je répondu à qui me l’apprenait. L’institution, c’est ça aussi, les bons rapports avec nos Pasteurs, et d’abord les Pasteurs proches !

+ Nous répercuterons tout cela à notre groupe. C’est très instructif.

- Puisque nous avons évoqué le monde charismatique, que ce soit de la façon imbriquée du Pape Paul VI : « Le Renouveau est une chance pour l’Eglise et l’Eglise est une chance pour le renouveau ». C’est autre chose tout de même que ce qu’écrit Luther des « enthousiastes » de son temps, qu’il envoie au diable, bien qu’il soit la source du libre-examen qui les engendre !

   Si cela peut amuser un instant votre groupe, vous ajouterez la réflexion que m’a inspirée l’image d’André Frossard dans son livre Le sel de la terre au sujet de l’Ordre Franciscain : le fondateur voulait des Frères de plein vol, libres comme des oiseaux. Or l’Eglise les a mis en cage ! – En cage ? oui, jusqu’à un certain point ! Sauf qu’elle les a ainsi préservés des faucons et autres prédateurs ! L’institution, certes, mais de façon vitale. (2)

   Ce serait O.K. de votre part ?

+ O.K. ! On vous racontera une autre fois ce qu’en auront dit nos amis ! A bientôt !

 

(1) - Les sacrements resteront toujours la marque la plus certaine du divin parmi nous, dehors et dedans de l’Eglise. Un des apologistes les plus notoires de leur impact intrinsèque c’est Mgr Ghika, ce martyr du communisme en Roumanie que le Pape François a béatifié le 31 août dernier à Bucarest. Mais lui-même, lorsqu’il était Archevêque à Buenos-Aires, s’est étendu longuement sur leur place incontournable en pastorale. Dans la Retraite spirituelle qu’il donna aux évêques espagnols en 2006, en tant que cardinal Bergoglio, il insistait sur leur action secrète comme tels. Ils sont, entendait-il, comme les sous-sols de l’Eglise en pays chrétiens. Une citation seulement : « On a parfois parlé de sacramentalisme en l’opposant à l’évangélisation. On a oublié qu’ici, dans l’administration des sacrements, avec l’appui solide d’un catéchisme global, il y a une organisation cachée au sein du peuple fidèle de Dieu… »

(2) - Illustration encore de l’implication du dedans et du dehors dans l’institution, les deux cercles ou doublures dont parlait déjà Dante dans sa Divine Comédie ? (« Les deux guirlandes éternelles qui se répondent. » Paradis XII, 19-21) - Un autre livre intéressant sur la question Découvrir ensemble la braise sous la cendre, par Martin Werleen, Abbé d’Einsiedeln, Editions Bayard, mai 2013.

 

Les implications du « oui » de Marie aux propositions de l’ange Gabriel

 

Quand Marie donne son acquiescement à la proposition de maternité de l’archange Gabriel, c’est en tout état de conscience. Elle doit bien concevoir qu’une telle perspective bouleversera sa vie, quelque idée du salut qui s’obtiendra dans la souffrance, le Golgotha au bout. Mais déjà, pour l’instant, il y a du tragique dans l’air. Et je suis étonné qu’on passe si vite sur lui, que presque personne ne s’y attarde, voire que personne ou presque n’en ait souci. Je n’y ai rien trouvé de tel en effet, dans mes nombreuses lectures, si ce n’est de rapides et insignifiantes allusions. De quoi s’agit-il ? Pour Marie d’être enceinte avant tout mariage. Ce qui est devenu chose courante aujourd’hui, sans susciter le moindre commentaire désagréable, était chose énorme dans l’Israël d’époque. Cela l’aurait été encore dans ma jeunesse et mon village natal. Avec cette réflexion moqueuse vis à vis de la mariée : «  Ne mange pas de ses dragées, elles sont carcouillées » (véreuses). De fait un mariage a eu lieu, mais postérieur de plusieurs mois à l’événement ; il évitait un état gravement amoral par rapport à la loi d’Israël mais il n’évitait pas l’anticipation, indue pour le public de Nazareth, des étreintes maritales. Personne n’a jamais soupçonné alors l’intervention angélique. On a simplement constaté un jour, au moins à son retour d’Aïn Karim, village d’Elisabeth et Joachim , après ses trois mois d’absence chez eux, que Marie était enceinte. Nulle part on ne trouve sur les lèvres de Marie devant l’Ange une réserve du type : « Je vais donc être mère sans être mariée ; que va-t-on dire autour de nous ? » Pareil chez Joseph : instruit du sens des évènements et d’un vouloir divin le concernant il la prendra pour épouse mais chez lui, le Juste, on ne peut pas ne pas écarter une conséquence inévitable, normale, de cette décision : « Je serai supposé par tout le monde comme géniteur de l’enfant à naître. Cela ne s’est jamais fait ici ! »

Avec le mariage, tout rentrera-t-il dans l’ordre ? Tout ? non, pas tout ! L’ombre d’une faiblesse ponctuelle des deux conjoints leur restera collée, longtemps et peut-être toute leur vie. Eux ? Qui aurait pensé ? Les hommes oublient vite en ce domaine, mais pas les femmes. Si on garde sa langue, c’est déjà beaucoup. La très bonne tenue postérieure des deux intéressés ne suffira pas à les absoudre entièrement au niveau public. L’animosité vis à vis de Jésus dans son propre village constatée plus tard (Lc.4, 28-29 : on veut le tuer – Mc.3,20-21 : on le tient pour fou), pourrait y trouver quelque explication. Et Jésus lui-même la soupçonner pour son compte quand ses opposants lui jettent un jour à la face qu’ils ne sont pas (eux) nés de la prostitution (Jn.8,41). Disons qu’il y a du mystère autour de la Sainte Famille, mystère fait d’un contraste entre son attirance de sainteté et la réserve de son étrangeté, étrangeté de statut social (princier) et de tel souvenir choquant conservé et rappelé éventuellement. Couverture de nuée, comme sur l’Arche sainte ?

C’est un peu fort tout cela ? Rarement exploité ? Oui, mais à tort, me semble-t-il, la décadence des mœurs étant telle chez nous désormais qu’on tient pour rien un concubinage qui se terminerait par une naissance. Quand donc avons-nous entendu faire allusion, lors d’un mariage, à une précipitation antérieure des fiancés ? Il serait pourtant encore très légitime, au moins en conversation privée, pour les encourager à se reprendre, de leur donner l’exemple de Joseph et Marie, peu gâtés un temps par un contexte dévalorisant. La vie ne se termine pas sur un faux-pas. Dans le cas biblique, nous avons affaire à la conduite étrange, exigeante, de la Providence. Dans nos cas habituels, disons là surtout miséricordieuse. Les parents de la Bienheureuse Thérèse Newman ayant été en ce cas, en firent un motif de leur pénitence. Joseph et Marie, vous avez payé pour beaucoup ! Joliment, à votre façon, libératrice de l’amour au-delà de ses lois. Une maman amie me communique la confidence de sa grande fille à la veille de ses noces : « Maman, comme je suis heureuse d’arriver vierge au mariage ! » Nous avec elle ! Splendeur de beauté à l’intérieur mais au-dessus de la morale.

« S’il est un point central dans l’esprit de la chevalerie c’est l’acte de ne pas prendre où l’on pourrait prendre. » Henri de Montherlant

3 décembre 2013

Un miroir méditatif

 

   Il faut que l’ouvrage célèbre d’Alessandro Manzoni, « Les Fiancés », ait bien d’importance pour que notre pape François en ait fait, depuis une lointaine époque de sa vie, comme son livre de chevet : « Je l’ai lu quatre fois », confiait-il, dans une série de conversations, étalées sur deux ans, aux journalistes Serio Rubini et Francesca Ambrogetti, de Buenos Aires. Et ce livre était sur sa table de bureau lors de la fameuse entrevue qu’il accorda, en septembre dernier, à l’agnostique Dr Eugenio Scalpari, fondateur de La Repubblica.

   Quatre fois ! Un ouvrage si énorme ! (Editions Livre de poche, mars 2011, de 864 pages !, précédé il est vrai d’une longue préface). Et un roman, quelque génial qu’il soit puisque le chef d’œuvre absolu de ce genre de littérature en langue italienne…

   Tout le monde devine que le sujet doit déborder l’aventure de deux tourtereaux. Effectivement, leur trame n’est là qu’au service d’une peinture de mœurs et climat d’époque, comme chez Zola, Flaubert, Stendhal, Dostoievski. Sous couvert d’une page d’histoire au 17° siècle, documents vrais ou inventés à l’appui, c’est le nôtre qui est en vue. Outre l’idée sous-jacente du petit peuple opprimé, on y trouve notamment une galerie de portraits, lesquels en positifs ou négatifs, à titre d’exemples ou en repoussoir, expliquent suffisamment le vif intérêt porté par le cardinal, puis pape, Bergoglio à l’ouvrage de Manzoni. Avec un arrêt très prolongé sur le haut personnage qu’est le cardinal Frédéric Borromée, pasteur exemplaire, terrible à la fois contre le mal et miséricordieux au pécheur, celui qui semblerait ici lui servir de miroir principal... D’autres portraits par ci, par là peuvent nous inspirer pareillement !

   Voilà d’abord nos deux fiancés, les promessi sposi, si sympathiques d’entrée de jeu, et rendus encore plus attachants par leurs tribulations.

   Puis c’est don Abbondio, leur curé. Il refuse de les marier devant les menaces de mort du tyran local, don Rodrigue qui convoite la fille. Prêtre dit « de peu », préoccupé surtout de sa tranquillité, poltron, geignard… Son archevêque Frédéric lui tirera les oreilles quand viendra le moment. Sa remontrance emplit cinq pages ! Devant l’autre qui se cherche des excuses : « Et quand vous vous êtes présenté à l’Eglise pour votre ministère, vous a-t-elle donné assurance de votre vie ? Vous a-t-elle dit que les devoirs inhérents au ministère étaient libres de tout obstacle, exempts de tout péril ?  Vous a-t-elle dit, peut-être, que là où commencerait le péril, le devoir cesserait ? Ou ne vous a-t-elle pas dit expressément le contraire ? Vous ne saviez donc pas qu’il y avait des violents, à qui pourrait déplaire ce qui vous serait commandé ? Celui dont nous tenons la doctrine et l’exemple, à l’imitation duquel nous nous laissons nommer et nous nommons pasteurs, y a-t-il mis peut-être lorsqu’Il est venu sur terre en exercer l’office, y a-t-Il mis, peut-être, pour condition d’avoir la vie sauve ? »

 En contraste du curé faiblard, le Père Christophe, capucin, qui ira affronter le tyran dans son propre manoir, s’en faisant d’ailleurs mettre vertement à la porte, et éloigner du coup par ses Supérieurs religieux dans une autre Province. Nous l’y retrouverons, admirable de dévouement, jusqu’à en mourir au chevet des pestiférés. Tout comme nous y trouverons son confrère, le Père Félix, exhortant malades et survivants, lui-même la corde au cou.

   C’est ensuite Gertrude, vocation moniale forcée, luxurieuse, et qui finira dans le crime.

Dame Praxède, l’insupportable bavarde, faussement charitable malgré ses bonnes intentions.

   Don Ferrante, son mari, perdu dans ses lettres et livres de philosophie, niant, avec force raisons et termes savants, l’existence possible de la peste… dont il mourra !

   Un peu comme lui, le juriste et avocat de toutes les causes, Dr Azzeca-Carbugli, savant de ses textes mais écoutant à peine son client. Pauvre Renzo !

   Dominant tout le livre de sa grandeur morale, le cardinal Frédéric Borromée, figure tout à fait historique, quelque ajout que lui doive la plume de Manzoni. Quand notre pape François dit qu’il veut être le pape de la miséricorde, c’est à lui qu’il pourrait bien songer en immédiat.

   Nous le présentons essentiellement sous cet aspect, sa vie de pauvreté et simplicité étant longuement présentée en d’autres passages. Ici c’est dans son accueil d’un grand pécheur qu’il nous intéresse surtout. Ce pécheur est le tyran par excellence de la région, si redouté que personne n’ose lui donner de nom ; c’est donc « l’innommé ». Eh bien, ce si grand pécheur, si universellement redouté, va être touché par la grâce, dans la médiation du cardinal, au point d’en arriver à une conversion retentissante, Voici comment se fit la rencontre :

   D’abord beaucoup de difficultés pour être introduit. Enfin la porte s’ouvre. Le cardinal va vers son visiteur. « Ils restèrent tous deux un moment sans parler, en suspens, mais diversement. L’Innommé, venu là comme par un transport d’inexplicable frénésie, le cardinal prévenant et serein, les bras ouverts, comme vers un être désiré. « Oh, dit-il, avec ferveur, quelle précieuse visite que celle-ci ! Et comme je dois vous savoir gré d’une si bonne résolution, bien qu’elle soit un peu pour moi comme un reproche » – « Un reproche ! » s’exclama le gentilhomme, frappé d’étonnement, mais radouci par ces paroles et ces manières, content que le cardinal ait rompu la glace et dit les premiers mots, quels qu’ils fussent - « Certes, c’est pour moi un reproche de m’être laissé devancer par vous, moi qui, depuis si longtemps, aurais dû, tant de fois, aller chez vous. » - «  Chez moi, vous ! Vous savez qui je suis ? On vous a bien dit mon nom ? » – « Et cette consolation, que je ressens, et qui, certainement, se manifeste à vous sur mon visage, vous semble-t-il que j’eusse pu l’éprouver à l’annonce et à la vue d’un inconnu ? C’est vous qui me la faites éprouver ; vous, dis-je, que j’aurais du aller chercher ; vous que du moins j’ai tant aimé, et pour qui j’ai tant prié ; vous qui, parmi mes fils, que pourtant j’aime tous, êtes celui que j’aurais le plus désiré accueillir et embrasser, si j’avais cru pouvoir l’embrasser, si j’avais cru pouvoir l’espérer… »  

   L’Innommé restait frappé d’étonnement à ces paroles si pleines de flamme, et qui répondaient si résolument à ce qu’il n’avait pas encore dit, à ce qu’il n’était pas même bien déterminé à dire ; et remué, mais stupéfait, il gardait le silence. « Eh bien ? », reprit encore plus affectueusement Frédéric, « vous avez une bonne nouvelle à m’apprendre, et vous me la faites tant désirer ? » – « Une bonne nouvelle, moi ? J’ai l’enfer dans le cœur ; et je vous donnerais une bonne nouvelle ? Dites-moi vous même, si vous le savez, quelle est cette bonne nouvelle que vous attendez d’un homme tel que moi. » – « Que Dieu a touché votre cœur, et qu’il veut vous faire sien », répondit tranquillement le cardinal – « Dieu ! Dieu ! Si je le voyais ! Si je l’entendais ! Où est ce Dieu ? » – « C’est vous qui me le demandez ? Vous ? Et qui plus que vous l’a près de soi ? Vous ne le sentez pas dans votre cœur, qui vous oppresse, qui vous agite, qui ne vous laisse pas de repos, et dans le même temps vous attire, vous fait pressentir une espérance de paix, de consolation qui sera entière, immense, aussitôt que vous le reconnaîtrez, que vous le confesserez, que vous l’implorerez ?… »

   Aussitôt que ces paroles sortaient de sa bouche, ses traits, son regard, ses moindres mouvements en respiraient le sens. Le visage décomposé et convulsé de celui qui l’écoutait se fit d’abord étonné, attentif ; puis ses yeux qui depuis l’enfance ne connaissaient plus de larmes se gonflèrent ; il se couvrit le visage de ses mains, et éclata en sanglots, qui furent comme la dernière et la plus claire réponse. «  Dieu immense et bon ! », s’exclama Frédéric, en levant les yeux et les mains vers le ciel. « Qu’ai-je donc fait , moi serviteur inutile, pasteur assoupi, pour que Vous m’invitiez à ce festin de grâce, pour que Vous me rendiez digne d’assister à un si heureux prodige ! » Ce disant, il tendit la main pour prendre celle de l’Innommé. « Non ! cria celui-ci. Non ! Eloignez-vous, éloignez-vous de moi ; ne souillez pas cette main innocente ? Vous ne savez pas tout ce qu’elle a fait celle que vous voulez serrer » – « Laissez ! », dit Frédéric… Ce disant, il jeta ses bras autour du cou de l’Innommé, lequel, après avoir tenté de s’y soustraire, et résisté un moment, céda, comme vaincu par cet élan de charité ; il embrassa lui aussi le cardinal et abandonna sur son épaule un visage tout changé… 

Novembre 2013

La braise et la cendre

 

   Voici quelques réflexions sur un livre qui fait fureur en ce moment, à en juger par ses éditions répétitives et traductions immédiates en diverses langues. Il s’intitule Découvrir ensemble la braise sous la cendre, de Martin Werlem, ex-Abbé de l’Abbaye bénédictine suisse d’Einsiedeln (86 p.,12 €). Son idée fondamentale est tout à fait saine : dans un feu, il y a la braise et la cendre ; il ne faut pas les confondre ni s’attacher indûment à la cendre. Si elle fait obstacle au déploiement de la flamme, il faut la souffler. Appliquée à l’Eglise, c’est, d’une part, l’affirmation d’un excès de cendre sur ses institutions ; d’autre part, l’accusation d’un refus de la critique… On peut très bien soutenir tout cela, quitte à devoir le prouver. L’auteur de notre livre s’y essaie avec quelques exemples, et là on peut être d’accord, puis par le biais de citations d’hommes d’Eglise faisant autorité et c’est parfois alors outrancier. On en jugera, notamment quand celles-ci émanent du cardinal Bergoglio, alias Pape François, à cause de l’amusette suivante relatée par l’Abbé : « On m’a demandé s’il fallait une édition hispanophone de mon livre, mais un ami m’a dit : «  Ce n’est pas nécessaire : le pape est lui-même la traduction de ton livre en espagnol ». C’est vrai dans une grande ligne, tellement notre nouveau Souverain Pontife veut, de toute évidence, intérioriser la pratique religieuse, mais tout n’est pas dans la grande ligne. Sous prétexte d’intérioriser on pourrait aussi souffler trop fort la cendre, voire éteindre la braise ! Nous tirerons nos citations d’un livre paru en français début 2013, soit en même temps que le présent analysé, et donc antérieur également à l’élection du successeur de Benoît XVI, à savoir Sur la terre comme au ciel. C’est un rapport d’entretiens entre l’archevêque de Buenos-Aires et le rabbin Abraham Skorka. On jugera sur pièces des concordances ou divergences entre les deux auteurs.

   Sur l’ordination des femmes, Martin Werlem écrit (p. 74) : « Dans sa lettre Ordinatio Sacerdotalis consacrée au fait que la dignité de prêtres est exclusivement réservée aux hommes, le pape Jean-Paul II écrit en 1995 que cette question ne peut plus être discutée. Il demeure tout de même une interrogation : le sexe des individus a-t-il jamais été une question de foi ? Cela fait-il partie de l’immuable dépôt de la foi ? Cette question qui est encore plus fondamentale, doit pouvoir faire objet de débats, même après 1994 ». Je répondrais  : Si l’autorité de Benoît XVI ne vous suffit pas, pas davantage, bien sûr, celle de son successeur qui s’est récemment prononcé sur ce sujet : « La porte est fermée ». Tout comme il l’enseignait en permanence pour son compte antérieurement : « Dans le catholicisme beaucoup de femmes conduisent la liturgie de la Parole, mais elles ne peuvent exercer le sacerdoce parce que, dans le christianisme, le prêtre suprême est un homme, Jésus. Et la tradition fondée sur la théologie veut que la prêtrise passe par l’homme. La femme possède une autre fonction… notamment la maternité. » Récuser l’enseignement en question, c’est possible, certes, mais le faire en invoquant un « état de nature » qui enjamberait les questions de foi, n’est-ce pas prendre l’Evangile pour de la cendre ?

   Sur le célibat ecclésiastique, on ne prouve rien en déclarant que ce n’est pas une question de foi, puisque tout le monde en convient. Mais c’est faire vite de ne pas lui reconnaître plus de valeur que n’en fait notre auteur (p. 68). Pour ce qui est de l’indissolubilité du mariage et du remariage des divorcés, les accentuations sont également différentes. Ici (Bergoglio p. 118), on rappellera cette donnée pour nous liée à l’Evangile pris à la lettre, et là (Martin Werlem, p. 62), ce sera pour louer et nous donner en exemple l’attitude plus souple de l’orthodoxie…

   En conclusion : Si la thèse principale du livre recensé doit être reconnue comme saine et belle, on pourra cependant regretter, sur les points signalés et d’autres, l’accentuation passionnelle de son auteur contre « le traditionalisme qui rend les gens étriqués et butés » (p. 52). Notre pape François, tout en allant globalement dans la même ligne, est plus retenu. En outre, il évoque souvent l’action du démon pour expliquer les maux dont souffre l’Eglise, ce dont ne semble pas se douter notre Père Abbé.

24 octobre 2013

 

Les parfums du Royaume

 

 

C’est par une anecdote de l’époque où j’étais aumônier scout (des louveteaux de «  la 25° » à Paris) que je vais rejoindre notre fête de la Toussaint. Mes petits gars étaient délurés à l’extrême. Ils répondaient à mes questions avant même que je les termine : «  Voyons, qui saurait me dire… ? – Moi, moi, moi ! ». Je voulais cette fois leur donner envie de « racoler » des amis pour notre Unité. « Et donc, je suppose que tu es une rose. Tu vois passer sur le chemin une jolie dame, et tu voudrais bien qu’elle te mette sur son chapeau. Comment tu vas t ‘y prendre pour y arriver ? – Moi, Monsieur, moi je sais ! Je me mettrais à courir vers elle ! – Mais non, une rose ça ne court pas ! – Moi, Monsieur, je l’appellerais ! – Mais non, une rose ça ne parle pas ! – Moi, Monsieur, je me mettrais à sentir très fort ! – Ca oui ! Chapeau ! Et bien pareillement, sentez bon tout plein et il y aura plein de collègues à nos portes ! » 

   Et la Toussaint là-dedans ? C’est la fête de la bonne odeur des Saints. Parce qu’ils étaient déjà sur terre des amis de Jésus ils sentaient bon comme lui. Et ils continuent à le faire, dans une échappée plus grande en ce jour de fête, pour nous faire lever la tête vers eux, nous embaumer, et nous rendre ainsi attirés et attirants nous-mêmes…

   Ce langage n’est pas farfelu, ou alors il faudrait s’en prendre au Saint Esprit qui l’a inspiré tant de fois dans les Ecritures : c’est la bonne odeur de Jacob qui permet à Isaac, son père aveugle, de l’identifier : «  L’odeur de mon fils est comme un champ fertile que le Seigneur a béni » (Gn, 27, 26-27) ; c’est la bonne odeur des amants du Cantique ; « Comme tu sens bon, ma bien-aimée !- Et toi aussi, mon ami !  (Ct 1, 20, etc) ; c’est plus explicitement et plus appuyé encore le langage de saint Paul dans une de ses lettres aux fidèles de Corinthe : il y exalte la bonne odeur du Christ et en fait le signe distinctif des vrais disciples (2 Cor. 2, 14-16, etc).

   Cette bonne odeur, ce parfum, cette onction délicieuse qui descendit du ciel sur terre un jour de Noël ne s’est jamais évaporée. Elle a suivi les pas du Christ. Elle n’est pas partie avec lui à l’Ascension. Elle continue, un peu plus aux jours de fête, à diffuser son pouvoir attractif. Les élus du Paradis tous ensemble et chacun d’eux avec son charisme propre, faisant lever les yeux, emplissant les poumons. Mais déjà sur terre… Ce fut si bien dit par Celano parlant de sainte Claire d’Assise : « La chambre aux parfums, même close, se trahit toujours par les effluves qui s’en dégagent ». Les fondateurs d’Ordre notamment lui doivent une bonne part de leur fécondité. Et ça continue !

   « Par où vous est venue l’idée et le goût d’une conversion, Ignace de Loyola ? - Par la lecture de La légende dorée, la Vie de saints, de Ludolf le Chartreux.» Beaucoup de convertis pourraient répondre pareil. « Quelle idée de vous faire moine, Frère Emmanuel ? – Elle m’est venue par la lecture de la vie de saint Benoît. » - « Et vous-même, Père Volle, d’entrer en religion ? – Entre autres éléments de réflexion, c’est la vie – pourtant plus ou moins romancée – du Poverello d’Assise - La Harpe de saint François, de Timmermans ».

   Divulguer de telles biographies est une formule très adaptée d’apostolat : « Envoyez-nous des vies de Saints ! », me suis-je entendu dire parfois en des voyages de rencontres avec nos frères chrétiens en pays de persécutions. Toujours l’attrait des parfums du Royaume ! …

   Une application nous concernant vient spontanément à l’esprit : dans quelle mesure suis-je moi-même porteur de tels parfums ? A-t-on dit de moi, ici ou là : « Comme on se sent bien après son passage ! Comme on aimerait qu’il revienne vite ! »

   J’ai entendu pour d’autres des réflexions de ce genre. Puis-je espérer en avoir suscité de similaires pour mon compte ? Quelle question !

   Citoyens du ciel, aidez-nous à lui fournir réponse. Ce sera votre et notre cadeau de Toussaint !

   Merci à mes louveteaux de me l’avoir suggérée !

14 octobre 2013

 

Alain


Vous êtes bien à votre place ici, Alain, vous qui nous avez enseigné, même sans ouvrir la bouche, la béatitude des pauvres !

Alain, un S.D.F. singulier, de 42 ans, installé en permanence, au milieu ou à coté de ses affaires, dans l’enfoncement d’une porte bloquée entre le 82 (Matmut Assurances) et le 84 (Mitabuya, Bijouterie) de la rue de Sèvres, Paris 7°. Accroupi, à même le seuil, de nuit et de jour. Sans rien demander, simplement à regarder passer les gens. De temps en temps avec une cigarette. Facile à accoster pour un brin de conversation, voire de prière comme je l’ai constaté tant de fois ! Beau à voir, dans sa courte barbe rousse, malgré la crasse du visage. Toujours souriant. Sans besoins car il était connu de la paroisse voisine, « Saint François Xavier », qui l’aidait volontiers. Un petit chapelet de grains blancs au cou.

   On l’a trouvé mort, à son poste, au matin du 23 septembre, décédé d’une crise cardiaque. Aussitôt ont afflué les témoignages en sa faveur, bougies, fleurs, son portrait en couleurs, deux photos, un dessin, des textes. Je suis venu relever, le jour même et les suivants, ceux que je voulais introduire dans nos pages. Ci-dessous donc, selon le montage de la gardienne :

   D’abord une affichette : A Alain, IN MEMORIAM , puis des mots manuscrits :

Fondation Saint Jean de Dieu : « Nous ne pouvons croire que nous ne nous reverrons jamais. Sa disparition soudaine nous a causé à tous un profond chagrin. Que son âme repose en paix. » Anita, Nadine, Anne-Marie, Marie-Pierre - «  Une grande pensée pour toi. Tu vas nous manquer. Plein de courage pour ton grand voyage, j’espère que ta nouvelle vie sera merveilleuse. Tu es un homme bon. Mille bises. » Linda - « A notre Alain, si courageux et si gentil . » Ton amie Laurence.- « Une pensée chaleureuse, Alain, d’Arnaud, ton ami voisin. Tu m’as ouvert les yeux sur un monde que je ne connaissais pas. Ta singularité a fédéré autour de toi de belles personnes qui habitent ce quartier. Je te porte en moi. Sois au chaud dans ce nouveau lieu qui t’attend » -  « Ici (sur) vécut Alain, bien (trop) longtemps. Pardonne-nous, Alain, d’avoir été de mauvais frères / amis / passants. Puisse Dieu t’avoir accueilli dans son Royaume, toi qui le cherchais, et puisses-tu désormais goûter sa plénitude et son amour parfait. Ton souvenir continuera d’habiter nos cœurs. A bientôt là-haut. » Sophie - « Alain, tu as marqué tant de personnes. Tu vas nous manquer beaucoup. Ma fille et moi nous ne t’oublierons jamais. » Johana et Anne. - R.I.P. + « Alain, on ne t’oubliera jamais. » Lili - « Los que te quiren no te olvidan. Descansa en Paz ! » Luis - - - « Dès que j’ai su votre mort, j’ai souhaité pour vous le Paradis. Je suis triste pour vous. » ( En un anglais approximatif ) - « Or le pauvre mourut et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham ». Tu vas nous manquer, Alain. Ta vie était très féconde auprès de tous ceux qui te croisaient ! Tu étais quelqu’un d’important ! Intercède pour nous auprès du Père et de Marie. » Tes amis de l’APA. …

   Je l’avais trouvé un jour avec, entre les mains, la vie de Marthe Robin. A un ami de passage qui me l’a rapporté et lui demandait s’il n’était pas malheureux il avait répondu : « Oh non, après cette lecture, j’ai vu qu’il y en avait de bien plus malheureux que moi ! »

   Sa mère, alertée par la Police, est venue reconnaître le corps et l’a reconduit pour enterrement dans son village natal ( Lieven – Pas de Calais) - 5 jours après son départ, une bougie brûlait encore à ses pieds. Une messe fut célébrée à son intention le mardi 1° octobre.

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- Jésus, Bon Pasteur, où donc avez-vous fait paître vos brebis pour que, levant les yeux au ciel en ces jours de Toussaint, nous les trouvions si grasses et si vigoureuses ?

- Mais tout simplement où je continue à vous conduire vous-mêmes, au pré des Béatitudes !

- Au ciel on ne pleure plus. Comment se fait-il donc que la Vierge soit apparue parfois en larmes (La Salette, Syracuse, Kibeho, Akita,..) ?

- C’est vrai, on ne pleure pas au ciel. On peut donc interpréter ces larmes, ou bien comme une invitation à nous adressée à la contrition et à la pénitence, ou plus largement comme une manifestation très attachante de la maternité de Marie : elle vient symboliquement prendre sa place à la table des malheureux de tous bords.

14 septembre 2013

 

Apôtre et Martyr, Mgr Vladimir Ghika (1873-1954)

 

 

+ Un de nos amis se rendra à la cérémonie d’hommage en honneur du martyr Mgr Vladimir Ghika, le 30 septembre, à Villejuif. En attendant cette date et son témoignage de retour, nous aimerions nous-mêmes, Père Volle, en savoir un peu plus sur ce Saint, que vous auriez connu personnellement, paraît-il !

- Personnellement, non ! Je n’ai pas eu ce bonheur. Le rapport oral – erroné donc ! - qu’on vous en a fait sera sans doute celui d’une sienne visite à Chabeuil, en juin 1938. Je sais qu’il y donna une conférence aux participants d’une retraite en cours, mais sans en trouver le contenu lequel n’a pas été relevé dans le journal de la Communauté. C’est seulement par ses biographies que j’ai appris à le connaître.

+ Mais ce sera bon aussi pour nous. Dites-nous en donc l’essentiel, si vous voulez bien.

- Avec plaisir. En même temps qu’avec une admiration doublée de honte, tellement le personnage nous domine. Avant même le récit de son martyre, si haut en couleurs, il y a celui de sa trajectoire apostolique globale, extrêmement riche et contrastée : d’un prince devenu quasiment clochard, d’un fils de l’orthodoxie la plus rigoureuse devenu prêtre catholique, d’un mystique dévoré d’action missionnaire, d’un intellectuel raffiné, ami des lettres et des lettrés les plus en vue de son temps, aux contacts les plus naturels avec les pauvres de tous milieux ; autant de chapitres qui vous intéresseraient sans doute ?

+ Mais bien sûr ! Dans leurs grandes lignes au moins !

- Pas seulement ! Avec quelques détails savoureux, si j’en ai le temps !

   Né le jour de Noël 1873, à Constantinople où son père était alors en mission diplomatique pour la famille royale d’époque à laquelle il appartenait, il est baptisé, comme allant de soi, dans l’Eglise orthodoxe à laquelle elle est farouchement attachée par tradition séculaire. D’ascendance royale elle aussi (de notre Henri IV), sa mère, devenue veuve, lui fait donner une culture française en le confiant à une famille protestante de Toulouse. C’est là qu’il fera ses premières études et y obtiendra une licence en droit. Avant de monter à Paris pour y perfectionner un savoir déjà imposant, dans les disciplines les plus diverses de l’Université : lettres, sciences, droit, médecine, philosophie… Nous le retrouverons plus tard à Rome, avec deux ans d’études de théologie qu’il couronnera par un Doctorat. C’est là, en 1902, donc à 29 ans, qu’après une longue réflexion, il embrasse la religion catholique. Au grand désespoir de sa mère…

+ On peut la comprendre si elle y voit une trahison !

- C’est le cas. Quand il voudra plus tard être prêtre, elle ira supplier le Pape (saint Pie X, en l’occurrence) de s’y opposer (de fait, elle mourra avant !). Il faudra à son fils beaucoup de tact et de patience pour lui faire admettre qu’il ne s’agit pour lui, par sa démarche, que de devenir un meilleur orthodoxe.

+ Tout comme il aurait pu dire dans foulée meilleur protestant ?

- Peut-être ! En tout cas tant sa fréquentation du culte protestant à Toulouse, son environnement catholique habituel, que ses racines familiales orthodoxes le rendent extrêmement sensible à la division des chrétiens et donc au problème oecuménique. Il va toute sa vie en être un apôtre passionné, utilisant pour cette cause mieux que quiconque ses multiples relations, tant directement religieuses que politiques. Elles lui vaudront à ce dernier titre, outre les félicitations de Rome, les considérations du gouvernement français qui le fera officier de la Légion d’honneur. Pour ce qui concerne proprement la cause de l’unité chrétienne, il s’attachera à la servir non seulement entre l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique, mais surtout, en Roumanie, son pays, entre la fraction byzantine (uniate) de celle-ci et sa fraction latine. Il jouira pour cela de la faveur de célébrer dans les deux rites de leur structure liturgique respective.

+ Prêtre donc ?

- Oui, depuis le 7 octobre 1923, à 50 ans, ordonné pour l’archevêché de Paris, avec affectation à « l’église des Etrangers », actuellement Saint-Ignace, 33 Rue de Sèvres, dans le 6° arrondissement. On y rappellera sans doute bientôt, au moins d’une plaque, son ministère d’époque. C’est dans cette église que sont enterrés les membres de la communauté jésuite du lieu, victimes des fureurs de la Commune, en 1871. J’y trouve aussi avec plaisir, moi qui suis Ardéchois, avec sa statue, une chapelle dédiée à saint Jean-François Regis, l’apôtre de mon Vivarais natal.

+ C’est ça le Centre Sèvres ?

- Exactement ! Je vous vois bien informés. Oui, c’est ici ! Du genre Faculté catholique de la Compagnie de Jésus… Mais revenons à Mgr. Ghika. Je m’excuse de vous l’avoir fait quitter !

+ C’était pour un surplus d’information, non dénuée d’intérêt.

- Notre Vladimir semble fait sur mesure pour un Paris en plein éveil après la guerre de 14-18. Bâti lui-même adéquatement pour ses multiples chantiers, de par ses capacités universelles : diplomate, musicien, poète, homme de lettres, mais surtout homme de Dieu, créant partout où il passe un appel vers les hauteurs. Aisément reconnaissable avec sa silhouette filiforme et sa longue barbe très tôt blanchie. Très demandé. Très apprécié. Visiblement habité de l’Esprit Saint, il parle d’abondance, sans papiers, sans préparation. Aussi naturellement à l’aise avec les pauvres de la rue qui le sentent des leurs qu’avec le monde politique que lui ouvre son nom de famille, les intellectuels de Meudon (le cercle des Maritain) qui apprécient ses connaissances philosophiques, avec le Cercle féminin de la Rue Madame où on l’écoute avec ravissement, dans l’accompagnement si ce n’est le lancement d’associations d’enseignement religieux comme le C.E.R. de Jean Daujat, l’Association « Virgo Fidelis » dont, comme par hasard, je suis justement l’aumônier actuel, etc. Il met partout en application sa théologie à double facette : « La liturgie du prochain » et celle « du besoin. »

+ C’est à dire ?

- Voir un appel divin pour toi en quiconque te sollicite !

+ C’est viable ça ?

- Je ne sais que vous dire ! C’est vague ou c’est excessif, sauf comme idéal. De fait Mgr Ghika va embrasser quantité de choses à s’en embarrasser, et à en embarrasser souvent ses collaborateurs. C’est un semeur. Il commence et laisse volontiers à d’autres la continuité, fait trop de choses à la fois. Peu doué lui-même pour l’action il entreprend, en donnant à certains l’impression de planer.

+ On ne peut courir deux lièvres en même temps.

- Moins encore une demi-douzaine, car je ne vous ai pas tout dit. Son amour pour le Saint Sacrement le fait désigner dans la direction des comités organisateurs des congrès eucharistique d’époque. On le trouvera ainsi (permettez que je consulte mes notes !), on le trouvera donc à Sydney en 1928, à Carthage en 1930, à Dublin en 1932, à Buenos-Aires en 1934, à Manille en 1936, à Budapest en 1938. Au point d’être traité par le pape Pie XI  de « vagabond apostolique » et de se brocarder lui-même : « Ma voie, c’est la voie ferrée » !

+ Sa paroisse de Paris s’en accommode ?

- Je me le demande aussi, ou plutôt, je sais qu’on l’y a remplacé, car l’archevêché à bien saisi sa vocation universelle. Il profite de ses nombreux voyages pour tisser des liens d’amitié entre les pays (le gouvernement français le fera officier de la Légion d’honneur, sous le Président du Conseil Aristide Briand, sans doute en reconnaissance de son rôle dans le rétablissement de ses relations avec le Vatican), s’informer des problèmes humanitaires locaux et y chercher les remèdes de nature et de grâce (c’est ainsi qu’il introduit le Filles de la Charité en Roumanie et pareillement les Carmélites au Japon), etc

+ Un vagabond de la charité comme saint Vincent de Paul, Raoul Follereau ou le Père Verenfried van Straten ?

- Mon Dieu, oui ! Mais nous n’avons fait que commencer sur son aspect missionnaire. Le plus original reste à dire. Ce sera d’une part la création de la société des Frères et Sœurs de saint Jean ; d’autre part son installation à Villejuif, dans la banlieue rouge de Paris, Là, pendant deux-trois ans, mais coupé des multiples sorties que nous connaissons, et d’autres, il veut être évangélisateur comme le Père de Foucauld en son Sahara.

   Pour ce qui est de la Société religieuse qu’il veut fonder, il achète, à l’Etat, un monastère en ruines à Auberive, dans la Haute-Marne. Outre la perspective monacale pour les siens, avec pour seule règle la charité selon saint Jean, il envisage d’y créer un centre artistique et une imprimerie pour venir en aide aux réfugiés, en fuite de la Russie communiste. Toujours sous l’inspiration à la fois de la théologie du besoin et de la liturgie du prochain ! On le verra ainsi faire venir pour le théâtre un piano à queue et acheter une vache pour nourrir la Communauté !

+ N’est-ce pas un peu fumeux tout ça ?

- Sans doute, puisque cela n’aura pas de suite, mais sous saviez déjà que Mgr. Ghika embrassait trop pour étreindre vraiment ; sa vocation étant dans l’inspiration plus que dans la réalisation.

   Restant dans la ligne apostolique, en attendant celle du martyre qui sera son triomphe principal, je continue avec l’autre entreprise, celle de Villejuif. Il s’y installe (en concomitance avec la fondation d’Auberive !) pour des semaines ou des mois discontinus, vivant dans un extrême dépouillement, s’efforçant d’établir des liens avec une population locale totalement déchristianisée. Les épisodes ne manquent pas de ses essais originaux à cet effet : par exemple les chaises trouées qu’il va chercher à Paris pour établir relation avec un voisin violemment anti-clérical, précisément rempailleur de métier… Il se gèle dans son cabanon-chapelle, s’il ne s’y morfond.

+ Chapeau ! Mais, Père Volle, quelque intéressant que soit tout cela, nous n’avons pas encore abordé le chapitre du martyre qui lui vaut la cérémonie de béatification de Villejuif... et notre propre visite !

- Je le sais, mais vous aviez besoin et envie de cet ensemble pour en comprendre toute la grandeur : un héraut de sainteté accusé de divers crimes et souffrant sa passion en celle du Christ, dans la cohérence avec sa doctrine et toute sa vie antérieure. Venons-y donc maintenant !

   Nous sommes en 1939. Mgr Ghika est parti à Bucarest en août pour le temps des vacances, le temps d’y installer une léproserie. Mais la guerre éclate. Il demande à l’archevêché de Paris et obtient la permission de rester dans son pays où déferlent, en grande détresse, les malheureuses victimes des déplacements de frontières et oppression communiste. Il y restera 15 ans, jusqu’à son martyre en 1954, dévoué jusqu’à la corde, selon sa théologie du besoin, auprès des pauvres et sinistrés de tout genre. Les deux dernières années seront celles de son emprisonnement et supplice par les nouvelles autorités, en dépendance idéologique de Moscou.

+ Pour quels motifs ?

- Inutile de le demander. Vous savez bien que les persécuteurs modernes les inventent selon leurs intérêts du moment. C’est d’ailleurs toujours pareil : pour des membres d’une famille princière, ce ne peut être que d’ordre politique ; pour des membres du clergé, ce sera en raison d’un relais prétendu avec le Vatican ; en liaison d’ordinaire avec des transferts de fonds quand on ne les invente pas de toutes pièces.

+ Cela pour Mgr Ghika ?

- Bien sûr ! Sa correspondance la plus normale avec les membres exilés de sa famille, par exemple avec son frère Démètre, ex-ministre, réfugié en Suisse. Tous les procès de ce genre se ressemblent, à tel point que je puis passer tout de suite au moment de la condamnation, qui, lui, n’est pas banal. Face au tribunal fantaisiste qui va lui infliger 5 ans de bagne « pour complicité de crime de haute trahison », la poitrine nue, la main levée, il se dresse comme un ange accusateur, récusant un avocat mensonger : « Je ne vous permets pas de parler en mon nom ! » Il semble un prophète sorti du tombeau. Tous les assistants sont pétrifiés. Le président ordonne à deux miliciens de l’enlever de force. Il s’ y oppose. On l’enferme dans un garage. C’est dantesque !

+ Oui, merci de n’avoir pas laissé de coté cet épisode ! La torture, la mort vont suivre ?

- Evidemment ! « Pendu et dépendu près d’une centaine de fois », dit son biographe (Famille chrétienne, n° 1858, p. 11). On a peine à le croire. Le pire pourtant ce seront des mois de détention dans le froid, la faim, le dénuement, l’absence de nouvelles, et jusqu’à la flamme qui le consume d’aider ses malheureux compagnons de cellule. Car, de l’éveil jusqu’au moment du sommeil le soir, ceux-ci l’entourent de leur vénération, de leurs problèmes, de leurs propres angoisses. Il ne se dérobe pas, se donnant tout à tous, avec un tel degré d’épuisement qu’il lui est arrivé une fois de tomber sans pouvoir ni se retenir ni se relever seul du trou commun pour besoins naturels . Toujours selon sa théologie du prochain divinisé.

Avec ces mots relevés par un témoin des derniers moments : « C’est en toi, Seigneur, que j’espère. C’est Toi la Cité qui va triompher. Ne me laisse pas tomber ! C’est ton amour que j’embrasse pour triompher de leur haine. Mes ennemis m’ont accusé injustement. Je m’accroche à Ta présence pour ne pas mourir dans les bras de la haine. Je ne voudrais pas que mon souffle détruise cette offrande de toute ma vie. »

+ Sublime ! Restons-en là !

- Oui !

 

Post-Scriptum : Cette fin abrupte impose un renvoi aux biographies. Parmi celles-ci nous recommandons en particulier celle de Jean Daujat : L’Apôtre du XX° siècle, Nouvelles Editions Latines, et celle de Michaela Vasiliu, Une lumière dans les ténèbres, au Cerf.

 

12 août 2013

 

Portrait suggéré et suggestif du Pape François

 

   L’irruption n’a pas fini de nous surprendre dans notre univers catholique et bien au-delà, du cardinal Jorge-Mario Bergoglio devenu le Pape François. Alors qu’il nous était – avouons-le ! – quasiment inconnu de ce coté de l’Atlantique, il y a seulement trois mois. Notamment après ses interventions aux J.M.J. de Rio de Janeiro on en met la main sur la bouche !

   Il est vrai que depuis son élection comme Souverain Pontife les biographies le concernant abondent, à se faire bien vendre, pour nous le dépeindre. Parmi celles-ci j’ai beaucoup appris de conversations, étalées sur deux ans, qu’il a tenues avec deux journalistes de Buenos-Aires, Sergio Rubini et Francesca Ambrogetti. Cadeau récent à mon endroit d’une admiratrice de Rosario : Francesco, el Papa Argentino, B.A., mars 2013 (1).

   Ce n’est pas toutefois des épisodes de sa vie que je veux traiter ici, mais plutôt de sa trajectoire spirituelle, si ce m’est permis. Et cela à partir d’un angle très pointu qui nous permet, curieusement, d’en généraliser l’impact à notre profit. A savoir d’une confidence de l’ouvrage cité, p. 119. A ceux évoqués qui le questionnent sur ses goûts il déclare, entre autres détails, qu’il a lu quatre fois Les Fiancés : I promessi sposi, d’Alessandro Manzoni, ainsi que La Divine Comédie, de Dante Alighireri.

   Là-dessus j’interroge mes propres lecteurs : S’ils ont jamais entendu parler de tels ouvrages se souviennent-ils de leur épaisseur ? Pour le premier, rédigé entre 1845 et 1842, en français et livre de poche, 863 pages, et pour le second, plus de 12000 vers, en 15 ans de travail (1306-1321). Il est vrai que l’histoire de Manzoni (1785-1873) est elle-même tout un poème, et celle de Dante une tragédie. Des vies donc, de part et d’autre, mêlées à de multiples événements « sociétaires ». En tant que telles leurs œuvres nous montrent leurs auteurs respectifs comme nous verrions Balzac, Flaubert ou Zola, photographies d’époque. Avec une philosophie commune, défensive d’un petit peuple, victime des puissants.

   Avec Bergoglio - Pape François, ce sont des flashes systématiques qu’on retire des livres cités, lesquels nous renseignent soit en creux, soit en positif, sur sa propre physionomie morale, sa façon d’aborder les problèmes, ses modèles de démarches apostoliques courageuses.

   Ainsi, dans Les Fiancés, ce sera don Abbondio, le curé poltron, impératif avec ceux qui sont faibles et peureux devant les forts. Ce sera surtout le cardinal Frédéric Borromée qui vient lui tirer les oreilles : « En refusant de marier Lorenzo et Lucia, tel que c’était votre devoir, par crainte de don Rodrigo qui convoitait la fille, vous avez été un lâche, indigne de votre ministère. » Et encore ce même Cardinal dans l’accueil si miséricordieux qu’il fait à un tyran du coin repenti. Ou le Capucin, Père Christophe, allant affronter dans son château le ravisseur de Lucia, le même que, dans une autre circonstance, lors de la grande peste de Milan, nous retrouvons sacrifié à l’extrême pour ses victimes. Autant de points de référence que l’on sache pour notre archevêque de Buenos-Aires, Bergoglio, dans son attitude lors des années dites de la dictature, du Général Videla (o.c. p.145-157)

   Dans La Divine Comédie, l’angle d’intérêt pour nous n’est pas moindre, bien que fort différent, pour connaître notre Pape François. L’ouvrage de Dante, parce qu’il est sociétaire tout comme le précédent, s’il abonde, certes, en situations et figures humaines, servant de repères soit en creux soit en bosses, nous offre surtout la ligne mentale fondamentale propre à un Jésuite, fils de saint Ignace de Loyola, forgé dans les Exercices Spirituels. Laissons pour cela le 14° siècle, celui de l’illustre poète et voyons de plus près de quoi il s’agit dans son œuvre immortelle. Pas moins que de la trajectoire du « je », tiré du péché et conduit jusqu’au au ciel de gloire. Il faut à Dante qui se l’approprie (tout en parlant pour tout le monde), à l’intérieur d’une protection qu’il doit à la Vierge Marie, il lui faut le secours de la philosophie, de la théologie et de la mystique. La philosophie lui est fournie par Virgile pour une traversée de l’enfer, la théologie dans sa visite au purgatoire par Béatrice (jeune femme de Florence qu’il a aimée de loin, alors décédée), la mystique par saint Bernard pour ce qui est du ciel empyrée, lieu de la vision béatifique. Dante sort d’une « forêt obscure », disons ses péchés, attiré de loin par une colline brillante mais, « pas si vite ! », trois bêtes féroces, lynx, lion, louve, lui barrent le chemin. Il lui est signifié qu’il doit en emprunter un autre, à savoir celui qui passe par l’enfer et le purgatoire, source de repentir et de sagesse. Virgile l’y accompagnera, jusqu’au seuil du paradis terrestre seulement, car pour aller au paradis céleste il aura besoin d’une autre guidance. En cours de route, il règle leur compte à ses ennemis personnels surtout politiques, qu’il met en enfer (d’abord magistrat souverain de la République de Florence, avec les guelfes blancs, il en avait été éjecté et condamné à mort par ses adversaires, guelfes noirs) ou ennemis doctrinaux, papes inclusivement.

   Eh bien, c’est cette même trajectoire, « carnet de route », que nous retrouverons dans les Exercices Spirituels ignatiens : du péché à la grâce, de la grâce au salut, passage de la première à la quatrième semaine des Exercices, méditation ad amorem, avec l’intériorisation progressive d’une intimité divine en Jésus-Christ. C’est d’ailleurs la même interprétation qu’il faudra donner à la peinture de la Sixtine, deux siècles plus tard (2).

 

   (1) Outre les deux livres ici mentionnés le Pape François doit évidemment beaucoup au poème national de la culture argentine, le Martin Fierro de José Hernandez : complainte d’un gaucho sur sa situation défavorisée avec des conseils de sagesse pour les gouvernants de son jeune pays. Le cardinal Bergoglio s’en servit pour le message qu’il délivra à Pâques 2002 aux communautés éducatives de la cité de Buenos-Aires (o.c. p.167-192)

(2) Pour Giovanni Papini La Divine Comédie est un « Jugement universel anticipé ». Et il commente : « Un seul homme, après Dante, a songé à faire quelque chose d’aussi grand : Michel-Ange. La Chapelle Sixtine est l’unique illustration digne de la Divine Comédie.  » (Alessandre Masseron, Dante Alighieri, p. 76)

  

11 juillet 2013, saint Benoît

 

L’encyclique «  à quatre mains » : Lumen Fidei

 

De façon quasi subite, à peine espérée, nous arrive la première encyclique du pontificat de Pape François : Lumen fidei. Dans ce texte « à quatre mains », mais sous une unique signature, notre Pape assume un travail laissé inachevé par Benoît XVI. D’un abord classique et didactique La Lumière de la foi se veut une récapitulation de l’essentiel de la foi catholique.

Avant de la présenter, en résumés succincts et forcément squelettiques, admirons, d’une part la piété filiale qui pousse le nouveau Pape à ne pas laisser se perdre rapidement dans l’oubli l’œuvre de son prédécesseur, et d’autre part l’humilité de celui-ci de se laisser comme dépouiller de son bien propre.

En quatre chapitres dont les deux premiers sont très clairement de marque « ratzingerienne », alors que les deux derniers en accusent une autre apparemment plus « bergoglienne ».

Touches rapides de notre part pour avoir envie…d’aller y voir de plus près, sur le choix du coup d’œil.

 

Premier chapitre

 

1 – Contraste entre la lumière partielle du soleil et celle universelle du Christ dans le croyant.

2 – Tout en s’accompagnant de paix la foi est recherche de vérité.

3 – Au delà des clartés de la raison et surtout de celles qui n’éclairent que l’immédiat.

4 – Venant de Dieu, par Jésus-Christ, elle est comme une étoile qui illumine nos horizons.

5 – C’est une expérience d’amour et de joie qui rend la vie grande et pleine.

6 – Dans la foulée du concile Vatican II et de son 50° anniversaire, l’Eglise a lancé l’Année de la foi, avec mise en évidence de son opportunité pour l’homme d’aujourd’hui.

7 – La présente encyclique reprend et continue celles de Benoît XVI sur les vertus théologales d’espérance et de charité.

8 – A la suite d’Abraham, le père des alliances personnelles de Dieu avec les hommes.

9 – Invitation à son écoute, sa mise en application, son cheminement.

10 – Imbrication de deux fidélités : l’homme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu lui fait ; Dieu est fidèle quand il donne à l’homme ce qu’il lui a promis.

11 – Dans la voix qui s’adresse à lui Abraham reconnaît un appel profond, inscrit depuis toujours au fond de son être,

12 – provocateur d’un exode et d’une marche en avant.

13 – L’histoire du peuple d’Israël se poursuit dans le sillage de la foi d’Abraham, histoire pleine des bienfaits de Dieu et de leur reconnaissance, mais avec les éclipses d’idolâtries toujours renaissantes, qui sont auto-adoration des œuvres et désintégration du sujet.

14 – Dans la foi d’Israël apparaît aussi la figure de Moïse, le médiateur du visage de Dieu.

15 – C’est en Jésus que se rassemblent toutes le lignes de l’Ancien Testament.

16 – Selon les évangélistes, le regard de la foi culmine à l’heure de la croix, croix glorieuse.

17 – A la lumière de sa résurrection la mort du Christ dévoile la fiabilité totale de l’amour de Dieu. Les chrétiens confessent son action permanente dans l’histoire.

18 – Pour nous permettre de le connaître, de l’accueillir et de le suivre, le Fils de Dieu a pris notre chair, et ainsi sa vision du Père a lieu aussi de façon humaine. Sa marche et son parcours dans le temps.

19 – Celui qui croit, en acceptant le don de la foi, est transformé en une créature nouvelle. L’ « Abba, Père » est la parole la plus caractéristique de l’expérience de Jésus en nous,

20 – parole de salut, dans l’Esprit Saint qui alors nous habite.

21 – Le chrétien peut avoir les yeux de Jésus, ses sentiments, sa disposition filiale, parce qu’il s’est rendu participant de son Amour, qui est l’Esprit.

22 – La foi a une forme nécessairement ecclésiale : elle se confesse de l’intérieur du Corps mystique du Christ, communion concrète des croyants.

 

Deuxième chapitre

 

23 Puisque Dieu est fiable, il est raisonnable d’avoir foi en lui, de construire sa propre sécurité sur sa Parole. Amen ! Amen !

24 - La foi n’est ni un beau conte ni un beau sentiment, elle a cause liée avec la vérité.

25 – Nous sombrons aujourd’hui (fruit du scientisme et réaction peut-être aux grands totalitarismes du siècle dernier) dans le relativisme. La question sur la « vérité de la totalité », qui est aussi une question sur Dieu, n’intéresse plus.

26 - C’est dans le cœur (Rom.10,10) que s’établit le type de connaissance propre à la foi. Celle-ci connaît dans la mesure où elle est liée à l’amour, le grand amour de Dieu qui nous transforme intérieurement et nous donne des yeux nouveaux.

27 – Si la vérité a besoin de l’amour, l’amour a besoin aussi de la vérité. Sans elle il ne réussit pas à porter le « moi » au-delà de son isolement et ne surmonte pas l’épreuve du temps.

28 - Dans la Bible, vérité et fidélité de Dieu vont de pair. Pour embrasser toute l’histoire du monde, depuis la création.

29 – Si la connaissance est liée à la vision dans le monde grec, elle l’est prioritairement à l’audition selon les données bibliques. Avec le désir subséquent de voir le visage de Dieu et de saisir son dessein.

30 – Comment arrive-t-on à cette synthèse entre l’écoute et la vision ? Cela devient possible à partir de la personne concrète de Jésus.

31 – S’y adjoint le toucher. Par son Incarnation, par sa venue parmi nous, Jésus nous a touchés, et par les Sacrements aussi il nous touche aujourd’hui… C’est seulement quand nous sommes configurés au Christ que nous recevons des yeux adéquats pour le saisir.

32 – Les premiers chrétiens trouvèrent dans le monde grec et sa faim de vérité un partenaire idoine pour le dialogue. La rencontre du message évangélique avec la pensée philosophique du monde antique fut un passage déterminant pour que l’Evangile arrive à tous les peuples.

33 – Application au cheminement de saint Augustin. Avec lui la lumière devient, pour ainsi dire, la lumière d’une parole, parce qu’elle est celle d’un Visage personnel, avec réverbération dans le cœur.

34 – Née de l’amour, la foi n’est pas intransigeante. Elle grandit dans une cohabitation qui respecte l’autre. Par ailleurs, en invitant à l’émerveillement devant le mystère du créé, elle élargit les horizons de la recherche scientifique.

35 – Celui qui se met en chemin pour faire le bien s’approche déjà de Dieu. (Renvoi à la Lettre aux Hébreux)

36 – Importance de la théologie, qui est une participation à la science que Dieu a de lui-même.. Sa liaison avec le Magistère du Pape et des évêques lui assure le contact avec sa source originaire.

 

Troisième chapitre

 

37 - La foi se transmet par contact, de personne à personne, comme une flamme s’allume à une autre flamme.

38 – Le passé de la foi nous parvient par la mémoire d’autres, des témoins. Il est de la sorte conservé vivant dans ce sujet unique de mémoire qui est l’Eglise.

39 – Après le bain de la nouvelle naissance, le catéchumène est accueilli dans la maison de la Mère pour élever les mains et prier avec ses frères le Notre Père.

40 – Outre l’intérêt du message oral ou des livres, le réveil de la foi passe par celui d’un nouveau sens sacramentel qui montre comment le visible et le matériel s’ouvrent sur l’éternel.

41 – Application au baptême, qu’on ne s’administre pas soi-même mais qu’on reçoit en entrant dans la communion de l’Eglise. Pour un engagement de la personne, devenue enfant de Dieu,

42 – Importance du catéchuménat pour les adultes.

43- Et pour les enfants de la démarche des parents. L’orientation du baptême sera corroborée ultérieurement pour les uns et les autres dans le sacrement de la confirmation, sceau de l’Esprit Saint.

44 – La nature sacramentelle de la foi trouve sa plus grande expression dans l’Eucharistie, à la foi acte de mémoire et passage du visible vers l’invisible. Le pain et le vin se transforment en Corps et Sang du Christ, lequel se rend ainsi présent dans son chemin pascal avec nous vers le Père.

45 – Toutes les vérités du Credo disent le mystère de la vie nouvelle dans la foi en tant que communion avec le Dieu vivant, Père, Fils et Saint Esprit.

46 – Quatre éléments résument le trésor de mémoire que l’Eglise transmet : la Confession de foi, la célébration des Sacrements, le chemin du Décalogue et la prière. (Renvoi à cet instrument fondamental qu’est le Catéchisme de l’Eglise Catholique).

47- En tant que lumière aux diverses composantes, il nous faut affirmer, contre les gnostiques d’hier et d’aujourd’hui, que la foi passe toujours par le concret de l’Incarnation. Sans différence de nature entre celui qui peut en parler longuement et celui qui n’a pas autant de capacité.

48 –Tous les articles de la foi sont reliés entre eux et n’en font qu’un, au point qu’en nier un seul, même celui qui semblerait de moindre importance, revient à porter atteinte à tout l’ensemble. Continuité de la doctrine dans le temps, avec sa capacité d’assimilation purificative des diverses cultures qu’elle rencontre. (Renvoi à John-Henry Newman).

49 – Au service de l’unité de la foi et de sa transmission complète, le Seigneur a fait à son Eglise le don de la succession apostolique. C’est par lui que peut nous parvenir intacte sa volonté (Saint Paul aux Anciens d’Ephèse. Ac. 20, 27)

 

Quatrième chapitre

 

50 – La foi ne se présente pas seulement comme un chemin, mais aussi comme l’édification d’un lieu dans lequel les hommes peuvent habiter conjointement (Arche, Tente, Maison, Cité).

51 – Elle n’éclaire pas seulement l’intérieur de l’Eglise, elle ne sert pas seulement à construire une cité éternelle dans l’au-delà, mais elle nous aide aussi à édifier nos sociétés présentes.

52 – Le premier environnement dans lequel la foi éclaire la cité des hommes c’est la famille fondée sur l’union stable de l’homme et de la femme dans le mariage, et ouverte à la transmission de la vie.

53 – Traversant une période si complexe de leur existence, les jeunes surtout doivent ressentir la proximité et l’attention de leur famille et de la communauté ecclésiale pour les aider à croître dans la foi. - Intérêt des J.M.J.

54 – Dans la « modernité » on a cherché à construire la fraternité entre les hommes en la fondant sur leur égalité. Peu à peu cependant, on a compris que cette fraternité, privée de sa référence à un Père commun comme son fondement intime, ne réussit pas à subsister. Quand cette réalité est assombrie, l’homme perd sa place dans l’univers. Il s’égare dans la nature en renonçant à sa responsabilité morale, ou bien il s’attribue sur elle un pouvoir de manipulation sans limites.

55 – La foi éclaire la vie en société. Elle sait situer tous les mouvements de l’histoire en rapport avec l’origine et le destin de toute chose, dans le Père qui nous aime, nous pardonne et nous apprend à pardonner.

56 – Le chrétien sait que la souffrance ne peut être éliminée, mais qu’elle peut recevoir un sens, devenir acte d’amour, une étape de croissance, jusqu’à la mort inclusivement.

57 – Ne nous laissons pas voler l’espérance, ne permettons pas qu’elle soit rendue vaine par des solutions et des propositions immédiates qui nous arrêtent sur le chemin, qui « fragmentent » le temps, le transformant en « moments ».

58 – Marie est notre icône sur la route. En elle le chemin de foi de l’Ancien Testament est assumé dans le fait de suivre Jésus et de se laisser transformer par lui.

59 – Au centre de la foi, se trouve la confession de Jésus, Fils de Dieu, né d’une femme.

60 – Tournons-nous vers elle, pour qu’elle éveille en nous le désir de suivre ses pas, en sortant de notre terre et en accueillant la promesse…

Jusqu’à ce qu’arrive ce jour sans couchant qui est le Christ lui-même, son Fils, Notre-Seigneur.

11 juin 2013

 

Alors, on désespère ?

 

+ Nos manifs n’ont rien donné, Père Volle. Nous avions tant misé sur elles et nous avons perdu. Malgré notre nombre d’opposants la loi Taubira est passée, sans la moindre retouche, validée par le Conseil Constitutionnel, applaudie de tous côtés. C’est à vous décourager de se déranger désormais !

- Quoi, mes amis, tellement à coté de la plaque, vous que je croyais intelligents ! Avec, en plus, une mentalité de mauvais perdants ! C’est à se décourager, oui vraiment, mais pas dans votre sens ! Dites, est-ce que vous regretteriez d’avoir été sur les photos des grands rassemblements ? Vos divers voyages à Paris à cet effet ? Les amitiés nouvelles que vous y avez nouées ? Le tonus du moment au moins ?

+ Non, bien sûr, mais ça c’est second. Ce que nous cherchions à atteindre nous a été refusé. Dès lors, tout se dégonfle !

- Quoi, vos amis du jour vous ont tourné le dos ? L’argent que vous avez dépensé en déplacements aurait été mieux employé à vous promener en diversions ou randonnées ? D’avoir été chauffés jusqu’à l’enthousiasme vous laisserait maintenant paumés ? Vous ne seriez pas sensibles au réveil d’esprit civique d’une résistance aussi globale à des lois iniques ? J’aligne, vous le voyez, en grossissant successivement leur importance, les résultats positifs de vos démarches. De quoi vous remonter à la fois les bretelles, car vous n’avez saisi que vaguement les enjeux en cause, et le moral pour une continuité d’efforts dans la ligne engagée.

+ Vous voulez dire que rien n’est perdu ?

- Mais d’abord que ce qui a été perdu - une batille ciblée – n’est qu’un épisode d’une guerre qui, elle, ne l’est pas et ne peut l’être car c’est une guerre d’idées. Et pour qu’une idée se maintienne, comme un feu prêt à repartir en incendie, il suffit d’une seule tête restée saine. Le fruit principal de nos manifs est le renforcement ou la diffusion à grande échelle d’un idéal de bonne santé psychologique et moral individuel, avec ses retombées sur la vie civique en général, de notre pays et de ceux qui nous regardent vivre, réagir. Un réveil. Un sursaut. La remontée en question ne s’est pas effondrée comme le ferait une vague. Ou du moins cette vague, en vertu de son poids, a engendré une lame de fond qui perdure tout en s’enrichissant sur la durée. En l’occurrence celle d’un renforcement de la civilisation judéo-chrétienne qui nous porte, vous ne le sentez pas ?

+ Vous êtes lyrique, Père Volle ! On dirait que vous voulez transformer les échecs en autant de victoires. On vous suit péniblement…

- Les défaites sont des défaites ! Au niveau du but premier mobilisateur, celle du retrait d’une loi néfaste, c’est perdu, certes, pour l’instant. Nos espérances déjà très légères au départ ne se sont pas vues honorées par nos gouvernants. Mais je voudrais relever votre regard qui est vraiment affaissé. S’il s’agissait, tout à l’envers du cas présent, s’il s’agissait d’une victoire de notre camp sur un ennemi battu à plate couture dans une escarmouche, est-ce que vous pavoiseriez tous azimuts ? Bien sûr que non ! Vous diriez : ceux d’en face vont essayer de prendre leur revanche car on ne les voit pas désarmer ! On dirait même qu’ils sortent de leur bataille perdue plus déterminés que jamais, purifiant leur cause, améliorant leurs tactiques !

Exactement notre cas, en reprenant les choses par la base : la sauvegarde du bon sens, la primauté du réel sur l’idéologie, la lumière indépassable du Décalogue, l’héritage séculaire imprégné d’Evangile qui a fait la grandeur de nos pays ouverts largement sur l’éternel… Vous devez bien saisir en plus que la permanence d’une revendication, envers et contre tous, est non seulement un argument sur son fond de légitimité mais une quasi assurance de son triomphe un jour. Cela se vérifie dans les questions sociétaires autant que dans celles de guerre et de paix, l’unification d’une nation, le règlement des frontières, les décolonisations.

 

Par exemple les Allemands devaient bien comprendre que l’Alsace et la Lorraine, tombées sous leur coupe après la guerre de 1870, leur seraient ravies une fois de plus puisque la protestation ne s’arrêtait pas pour dire « françaises » à jamais ces provinces. « Nous l’avons eu votre Rhin allemand / Il a tenu dans notre verre / Un couplet qu’on s’en va chantant / Efface-t-il la trace altière / du pied de nos chevaux marqué dans votre sang ? » (La poésie moqueuse et revancharde d’Alfred de Musset, ramenée à notre contexte). Dans ce même registre le vainqueur momentané d’une cause en tombe des nues lorsqu’il constate que son droit prétendu est tenu pour non avenu par ceux d’en face. C’est la meilleure manière de l’éclairer sur leurs meilleurs motifs. Dans le cas présent les pro « mariages-gays » peuvent bien voir que leurs adversaires regardaient au-dessus d’un horizon purement politique puisqu’ils persévèrent à manifester ; tout en sachant que la loi néfaste du moment ne sera pas retirée de si tôt, ni déboulonné avant elle le Président de la République ! Au plus haut sommet, entre le martyr et le bourreau, c’est le martyr qui triomphe. On a dit avec bonheur que « les causes pour lesquelles on meurt sont celles qui ne meurent pas. » Ce qui était mal avant la loi le reste après. C’est cela qu’il fallait démontrer et montrer.

+ Vous êtes lyrique, Père Volle !

- A ce point ? Mais c’est tout vrai, tout ça, pour tout le monde. Il n’est qu’à voir ce qu’on pense de nous à l’étranger sur notre combat actuel, défaite du moment incluse. « Ils sont incroyables ces Français. Il faut toujours qu’ils se distinguent (allusion aux divers Etats qui on adopté les lois que nous combattons) Toujours en pointe ! Avec leur Jeanne d’Arc, leur de Gaulle, et maintenant leur Frigide Barjot ! Battus par leurs propres chefs ils entrent en résistance. Comme si de rien n’était ! Nous pouvons y prendre du feu ! ».

+ Vous avez nommé Frigide Barjot, vous savez qu’elle abandonne le mouvement de la « Manif pour tous ». C’est pas décourageant ça ?

- En quoi décourageant ? Elle abandonne pour mener son combat, le même au fond, d’une autre manière. Il faut savoir s’adapter à un nouveau contexte, et, par ailleurs, c’est noble de savoir s’effacer. Quelqu’un en poste de responsabilité doit penser à sa succession.

+ Qu’est-ce que vous en pensez ?

- Je l’admire. Elle a eu beaucoup de courage. La vague protestataire lui doit beaucoup. D’autres lui donneront le coup de pied de l’âne, s’ils le veulent, pas moi. J’ai été amusé par sa biographie et lui souhaite bonne chance pour son avenir. Sans majorer son influence ni ignorer éventuellement quelques faux-pas, c’est à la gloire de notre France profonde. Comme si le salut venait d’où on ne l’attendait pas.

+ On dit que plusieurs députés, et non des moindres, comme Mr. Mariton, qui avaient si vigoureusement « contré » le gouvernement sur la loi Taubira, seraient prêts, s’ils étaient aussi maires, à « célébrer » des unions d’homosexuels, qu’en pensez-vous ?

- Si c’est vrai, même à contre-cœur, j’y vois une pénible concession. Immorale ? je n ‘ose dire, puisque collaboration simplement matérielle alors à un acte mauvais (« selon la loi, une loi que je ne peux qu’appliquer, vous seriez unis en mariage  » ), mais c’est troublant, effectivement. J’aimerais bien avoir des détails. Le député-maire que vous avez cité nous en donnera sans doute pour son compte. Je continue à lui faire confiance, ainsi qu’à d’autres confrères dans le même cas. C’est aussi grave que pour les gendarmes qui acceptaient de mettre à la porte nos Religieux expulsés, au temps du Petit Père Combes (1904)

   Mais à coté de ceux que vous avez en vue, d’autres (Vienne, Arcangues…) font parler d’eux en sens contraire. En claire opposition avec notre si mal inspirée ministre de la justice ! Et vous ne voyez pas ces initiatives nées on ne sait où et qui fleurissent un peu partout comme les mères veilleuses, les sweats, tee-shirts, masques blancs ou autres signes d’appartenance LMPT ? Cela ne vous fait pas penser aux marques identitaires des premiers chrétiens, poissons, ancres, carrés magiques ? Pas forcément religieux, mais au moins l’expression d’une lame de fond instinctive. Il ne manque plus, si elle n’est pas déjà là, que la naissance démultipliée de discrets comités contre-révolutionnaires pour assurer une permanence de résistance. L’internet (facebook, Twitter) offre tant de possibilités d’action aujourd’hui, à la barbe de quiconque !

+ Sans co-signer tout ce que vous nous dites, Père Volle, nous convenons que vous nous avez renouvelés. Surtout en nous parlant de la pérennité des idées ou des grandes causes.

- J’en suis heureux. Cela me permet de terminer notre entretien sur un autre point d’histoire de France : l’attitude des Chanceliers des principaux Parlements (Paris, Rouen, Aix-en-Provence, Bordeaux, si je ne me trompe) au temps de nos derniers grands rois. Lors de l’office funèbre du monarque décédé, alors que le noir s’étalait partout dans les temples, eux restaient habillés de rouge car ils représentaient la justice, et « la justice ne passe pas ».

+ Splendide !

13 mai 2013

 

Un berger selon le cœur de Jésus, notre Pape François.

 

   C’est dans la joie que nous avons accueilli notre nouveau Pape, François. Dans la joie d’ailleurs que nous l’attendions, avant même d’en connaître la personne, c’est à dire quel qu’il fût. Avec l’acclamation des foules le jour des Rameaux : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Précisément parce qu’il nous venait au nom du Seigneur ! Dans la joie encore, à relever toutes les marques d’affection qu’il prodigua tout de suite à son prédécesseur, à jamais béni lui aussi, au nom si heureux, Benoît ! Ca allait tellement de soi !

   Ce qui n’allait pas tellement de soi par contre, c’était l’accueil qu’il aurait du coté des medias. Pas du peuple des fidèles, bon peuple romain, pèlerins et touristes venus tout exprès par milliers, Place Saint-Pierre, dès la blanche fumée, mais des medias. Or l’enthousiasme en sa faveur à ce niveau a été immédiat et énorme. Dieu en soit béni là encore ! Pourvu que ça dure !

   + « Allez, Père Volle, ne jouez pas les Cassandre, bien sûr que ça va durer ! Qu’est-ce qui vous ferait craindre le contraire ?

   – Rien pour l’instant, si ce n’est la loi de l’histoire .

   + A savoir ?

   – Que ne dure, d’abord, au niveau émotionnel, que ce qui plaît, qui donne dans le facile, ne demande pas trop d’efforts. Or l’attente est large dans un public plus ou moins chrétien d’une moindre exigence de vie morale avec François que celle enseignée jusqu’ici par nos Papes successifs, surtout les derniers. Attente trompeuse à partir de ce qu’on peut savoir de sa rigoureuse pastorale en tant qu’archevêque de Buenos-Aires. L’enthousiasme relevé l’a été d’abord par le choix du nom de l’élu, François, avec tout ce qu’évoque dans l’imagerie populaire le poverello d’Assise. Une multitude d’anecdotes relevant de la bonté ou de la simplicité comme autant de fioretti, vraies ou quelque peu surfaites au besoin, sont venues justifier le parallélisme : langage, gestes, vêtements...

   + Mais c’est bon tout ça, non ?

   – Bien sûr, mais ça reste superficiel. donc fragile. Il suffit d’un rien pour inverser les tendances, selon l’usage fréquent des medias par rapport à leurs idoles du moment : il n’y a pas loin du lécher au lâcher, puis au lyncher. Je note encore une tactique perverse utilisée à l’époque de Jean XXIII en pays marxistes, celle de la dialectique : elle gonfle le passé pour discréditer le présent. On a ainsi élevé des statues en l’honneur du « bon pape Jean », supposé débonnaire et coulant face au communisme, afin de relativiser l’enseignement et la pastorale de Pie XII sur le sujet. Qui sait si ça ne s’appliquera pas très bientôt à l’encensé du jour : «  C’est plus comme avant ! » . Vous n’avez pas relevé déjà quelques expressions critiques ?    

+ Mais non !

– Tant mieux, mais certaines m’ont atteint yeux ou oreilles : « Comme tout le monde on aime bien le Pape François, mais pourquoi est-il si populiste, si paupériste, inattentif au décorum, dépourvu de gravité où il en faudrait comme à la messe. On le loue pour des attitudes qui sont plutôt du style d’un gros curé de campagne que d’un Pape. D’ailleurs il ne se donne que comme « l’évêque de Rome ». Et parfois ça ne fait pas sérieux, comme d’embrasser la Présidente madame Kichner, son adversaire acharnée en Argentine, de laver les pieds de deux filles musulmanes, lors de la cérémonie du Jeudi-Saint, de signer sur le plâtre d’une jambe d’infirme, etc. »

   + Père Volle, ça c’est trop mesquin pour qu’on s’y arrête. Alors que c’est même plus admirable que blâmable. Nous n’écoutons plus !

   - Oui, j’arrête volontiers. Je n’ai voulu que vous alerter sur la suite possible des enthousiasmes lorsqu’ils ne sont pas suffisamment raisonnés. Et, dans cette ligne, vous vacciner. La seule critique importante qui m’ait paru non seulement déplacée, mais fausse et méchante, c’est une accusation d’ « ignorer le Concile », et on sait combien ça a du poids aujourd’hui ! Elle suppose une telle bêtise ! Puisque je vous ai devant moi, amis, et devant mes livres, je vais vous lire, à titre d’exemple instructif, quelques passages de son homélie de la messe célébrée le 16 avril, jour anniversaire de Benoît XVI et à son intention. Nous y prendrons du feu, et peut-être pas dans le sens imaginé : « Le concile Vatican II a été une belle œuvre de l’Esprit Saint... Jean XXIII lui a été obéissant en le réalisant… Mais après cinquante ans, avons-nous fait tout ce qu’a dit l’Esprit Saint dans le Concile, dans cette continuité de la croissance de l’Eglise depuis lors ? Non ! Nous lui érigeons une sorte de monument, mais nous nous inquiétons surtout qu’il ne nous dérange pas ! Nous ne voulons pas changer… Il y a plus : certaines voix veulent revenir en arrière. Cela s’appelle être des nuques raides, vouloir domestiquer l’Esprit Saint, être des cœurs lents et sans intelligence. »

J’en profite pour vous inviter à lire le livre le plus à même, aujourd’hui encore, en des domaines à la fois de spiritualité et de pastorale, pour connaître la pensée de notre Pape François sur nos problèmes actuels d’Eglise : Amour, service et humilité. C’est la Retraite spirituelle qu’il a donnée aux évêques espagnols en 2006. En sous-titre de jaquette : L’Eglise selon le Pape François, avec préface du cardinal Philippe Barbarin (Aux éditions Magnificat). Dans l’abondante littérature d’actualité le concernant, c’est l’ouvrage qui m’a le plus instruit sur lui. Outre d’y trouver un commentaire hautement autorisé des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola… Il s’écarterait du Magistère celui qui y enseigne les « Règles pour sentir avec l’Eglise » ? Avec tant de citations de Paul VI, le « Pape du Concile », et notamment les références répétitives de son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, allons donc !

+ En revenant un instant nous-mêmes en arrière, Père Volle, qui donc serait visé dans la critique des « nuques raides et des cœurs sans intelligence » de l’homélie ?

– Pourquoi devrais-je être un accusateur ? Il me suffit de vous renvoyer peut-être, à titre d’exemple, via internet, aux acerbes accusations de hauts responsables de la FSSPX dans de récentes lettres circulaires, mais je n’insiste pas. Souhaitons que leur péniche ne reste définitivement arrimée sur les quais pendant que le grand vaisseau a pris le large, définitivement aussi… Quant à nous, cultivons notre jardin !

En ce sens, je vais personnellement vous faire une confidence. Quelques minutes après la salutation du nouveau Pape à son peuple, le 13 mars, un ami me téléphone, en toute naïveté : « Père Volle, qu’en pensez-vous ? ». Au lieu de l’éconduire par quelques mots d’incompétence, je réponds, tout naïvement moi aussi : « Eh bien, nous aurons un jésuite pur sang aux commandes. Rigoureux et vigoureux. Avec, probablement, pas beaucoup de chaleur humaine tout autour ! ». Je me trompais, sur ce dernier point, vous l’avez vu et souhaite être longtemps dans l’erreur.

   Avec un peu de recul, je répondrais aujourd’hui, suite notamment à sa merveilleuse homélie du 28 mars (à la messe chrismale) : Nous aurons, nous avons, essentiellement un Pasteur, Berger selon le Cœur de Jésus ! C’est magnifique !

13 avril 2013

 

Notre sacerdoce

 

   Le prêtre est en substance un Pasteur, officiellement consacré comme tel au service d’un troupeau que lui a confié l’Eglise ou qu’il s’est constitué légitiment en son sein par sa propre activité.

   Son rôle de Pasteur, en participation de celui de Jésus, « grand prêtre des biens à venir » (He 9,11), lui demande de conduire ce troupeau, grand ou petit, vers le salut d’éternité par la parole, la doctrine, les sacrements.

   Présentement il s’agit de l’introduire toujours plus avant dans l’offrande à Dieu que Jésus, Christ et Sauveur, a fait de sa vie, en adoration, action de grâce et prière.

Cette offrande est surtout impliquée dans le geste de consécration eucharistique dont le prêtre est rendu capable par sa propre consécration des mains de l’évêque.

   Le prêtre quand il célèbre, le fait devant Dieu au nom d’un peuple de chrétiens, eux-mêmes, de par leur baptême, à leur niveau propre, participants des trois fonctions de Jésus : sacerdotale, royale, prophétique.

   Le service eucharistique qu’il assure comme la donnée spécifique de son état reste donc lié à une mission plus large.

   En tout ce qu’il fait, le prêtre marque de son caractère de Pasteur la moindre de ses activités. Elles sont unifiées dans leur orientation au moins implicite vers sa prochaine célébration. Tout comme l’était, vers son sacrifice eucharistique unique, la vie de Jésus : oblation interne de tous les instants, une seule messe – et quelle messe ! – : celle du Calvaire. A quelque moment du jour, quand on demandait à saint François de Sales, ce qu’il faisait, il répondait affablement, moitié par boutade, moitié sérieusement, qu’il  préparait sa messe !

   Dans la Prière n°III, une fois réalisée la Consécration, le prêtre célébrant en précise en ces termes adressés au Père à la fois la nature, le but, la fécondité souhaitée : « En faisant mémoire de ton Fils, de sa Passion qui nous sauve, de sa glorieuse résurrection et de son ascension dans le ciel, alors que nous attendons son dernier avènement, nous présentons cette offrande vivante et sainte pour te rendre grâce. Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Eglise, et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton alliance ; quand nous serons nourris de son Corps et de son Sang et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. »

   Une prière proposée au célébrant comme préparation de sa messe lui en déploie encore plus largement les fruits attendus :

Ego volo celebrare Missam et conficere Corpus et Sanguinem Domini nostri Jesu Christi, etc.  : « Je veux célébrer la Messe et produire, faire, rendre présents le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus Christ, selon le rite de la sainte Eglise Romaine, à la louange du Dieu Tout Puissant et de toute la cour céleste, pour mon profit et pour celui de toute l’Eglise militante, pour tous ceux qui se sont confiés à mes prières, d’une façon globale ou précise, pour l’heureux développement de la sainte Eglise Romaine. Amen. – Que le Dieu Tout-Puissant et miséricordieux nous accorde joie et paix, amélioration de nos vies, le temps d’une vraie pénitence, la joie et la consolation de l’Esprit Saint, la persévérance dans nos bonnes œuvres. Amen. »

   Le prêtre est un Pasteur ou un prophète appelé divinement et marqué sacramentalement, pour mener à terme par toute son activité, le cheminement vers le ciel de ses brebis, brebis qui sont du Christ et sont le Christ. Dabo vobis pastores juxta cor meum , et pascent vos scientia et doctrina : « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur et ils vous alimenteront de science et de doctrine… » (Jer.3,15) – Exhortation post-synodale de Jean-Paul II, en 1992.



18 mars 2013

Vive notre Pape François !

 

- Venez vite, amis, que nous célébrions ensemble le nouveau Pape que le Seigneur vient de donner à son Eglise !

+ Oui, bien sûr, volontiers, très volontiers !

- Quoi « très volontiers » ! Est-ce que vous le diriez en vous forçant !

+ Mais non, oui très volontiers ! Enfin, tout en nous forçant quelque peu, c’est vrai ! Que voulez-vous, ce n’était pas notre candidat !

- Quoi ? Ce n’était pas votre candidat, et c’est pour cela que vous traînez les pieds ? Alors là ! Venez encore un peu plus vite que je vous remonte les bretelles !

+ Il faut vous dire aussi que celui que nous n’aimons guère dans notre groupe, parce qu’il a la manie de la contradiction, celui-là était tombé juste ! Il jubile, et ça nous enrage !

- Mais vous êtes encore des gamins ! Qui l’aurait cru ? Au point de faire grise mine au fabuleux cadeau que nous venons de recevoir, et ne pas vous complaire dans toutes les qualités que les médias livrent maintenant du personnage !

+ Vous avez sûrement raison, mais il ne nous déplairait pas de retrouver pleinement la ligne droite. D’où notre visite car nous avons confiance en vous. C’est que nous aimions tellement Benoît XVI que sa disparition pratique nous laisse encore troublés !

- Autant de sensibleries supplémentaires de votre part ! Je rends hommage à votre affection pour lui, mais pas autant à votre foi ! Enfin, mettons cela sur une émotion du moment, tout comme, si vous l’acceptez, sur un point d’amour propre quelque peu chiffonné ! Et parlons positif !

+ A vous écouter !

- Par exemple en félicitant votre trublion d’avoir eu plus de flair que vous ! En vous cotisant pour un voyage à Rome représentatif de votre groupe, en vous mettant à jour en fait de lectures sur le nouvel « Oint du Seigneur », en vous alignant au plus vite sur ses orientations…

+ On admire votre enthousiasme, Père Volle ; ce qui veut dire que vous aussi étiez tombé juste, non ?

- Bien sûr, j’attendais votre question, et je prenais un malin plaisir à ne pas dévoiler tout de suite mes batteries. Eh bien, tenez-vous chacun à votre siège, mais tout comme vous, j’ai perdu !

+ Quoi, votre candidat n’est pas passé ! Et vous faites de la pub. pour un autre !

- Pas de la pub. l’élection appartenant désormais à l’histoire ancienne et mes goûts enterrés, mais un désir de développer, en moi et autour de moi, un climat d’affection pour lui. Il en aura besoin. Il n’est qu’à voir comment comptent si prendre déjà, pour lui compliquer la vie, les ennemis classiques de l’Eglise. Pensez voir ! Il est contre le sacerdoce des femmes, contre l’avortement, contre la culture gay, pour le respect de la vie de la conception jusqu’à la mort naturelle, tout le programme moral de ses prédécesseurs, quoi ! Et ne suffisent pas à le faire accepter ni le fait d’être – enfin ! - un extra-européen, ni son activité d’archevêque d’un diocèse comme celui de Buenos-Aires, ni ses options pour les pauvres et autres qualités de simplicité universellement reconnues, ni son nom inouï de François, synonyme de changement, etc. Qui plus est, un Jésuite, vous pensez ! Et quand on ne trouve rien on invente ! Il ne manque pas de publications qui en soient capables ! Sans que j’aie besoin de vous les nommer !

+ Quoi, vous achetez ces torchons stercoraires ?

- Non, je ne les achète pas, mais leur donne un coup d’œil rapide quand je fais mes emplettes dans les librairies parisiennes. Fas est ab hoste doceri.

+ Vous dites ?

- Qu’ « il est bon de se laisser instruire par l’ennemi » ; c’est un adage séculaire. Au demeurant, attention à votre langage ! On est facilement mené devant les tribunaux aujourd’hui !

+ Malheur, mais en quel monde vivons-nous ?

- Eh bien, mes amis, nous vivons en un monde profondément fourvoyé sur des points fondamentaux du vivre-ensemble, et qui reste pourtant visité par la grâce du salut. L’Eglise est faite pour la lui offrir, dans un combat de toujours ! Celui dont nous tracera sûrement les lignes d’action notre nouveau Pape, à la suite de ses prédécesseurs. Nous sommes d’accord ?

+ Vous êtes convaincant, Père Volle ! Avant de vous quitter, on peut se permettre de vous demander quel était votre candidat préféré ?

- Vous êtes un tantinet indiscrets. Commençons par le vôtre !Après, on verra !

+ Eh bien, dans notre groupe, sauf notre trublion, on optait généralement pour le cardinal Sarah ! En tant qu’Africain, d’une part (c’est l’heure de l’Afrique !), et en tant que bon connaisseur des problèmes de la Curie, dont il fait partie depuis plusieurs années.

- C’était là assurément une vue très ajustée, même si elle n’a pas été retenue !

+ A vous de nous dire maintenant votre propre choix !

- Il s’agissait d’un ami de longue date !

+ Et ça vous aurait suffi pour élire un Souverain Pontife ? Avec votre respect, les gamineries dont vous nous accusiez seraient-elles devenues de votre fait ?

- J’ai voulu d’abord vous amuser, et l’amuser lui-même, car il s’y reconnaîtrait, si nos propos lui parviennent.

+ De toute façon, selon votre théologie ou spiritualité, vous ne seriez pas loin d’attribuer à l’Esprit-Saint quelque choix final en ce domaine, non ?

- Oui, mais sans dégager pour autant les électeurs de leur responsabilité personnelle, comme en tout acte moral. J’ai relevé ces jours, sur internet, la réponse en son temps (1977), du cardinal Ratzinger à un journaliste qui l’interrogeait là-dessus, comme vous faites avec moi. Voici comment il voyait les choses : « En bon éducateur le Saint-Esprit nous laisse un grand espace de liberté, sans nous abandonner entièrement. Son rôle doit être entendu dans un sens plus souple que le fait d’imposer le candidat pour lequel on doit voter. Probablement la seule assurance qu’il nous donne est que cette affaire ne peut être totalement catastrophique… Il y a trop d’exemples de papes que l’Esprit-Saint n’aurait probablement pas choisis… ». Je vous dis ceci comme un surplus, ad abundantiam materiae, pour en terminer de façon livresque sur le sujet, tellement nous sommes loin de telle époque noire à laquelle notre futur Benoît XVI pouvait faire allusion. A s’en tenir surtout à nos derniers siècles… Et pas qu’alors !

+ Cela nous rassérène pleinement.

- Eh bien, puisque nous voilà maintenant à l’unisson, nous pourrions aller prier à la chapelle pour notre nouveau Pape. Les Religieuses de la maison ont mis ces jours-ci, près de la statue de la Vierge, un cadre de N.D. de Lujan, (le Lourdes des Argentins) ; ce sera cohérent avec sa nationalité. Qu’en dites-vous ?

+ Oui, bien sûr, volontiers, très volontiers ! Avec, de plus, un bouquet de fleurs coupées dans votre parc, si vous le permettez !

- Pour vous faire pardonner vos lenteurs du début ?

+ Vous devinez tout !

- Magnifique ! Vive notre Pape François !



Le 3 mars 2013

 

D’une plume tremblante.

 

C’est d’une plume tremblante que je rédige cet éditorial. La main reste vigoureuse mais elle est triste et craintive. Et vous savez bien pourquoi : notre merveilleux pape Benoît XVI ne nous parlera plus. Nous ne le verrons plus, doux et modeste, affronter ou laisser passer les orages sur sa tête, lui, l’agneau sans défense qui n’a pas eu peur des loups. C’est entendu, dès le jour de Pâques ou un peu plus tôt, nous aurons son successeur, pour proclamer à la fois la victoire du Seigneur crucifié et la pérennité de son Eglise. Cet autre « doux Christ en terre », comme l’appelait sainte Catherine de Sienne, d’avance nous le vénérons, nous l’aimons, nous lui promettons une affectueuse obéissance, mais il ne fera pas d’ombre pour nous sur l’humble et grand Benoît, comme celui-ci n’en faisait pas sur l’ « immense » Jean-Paul II. Soit dit en passant, quels géants d’humanité et de sainteté Dieu n’a-t-il pas donné au monde, quand nous nous plaisons à énumérer les papes que nous avons pu connaître en ce XX° siècle terminé ! Comme rien n’impose de prendre à la lettre, quoiqu’il en ait dit, au moins aux niveaux psychologique et spirituel, les capacités de gouvernement de Benoît XVI, il y avait – et reste - en explication de son retrait la difficulté énorme inhérente à la charge du Pontificat, difficulté croissante « dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de foi ». Et de grandes questions concernant la constitution de l’Eglise elle-même ! Nous tenons cette « Grande Mère », selon notre catéchisme catholique, comme hiérarchique, en forme pyramidale, une « monarchie modérée », disait Paul VI. Et c’est là contre, qu’une volonté de démocratisation essaie de s’engouffrer qui n’est rien d’autre qu’une volonté de destruction. Prétendument au profit de l’épiscopat, de la collégialité, en réalité d’affaissement du rôle du Pape. Et finalement au détriment du pouvoir réel de chaque évêque, tant il est vrai que « Rome » est le plus solide point d’appui de chacun d’eux. L’accusation d’une exagération des pouvoirs du « souverain pontificat » vient trop souvent des ennemis de l’Eglise pour n’être pas sujette à caution. De même que le renvoi à l’imitation de l’Eglise orthodoxe, essentiellement conciliaire, qui serait ainsi, mieux que la catholique, « communion de communions ». C’est vite dit ! La vérité c’est que Jésus en a décidé autrement, si l’on ne veut pas ergoter sur les textes de l’Evangile concernant la primauté de Pierre, et ne lire que de façon appauvrie les écrits d’une tradition ecclésiale de départ. Bien évidemment le retrait de Benoît XVI, l’inconnue de son successeur, réintroduisent avec force des questions sans cesse agitées comme celle de l’accès des divorcés remariés à l’Eucharistie, du célibat des prêtres, du sacerdoce des femmes, etc. Avec, sur les premiers exemples donnés, une fois de plus, l’invitation à prendre modèle sur l’orthodoxie dont la pratique sinon la doctrine sont différentes. Il ne faut pas être dupes des intentions. Ni être trop ignorants des réalités. Et parce que ce point nous est particulièrement sensible, je me permets, sans aucune intention polémique, de citer le Patriarche Shénouda, Pape alors des Coptes orthodoxes, lors de son passage à Paris en février 1995. Laissant tomber d’autres points plus capitaux de la catéchèse ou de la pastorale de son domaine, je vais me contenter d’exposer avec ses paroles, les difficultés de déplacer un clergé marié ayant femmes et enfants. On interroge le Patriarche sur l’envoi à l’étranger (avant une nouvelle structuration de l’Eglise copte en Europe) , pour un service d’émigration de tels prêtres avec famille. Ce n’est pas là tâche facile ! résume-t-il, semblant parler au passé. « En effet il était nécessaire de trouver le prêtre idéal pour servir à l’étranger. Parfois nous trouvions le prêtre qui convenait mais celui-ci n’était pas disposé à quitter son pays, l’Egypte. Lorsque nous trouvions un prêtre qui convenait et qui acceptait de partir, c’était parfois l’épouse ou les enfants qui s’opposaient à son départ. Car, à coté des moines, dont certains sont prêtres aussi, les prêtres séculiers chez nous sont mariés. Si nous trouvions la personne adaptée qui accepte de partir ainsi que son épouse et ses enfants, nous pouvions nous retrouver devant le refus de sa famille ou de celle de son épouse. Lorsque tous ceux-ci l’acceptaient peut-être que sa paroisse ne l’acceptait pas. Si, en définitive, sa paroisse acceptait son départ, nous devions lui trouver un remplaçant. Pour trouver ce remplaçant, nous devions chercher la personne adaptée, qui accepte de quitter sa paroisse ; il fallait aussi l’accord de son épouse, de ses enfants, de sa famille, etc. (Revue « Le monde copte », n°25-26, p. 36-37. Sur l’intelligence de la « primauté de Pierre », selon l’orthodoxie, p. 8 et 41-42) Pour l’instant, dans la vacance du Siège Apostolique, nous nous sentons orphelins, douloureusement orphelins, malgré notre foi en la divine Providence qui mène tout pour notre bien, dans l’attente, après la fumée blanche, du « Habemus papam » du haut de la célèbre loge pontificale. Notre prière d’avant restera celle d’après et de toujours pour le Saint-Père : « Que le Seigneur le garde, lui donne la vie, qu’il le rende heureux sur la terre et ne le livre pas au pouvoir de ses ennemis : non tradat eum in animam inimicorum ejus. »

24 janvier 2013, en la fête de

notre Patron, saint François de Sales

 

 

Retour de manif.

 

 

+ Nous revenons de Paris, Père Volle, nous revenons de la manif., nous en revenons pleins de joie et voulons vous en remercier, car nous vous la devons !

- Ah bon !

+ Oui, nous vous avons écouté lors de la veillée de prière du 31 décembre, ici à « Nazareth », et c’est votre conviction, disons votre véhémence « à la Mélanchon » qui nous a décidés à participer à l’expédition.

- Ah bon !

- Jusqu’alors nous hésitions, le dépense, la fatigue…, mais vous nous en avez fait un devoir.

- Mais j’en suis très content et presque flatté. Alors les sous, le sommeil écourté…

+ Ce n’était plus rien, une fois la décision prise.

- La tirelire de la grand’mère peut-être ?

- Vous tombez pile ! Oui, pour deux d’entre nous, et on s’est cotisés pour payer le voyage à deux autres.

- En train ?

+ Non, dans la voiture d’un ami, qui aurait voulu venir aussi mais, s’en trouvant empêché, se faisait ainsi remplacer !

- Magnifique ! Et vos impressions ?

+ Les vôtres sans doute puisque vous y étiez le premier, nous le soupçonnons !

- Mais oui, un des premiers car le départ d’un des parcours, Place Denfert-Rochereau c’était près de chez moi (Communauté des frères Maristes, Rue Dareau, dans le 14°)

+ Nous aussi c’était là, mais on ne vous a pas vu, il y avait trop de monde ! A dépasser le million, paraît-il, en fin de course. Et un enthousiasme de grande fête !

- Dont vous avez encore le cœur plein, semble-t-il !

+ A déborder, Père ! Et ce n’est pas vous qui allez nous le dégonfler !

- Certes non ! En d’autres contextes – question « volume » je suis plutôt sur mes réserves : le nombre ne crée pas le droit, et par ailleurs il est assez facile de le truquer.

+ Dans notre cas c’est à la baisse qu’ils s’y sont essayé, en face, mais leur mauvaise foi était patente. Ils ont dit d’abord 200.000, puis livré un chiffre officiel de la Préfecture de Police de Paris : 340.000, avant d’admettre, à contre cœur, 800.000, puis de modifier encore ! Nous sommes témoins que des groupes continuaient d’arriver au Champ de Mars, terminus du rassemblement, alors que d’autres, la nuit tombante, annonçaient leur départ, Mais la disparition de 500.000 personnes en plein milieu de Paris, c’est quand même un peu fort de café ! Des trucs ! A croire qu’on avait tout imprimé dès la veille pour nous décourager ! N’avaient- ils pas annoncé par exemple qu’il neigerait à Paris ? Eh bien, ce fut tout à l’envers, ni froid ou neige prophétisés, ni pluie très probable ; comme une éclaircie entre deux vagues de mauvais temps !

- Pour une fois le Seigneur jouait notre partie ! Pas contre son camp !

- Pour une fois, que vous dites ! Contre son camp ? holà !

+ Bon, façon de parler, tellement de fois nous avons été contrariés… Il y a des choses qui ne dépendent que du Ciel. Avec des parapluies ç’aurait été un succès coupé en deux !

- Le Seigneur joue toujours au mieux sa cause, mais il n’avance pas toujours ses pions selon nos calculs. Ce devrait être par nous admis d’avance. Nous faisons ce que nous pouvons et livrons le reste à la divine Providence.

+ C’est d’accord ! N’empêche que l’atmosphère souhaitée « bon enfant » de la manif., en plus du nombre, avait aussi à faire avec le temps!

- C’est certain ! Les policiers semblaient pris dans l’ambiance tant ils étaient bienveillants. Du gâteau pour eux par rapport à d’autres cas. Je l’ai dit à l’un d’entre eux, lequel m’a répondu tout de même prudemment : « L’important, Monsieur, dans une manif., ce n’est pas ce qu’il y a dedans, mais ce qu’il y a autour ! »

+ D’après les rapports de la Presse il n’y a rien eu de désagréable dans aucun des divers cortèges, ni infiltrations, ni provocations. Les Femen qui étaient de service en ces mêmes lieux le 17 décembre dernier étaient à se dépoitrailler à Rome, Place Saint-Pierre, à l’Angelus du Pape, ce dimanche 13 !

- Je me suis informé, après coup, pour savoir si le groupe « Civitas », agressé antérieurement, avait eu à subir d’autres avanies. Mais non, tout s’était passé aussi pour eux dans le calme.. Comme s’il y avait eu des mots d’ordre.

+ Au juste, qu’avait de particulier leur parcours ? D’être politisé ?

- Pas ça tellement, mais avec un caractère plus confessionnel, plus catho., avec enseignements et prières. Ils étaient d’ailleurs fort nombreux, quelques 50.000, paraît-il. Les autres parcours, eux, restaient officiellement sur une note commune de « citoyenneté », sans autre affiche qu’une opposition commune au Mariage Gay telle qu’elle se présentait dans les pancartes, les slogans, les chants.

+ Nous avons bien ri devant certains de ces « cantiques » ! Ainsi ( sur l’air de Chauffeur, si t’es champion) : « Ayrault, si tu savais, ta réforme, ta réforme, etc «  ou « Taubira, si tu savais, ta réforme, ta réforme où on la met…sans aucune, aucune, aucune hésitation…(à compléter mentalement et couper au bon endroit, évidemment !)

- Pas d’enseignement au porte-voix donc ! N’était-ce pas un manque ?

+ Non, car le climat collectif ne lui aurait pas été favorable ; d’ailleurs on n’écoute guère sur la marche. Le texte remis entre nos mains, au départ ou sur la route, soit une dizaine de cantines aux airs familiers, y suppléait. Rappelez-vous : «  Il était un projet – qui risquait de modifier – toute la société – Faut donc le rejeter » - «  Un homme et une femme pour se marier – et aussi pour faire des bébés. HOP ! 3 pas en avant – 3 pas en arrière – Arrêtez d’hésiter, retirez ce projet » (sur l’air de Il était une bergère) – et, avec du Guguss,  «  C’est le mariage et sa stabilité – Qui fonde la famille, qui fonde la famille – C’est le mariage et sa stabilité – Qui fonde la famille et la société. » , etc.

- Rapportez-moi aussi quelques inscriptions des pancartes, qui vous ont particulièrement plu…

+ O.K., relevées au crayon, rapido, tout en marchant : « Pas de fiction dans la filiation » - « La différence c’est la clef de l’existence » - « Nos ventres ne sont pas des caddies » - « Non au mariage unisexe » - « Les enfants ne sont pas des (taubi) rats de laboratoire » -«  Jospin, reviens ; ils sont devenus fous » - « Un père et une mère c’est élémentaire »

- C’est pas méchant tout ça !

+ Expression de la bonne humeur générale. Qui se manifestait aussi avec éclat lorsqu’à une fenêtre du parcours apparaissait un signe de connivence. Alors, comme une traînée de poudre, c’était, sur cent mètres, une clameur enthousiaste. Et de l’humour au moins dans les cas (rares ) d’hostilité. « Du gâteau », qu’aurait dit notre agent !

- C’est entendu ! mais avec quel résultat « en haut lieu » ? Tout ce volume de convictions va-t-il faire reculer le gouvernement ? Madame Taubira, Garde des Sceaux et présentatrice du projet diabolique, n’a-t-elle pas prévenu que tout ce déploiement n’y changerait rien ? Ce qui est bien à craindre, en effet !

+ Tout ça pour rien ? C’est elle qui le dit ! Non, ce n’est pas possible  ! Si la rue n’a pas le dernier mot, elle le prépare !

- Vous avez raison à un niveau « autre ». Le plus assuré des effets est déjà engagé, à savoir le « réveil des consciences », comme l’ont titré certains de nos journaux. Non, rien ne sera plus comme avant, dût la loi néfaste être votée. De bon ou de mauvais gré notre gouvernement ne peut pas ne pas enregistrer. Il ne s’attendait pas à ce grain de sable dans ses rouages, pensant que le projet passerait comme une lettre à la Poste. Et voilà que… Et nos cathos non plus qui semblaient ramollis et qu’un coup méchant a trop fortement blessés pour ne pas les pousser à réagir, jeunesse en tête, à se refaire là-dessus une identité fondamentale, de bon sens et d’obéissance en Eglise. Nous entrons désormais « en résistance », selon le mot d’un de nos évêques (Mgr de Germiny). Et la résistance ne se joue pas qu’au Parlement ! Un mouvement de base influe forcément sur les municipalités.

+ Donc, Père Volle, le vent est à l’espérance ?

- Les meilleures choses ont leur bémol, évidemment. Il me semble qu’il y avait un déploiement trop souligné de rose. J’ai regretté par ailleurs de ne pouvoir, faute de distinctif dans l’habillement, retrouver nombre de confrères prêtres ou de religieuses sûrement présents. J’aurais aimé aussi pouvoir identifier les musulmans qui s’étaient annoncés. Faute de pancartes indicatrices adéquates on ne pouvait pas non plus connaître l’origine géographique des composants… Mais tout ça c’est bénin… Un détail positif de plus : pas de déchets, a-t-on dit, sur le macadam ; les balayeuses de la Place Denfert-Rochereau n’avaient rien à nettoyer !

+ Vous ferez un article de notre conversation dans un prochain numéro de quelque Revue ?

- Oui, j’essaierai. Au besoin on mettra ça au point entre nous auparavant. Et vous, gardez et communiquez votre bel enthousiasme présent. A bientôt, très chers !



9 janvier 2013

 



Chaque mois, amis, l'aumônier de l'Association des Ecrivains Catholiques rédige pour vous la page que vous découvrez dans notre site.
Elle ne lui coûte aucun effort tant il trouve du plaisir à ce contact régulier avec vous.
Chaque mois... mais celui de janvier n'est pas ordinaire puisqu'il est devenu, dans notre culture latine, le vecteur des souhaits sociétaires.
Les miens pour vous tous - à l'intérieur de tant d'autres que vous avez déjà reçus - c'est de préférer la lecture à tous les autres moyens de communication, de formation, d'instruction, de délassement au besoin. A l'exception pourtant du langage oral, du bouche à oreille, individualisé, personnalisé autant que possible. Celui du Seigneur, lui qui n'a rien écrit mais a beaucoup parlé.
Submergés de textes imprimés je vous remercie de trouver encore du temps pour me lire ! Sans que vous gêne, me dit-on, la familiarité de mon style.
Et des sujets traités parfois !
Tel celui qui accompagnera aujourd'hui mes voeux. Ci-dessous - d'inspiration récente, après une virée de Noël dans mon village natal d'Ardèche. D'actualité de surcroît, vous savez pourquoi !
Que nous préserve du pire, tel que nous le redoutons après certains projets et propos de nos gouvernants.
Père saint, Dieu créateur, défendez votre oeuvre ! Et ne permettez pas que votre  divin Fils se soit fait homme pour rien !

 

A l’intérieur d’une mobilisation d’actualité

Comme en 1905, le Gouvernement réclame un inventaire des biens des congrégations 

Article du Père Volle, Extrait du bulletin d’André Noël, n° 2310

 

« Le ministre du Logement et ex-patronne des Verts avait donc demandé que l’Archevêché de Paris ouvre les locaux des congrégations religieuse, vides, disait-elle, aux sans abri. Elle ignorait sans doute que ce sont les congrégations qui sont propriétaires de ces biens et non point le diocèse de Paris. Mise au parfum, elle eut hâte de rebondir en chargeant d’une mission d’inventaire ses copains écolos du Conseil de Paris.

Le dit Conseil a donc adopté récemment un voeu rédigé par les Verts, demandant que le maire de Paris sollicite les congrégations religieuses pour « engager un travail d’inventaire de l’occupation » de leurs biens immobiliers.

Et ce, pour préparer les réquisitions car le voeu propose qu’ en vue de mobiliser les bâtis vacants sur le territoire parisien, le maire de Paris sollicite les acteurs des congrégations confessionnelles pour engager un travail d’inventaire de l’occupation et des potentialités de ce foncier spécifique.

Ces élus nous livrent leur source d’information qui n’est autre que celle de Cécile Duflot car les Verts rappellent que le Canard Enchaîné avait recensé mi-novembre « plus d’une centaine » de biens immobiliers appartenant à des communautés religieuses, « le plus souvent aux trois quarts vides » et que le ministre du Logement Cécile Duflot avait interpellé début décembre l’archevêché de Paris pour mettre ces locaux vides à la disposition des mal-logés.

Tout cela nous rappelle un passé fâcheux et même tragique que l’on croyait révolu et nous ramène à l’époque où se déchaîna un anticléricalisme féroce à la faveur de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est le 29 décembre 1905 qu’est pris un décret d’ « administration publique » concernant les inventaires paroissiaux. Le 2 février 1906, une circulaire destinée aux fonctionnaires des Domaines contient une phrase provocatrice et honteuse qui va mettre le feu aux poudres : « Les agents chargés de l’inventaire demanderont l’ouverture des tabernacles. » 

 

L’application de la loi des inventaires à Dornas (07160).(Extrait d’Internet)

« L’hostilité de l’église catholique à la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat se concentra très vite sur la question des inventaires qui commencèrent dès janvier 1906.

Dans la région, des manifestations hostiles aux inventaires eurent lieu un peu partout : à Saint-Martin de Valamas, Arcens, Borée, etc, mais c’est à Dornas (1) que se déroulèrent les évènements les plus graves.

Une première tentative d’inventaire avait été prévue le 27 février, mais le percepteur du Cheylard y renonça devant l’hostilité des populations.

L’inventaire eut finalement lieu le 10 mars 1906, sous l’escorte de la troupe.

Sept à huit cents manifestants attendaient devant l’église dont trois cents hommes et toutes les ouvrières des usines. La foule faisait face aux forces de l’ordre et refusa de s’écarter. Le curé refusa d’ouvrir les portes de l’église. Les forces du génie attaquèrent alors la porte latérale à coups de hache. Des propos très vifs échangés entre le commissaire et le vicaire amenèrent l’arrestation de celui-ci. Une échauffourée se déclencha, entraînant la charge de la cavalerie et de l’infanterie. Il y eut des personnes piétinées et des blessés.

Finalement la porte fut ouverte par la force et l’inventaire rapidement mené sous les injures et les huées. Le lendemain une inscription était apposée au dessus de la porte fracturée : « Cette porte a été brisée par ordre du gouvernement. Cette ignominie a été commise le 19 mars 1906. »

A la suite de cette journée trois condamnations furent prononcées, dont la plus lourde, celle du vicaire, à deux mois de prison et 100 francs d’amende. En appel la peine fut ramenée à quinze jours de prison avec sursis. »

(1) Mon village natal, (Père Francis Volle , C.P.C.R.)





10 décembre 2012

 

L’enfance de Jésus

 

 

   Le dernier livre de notre pape Benoît XVI sur l’enfance de Jésus arrive à point pour notre publication de Noël. Il sert d’entrée à la trilogie de l’auteur sur la figure et le message du Sauveur. Avec un éclairage général sur les rapports entre les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, et une application particulière aux Evangiles de l’enfance.

   La grande question est, évidemment, de savoir ce que ceux-ci contiennent de vrai. Afin de nourrir notre foi, une foi chrétienne authentique : qui est Jésus et que me veut-il ? La Bible, Parole de Dieu ? Oui, mais comment la comprendre ?

   Le chapitre 2 en fournit une clé en livrant « la caractéristique littéraire des textes » (son titre). A savoir que la priorité est donnée aux évènements, mais qu’ils ont besoin d’être correctement interprétés pour révéler tout leur sens. S’ils livrent les rapports de Dieu avec son peuple, c’est le Nouveau Testament qui éclaire l’Ancien. Et, de ce Nouveau, la fine pointe c’est Jésus-Christ dans le mystère de sa naissance, de sa mort et de sa résurrection. « Les paroles anciennes à cause de l’événement nouveau qu’elles expriment et interprètent sont de nouveau en marche et vont au-delà d’elles-mêmes. » (p.51). Et notre auteur de nous aider à déceler le fil d’or qui en relie les pièces. Autant que faire se peut, car certaines questions de la Bible, surtout dans l’Ancien Testament, nous sont encore mystérieuses. Ce sont comme des « paroles qui demeurent sans propriétaire. » (p.33). L’historiographie du christianisme des origines consiste justement à donner à son protagoniste ces « paroles en attente. » Place ici à l’exégèse, laquelle, pour être chrétienne, doit être menée à bien dans un esprit aussi rigoureux que pieux, et vice-versa… comme c’est bien assurément le cas de notre auteur.

 

   Et maintenant, à l’intérieur des chapitres, ces problèmes grands ou petits qui se posent au lecteur tout à la fois exigeant et curieux.

Chez Luc, un texte hébraïque semble être à la base, mais situé dans le christianisme antique. (P.30) « L’apparition tardive des traditions mariales trouve son explication dans la discrétion de la Mère, et des cercles autour d’elle » (p.32). « Le mystère de Jésus est rendu public seulement après la mort de Marie » (p.81) =  On savait déjà qui était Jésus…

 

An 733 avant J.-C., la prophétie d’Isaïe au roi Achaz, 7, 14 : « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici la vierge est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel ». Quel est ce fils ? Ezéchias, un fils du roi ?  « Cette thèse ne peut être vérifiée d’aucune façon. » (p.74). « Autour de la mère et du fils le mystère demeure, au moins pour le lecteur d’aujourd’hui, mais aussi sans doute pour l’auditeur d’alors, et peut-être plus encore pour le prophète lui-même. » (p.75) « Le signe que Dieu annonce n’est pas offert pour une situation politique déterminée, mais regarde l’homme et son histoire dans son ensemble. Pas seulement donc parole adressée à Achaz, ni seulement à Israël, mais à toute l’humanité. » (p.74)  « La prédiction du prophète est comme un trou de serrure miraculeusement prédisposé dans lequel le christianisme entre parfaitement ». « Jésus, le nom demeuré depuis le Sinaï – pourrait-on dire incomplet est prononcé jusqu’au bout. » (p.51)

 

L’annonce faite à Marie. Le salut de l’ange n’est pas « shalom » mais « Kairé : Réjouis-toi », comme en Sophonie 3,14-17 (René Laurentin, p. 48) - « Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d’homme. », Lc 1,34. « La question n’a pas trouvé jusqu’ici de réponse convaincante » (p. 56). Marie aurait-elle besoin d’un protecteur de sa virginité ?  « C’est invraisemblable dans le contexte juif ». (p. 56)

 

Joseph, le « juste ». Son portait, p. 63. « Il vit la loi comme l’Evangile . Il cherche la voie de l’unité entre droit et amour. (p.64). La répudiation de Marie est envisagée comme « privée ». C’est l’accueil à la maison du futur mari qui fait la communion matrimoniale. »  (p.61)

 

« L’enfant qui lui viendra sauvera son peuple de ses péchés. » Cette définition de la mission du Sauveur pourrait paraître bien décevante… C’est comme dans la guérison du paralytique introduit pas le toit, Mc 2,5 : « Tes péchés te sont remis ». Cependant c’est une priorité : « Si tu n’es pas guéri en cela, alors, malgré toutes les bonnes choses que tu pourras trouver, tu ne seras pas vraiment guéri. » (p. 69)

   La phrase de Jn 1,12 et suivantes doit être entendue au pluriel et non au singulier : « Au commencement était le Verbe… A tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. » (p. 24 )

 

Conception et naissance virginale chez Marie : pierre de touche pour la foi avec la résurrection. C’est la manifestation du pouvoir de Dieu sur le monde matériel. (p. 84)

 

Le chant de anges : gloria hominibus bonae voluntatis (Lc 2,13-14) à traduire de préférence par : « Paix au hommes (objets) de la bienveillance divine », c’est à dire qui ont l’attitude de Fils (Mt 3,22) ; ainsi, ni prédestination, ni moralisme unilatéralement moralisant. Ainsi le problème toujours pendant de la liberté et de la grâce. (p. 107-109)

 

Présentation de Jésus au Temple. Texte de fond judéo-chrétien et de culture grecque. Deux petites colombes : famille de pauvres. Prix du rachat : 5 sicles « dans tout le pays à n’importe quel prêtre. » (p.117) « Aucun de ces actes n’imposait une présence au Temple. » (p.118)

 

 Apparition de l’étoile. Une supernova, explosion et conjonction de Jupiter et de Saturne ? Pourquoi pas ? (p. 139) L'Adoration des mages : ce n’est pas capital pour la foi mais c’est vrai. (Daniélou, Joseph Ratzinger) (p. 167-168)

Joseph n’est pas présent dans le texte de Matthieu 2,11. « Je n’ai pas trouvé jusqu’à maintenant une explication pleinement convaincante de cela. » (p.152)

 

Jésus le « Nazaréen ». « La nouveau Testament connaît pour Jésus les deux qualificatifs de « Nazôréen » (sans doute de « nezer » Is 11,1 = consacré, et non de nazir, genre Samuel) et de « Nazaréen ». Nazôréen est utilisé chez Matthieu, chez Jean et dans les Actes des Apôtres ; Marc emploie Nazaréen ; Luc utilise les deux formes. » (p.164)

 

Perte de l’Enfant à Jérusalem Les femmes étaient-elles obligées au pèlerinage ? C’était disputé entre Shammai et Hillel. « Pour le garçons, l’obligation entrait en vigueur dès la fin de leur troisième année de vie. En même temps toutefois valait la prescription qu’ils devaient s’habituer petit à petit aux commandements. » (p. 174)

 

Ils ne comprirent pas la parole de Jésus d’être « dans la maison de son Père » (Lc 2, 48-49) C’est trop tôt encore pour le moment. Trois jours de grande souffrance, comme entre la croix et la résurrection (Laurentin, p. 176). La foi de Marie est aussi une foi « en chemin ». Mais elle garde tout cela dans son cœur (Lc 50-51)

 

L’enfant croissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. Lc.2,51 et suivantes.  « Il devient évident dans sa réponse à sa mère qu’il est en permanence auprès de son Père, mais il est vrai aussi que sa sagesse croît. En tant qu’homme il ne vit pas dans une omniscience abstraite., mais il est enraciné dans une histoire concrète… Il a appris et pensé d’une manière humaine … » (p. 181)

 

Conclusion : « Les deux chapitres du récit de l’enfance chez Matthieu ne sont pas une méditation exprimée sous forme d’histoires ; au contraire, Matthieu nous raconte la véritable histoire, qui a été méditée et interprétée théologiquement, et ainsi il nous aide à comprendre plus profondément le Mystère de Jésus. » (p.168)

   A travers l’événement, voire l’anecdote, c’est l’universalité du salut apporté par Jésus-Christ qui traverse tout l’Evangile de l’Enfance. On peut s’étonner seulement parfois que ce soit rendu de façon si subtile. La pleine intelligence des textes n’est donnée qu’à l’Esprit Saint, à ceux de la bienveillance divine que chantaient les anges, aux fils spirituels de Marie et de Joseph.

   On s’émerveille devant le profit qu’a su en tirer celui qui maintenant nous livre le fruit de sa science et de sa piété. On le remercie ici d’un travail que son âge et ses multiples soucis rendent presque invraisemblable.

 



17 novembre 2012

Deux Pensées de Pascal

 

"Honnête homme. Il faut qu'on n'en puisse dire ni il est mathématicien, ni prédicateur, ni éloquent mais il est honnête homme. Cette qualité universelle me plaît seule. Quand en voyant un homme on se souvient de son livre, c'est mauvais signe. Je voudrais qu'on ne s'aperçût d'aucune qualité que par la rencontre et l'occasion d'en user ; qu'on ne songe point qu'il parle bien, sinon quand il s'agit de bien parler, mais qu'on y songe alors."

 

"Style. Quand on voit le style naturel on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon et qui en voyant un livre croient trouver un homme sont tout surpris de trouver un auteur. Plus poetice quam humanae locutus es."

 

12 octobre 2012

 

Puissance et piège des mots

 

 

     Les mots ont-ils forcément un sens déterminé ? Bien sûr puisqu’ils n’ont été inventés que pour le livrer, noyau sous l’écorce des lettres ou des sons. Si on les maintient dans leur ligne ils canalisent la pensée avant et afin de pouvoir la communiquer. Ils sont alors inimicaux aux amateurs du flou, de l’à peu près, « assassins » a-t-on écrit, « fascistes », précise le sociologue Roland Barthès. Donc leur cible d’attaque. A éliminer ? Mais on ne peut parler sans rien dire ; il ne reste devant la gêne qu’à modifier habilement. C’est là d’ailleurs la bonne façon de faire générale pour éloigner d’un sujet précis. Tour de passe-passe. Prestidigitation. Et passez muscade !

   Interrogé pour savoir comment introduire la révolution dans un pays, un célèbre philosophe chinois (VI°-V°siècle av. J.-C.) répondit : « En changeant le sens des mots ».

   A tant de distance nous touchons du doigt chez nous en ce moment même l’efficacité de la tactique.

   Mine de rien quand ça se fait par degrés. D’abord en élargissant la portée des termes, puis par glissement et substitution.

   En commençant par un usage « généreux » des sigles, ou en profitant habilement de leur emploi. C’est facile à comprendre dès lors que les pistes se brouillent, qu’il faut de l’attention pour s’y retrouver. Ainsi F.M. recouvre-t-il Fonds Monétaire ou Franc Maçonnerie ? S’agit-il ici du M.J.C.F. du M.R.J.C. ou de la S.N.C.F. ? Et la différence entre G.P.S. et G.P.A. ou T.G.V. et I.V.G. ?

   En outre l’introduction de mots inconnus exige un effort d’intelligence, une explication qu’on n’ose trop demander de peur de paraître inculte. C’est l’occasion d’évoquer le Cheval de Troie. Dans la guerre qu’ils menaient contre la ville, selon l’Iliade d’Homère, les Grecs auraient abandonné, à dessein, sous ses murs, un gigantesque cheval plein de soldats que les Troyens, sans se douter du stratagème, introduisirent en grande liesse chez eux. On devine la suite…

   Changer le sens des mots nous rappelle aussi le retournement des flèches de signalisation pour égarer un ennemi, l’envoyer ailleurs, guet-apens en plus peut-être (certains parmi nous ont connu cela lors des guerrillas de notre Libération contre l’occupant allemand des années1940 et suivantes).

   Introduire un sens nouveau sous l’enveloppe ou l’étiquette, c’est par ailleurs le procédé malhonnête de commerçants sans le trouble qui s’empare des esprits scrupules.

   En d’autres domaines il y a là de quoi comprendre celui qui s’empare des esprits lorsqu’on leur glisse de l’inadmissible sous un langage fluide. Les grands thèmes de la modernité exploitent ainsi ceux de nos démocraties, liberté, égalité, solidarité…

   Egalité surtout : des chances, des avancements, des salaires, des postes, mais en priorité des sexes ! De quoi rejoindre une réclamation tapageuse issue de la philosophie du « gender ». Celle-ci ne voit que discrimination dans les différences entre le masculin et le féminin, « tout ça », fruit d’une culture magiste plus que du biologique !

   L’actualité nous en fournit un exemple « haut de game » dans le procès qui se poursuit en ces jours d’octobre 2012 devant la Grande Chambre de la Cour Européenne des droits de l’homme, suite à une amorce devant la justice autrichienne et devant une première Chambre qui s’est dessaisie de l’affaire. C’est une femme homosexuelle qui veut adopter l’enfant de sa compagne qui vit avec elle. Mais le père biologique de cet enfant n’entend pas renoncer à son propre droit, ce qui rend la requête impossible devant le code autrichien concerné. La suppliante argue d’une discrimination en tant que femme, à son endroit. La décision de la Haute Chambre est de grande importance car, d’une part elle sera sans appel, d’autre part elle fera jurisprudence pour les 47 membres du Conseil de l’Europe. Pour une représentation graphique : A et A’ sont deux compagnes lesbiennes. A est mère biologique d’un enfant (a) de son union avec B, père biologique, dont il porte le nom, et qui jouit, venant de lui, d’une aide alimentaire. Il s’agit de savoir si la sentence va « supplanter » et donc « annuler » juridiquement l’ordre biologique. L’égalité prétendue s’étendra-t-elle jusque là ? Devrons-nous assister, impuissants, à une telle perversité d’une suprématie estampillée du verbe (le verdict) sur la réalité ?

   On était parti des « mots », on tombe sur l’ordre de la nature, disons plus clairement de la divine création. Rien d’aussi absolu et aberrant n’était envisageable, il y a peu de temps encore, c’est à dire avant la « découverte » et l’épanouissement du « gender ».

   Si Molière était des nôtres il pourrait en faire le sujet d’une nouvelle comédie (tragédie en même temps). On sait comment il s’y prend pour ridiculiser, dans son Médecin malgré lui, un charlatan de misère, Sganarelle, lequel situait le cœur à droite et le foie à gauche. Géronte, père de Lucinde, la malade du moment, s’étonne quelque peu de cette distribution des organes : « Il me semble que vous les placez autrement qu’ils ne sont ; que le cœur est du côté gauche, et le foie du coté droit. » - «  Oui, cela était autrefois ainsi ; mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine d’une méthode toute nouvelle. »

   Au-delà de la plaisanterie on peut voir là comme une anticipation de la philosophie nominaliste des Lumières pour qui l’idée d’une nature s’imposant à la pensée est détestable. « Les choses sont ce qu’on veut qu’elles soient ! Point ! »

   On ajoutera, à l’effet pernicieux de leur fausseté éventuelle, l’usage pragmatique qu’on peut en faire. Au delà d’une certaine dose d’audit les médias font le vrai et le faux. Soit au profit d’une idéologie intéressée, soit au profit d’un émolument à obtenir ou d’une place à garder. L’exemple toujours cité en ce domaine est celui du Moniteur, en 1815, aux jours qui suivirent l’échappée de Bonaparte de son premier emprisonnement : « Le brigand s’est évadé de l’Ile d’Elbe ; l’usurpateur est arrivé à Grenoble ; Napoléon entre à Lyon ; l’empereur arrive ce soir à Paris » Pour les mêmes lecteurs ! Le même public ! et cela marcha !…Pour peu de temps, il est vrai.

   Mais on a fait aussi bien depuis lors… et ça continue !

   Qui tient les termes adaptés à des esprits non prévenus et sait s’y prendre pour les énucléer, successivement au besoin, pourra faire toutes les révolutions qu’il voudra.

 Puissance et piège des mots.



14 Septembre 2012, en la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix

 

Homélie d'Assomption

Dans mon village natal d'Ardèche

15 août 2012

 

 C'est l'amour de la Vierge qui nous a réunis ici aujourd'hui, en cette fête de l'Assomption, au sein de toute l'Eglise, et en particulier de l'Eglise de France, notre pays qui lui a été officialement consacré par nos rois.

 Vous me direz que c'est bien lointain et que cela relève d'un contexte sociétaire qui s'est profondément modifié... C'est quand même écrit dans le ciel et existe encore avec la foi chrétienne, dont nous sommes, sans chercher plus loin, témoins nous-mêmes, par notre seule présence à cet Office.

 Evidemment que l’attention globale de ces jours passés est plus sur nos basketteuses ou autres championnes olympiques que sur la Vierge Marie. Mais chaque chose à sa place et dans son ordre. Pour admirable que soit celui de la musculature et de la souplesse des membres, sans compter l’intérêt des rapports humains dus à la compétition, cet ordre n’est pas le seul. N’est-ce pas, mamans ici présentes, que vous en conveniez lorsque vous pressiez sur votre poitrine votre premier bébé ? Vous n’étiez envieuses alors d’aucune médaille d’or ni d’aucun podium international. Mais que diriez-vous d’une maman – et vous la connaissez puisqu’elle elle est des vôtres - qui, depuis plus de 40 ans, soigne chez elle son garçon totalement inconscient depuis sa naissance ? Honneur à tant de noblesse ! C’est qu’il y a plusieurs ordres de grandeurs. Blaise Pascal, le génial inventeur du départ de notre informatique, dont on célèbrera dans quatre jours le 350° anniversaire de la mort, les énumère et les situe ainsi : en bas, celui de la force, au milieu, celui de l’intelligence, au sommet celui de la grâce ou charité. Ces ordres d’ailleurs ne s’opposent pas. Et même ils ne brillent jamais autant que lorsqu’ils se rejoignent. Entre plusieurs exemples de l’imbrication des ordres de grandeur et de leur juste place dans l’échelle des valeurs, l’un particulièrement coloré, peut-on dire, nous était donné ces deniers jours à Londres. Ainsi vous aurez pu voir à la télévision la fille d’Ethiopie médaille d’or pour les 5000 mètres, arborer fièrement et joyeusement tout ensemble, en fin de course, sous son maillot officiel, un tee-shirt personnel avec l’image de la Vierge et de l’Enfant-Jésus. Renvoyons-en avec elle l’hommage délicat à la reine du ciel et à son divin Fils qui lui fait partager sa propre gloire, ordre et valeur suprêmes qui ne changent pas avec les temps  

 Il y a aussi les besoins qui ont poussé à mettre tout à la fois à l’honneur et à contribution la Sainte Vierge. Eux aussi sont permanents, voire accrus dans notre actualité. Vous avez lu sans doute dans nos journaux ou revues catholiques la requête du cardinal de Paris, Président de la Conférence des Evêques de France, demandant à ses confrères de la répercuter. Elle regarde nos nécessités présentes les plus criantes. Elle viendrait bien ici mais, pour ne pas allonger, nous l’introduirons dans la prière d’intercession. C’est dans la ligne du Magnificat entendu dans l’Evangile d’aujourd’hui. En ce moment de prière restons-en, si vous voulez bien, à chercher comment faire une meilleure place à la Vierge dans notre vie de foi personnelle. Elle en est la gardienne. Pas de maison de chrétiens sans quelque image de la Vierge, outre le crucifix, pour relever notre regard et susciter quelque prière commune, le soir notamment. L’Angelus aussi quand nous l’entendons à nos cloches, si c’est encore le cas. C’est le résumé du Credo, colonne vertébrale de l’Année dite « de la foi » qui commencera en octobre. J’en suis personnellement l’apôtre en toute occasion, l’ayant retenu ainsi de ma mère. La prière plus directement mariale restant pourtant le chapelet. Curieusement c’est dans les mains de jeunes (pèlerinages, camps, routes de Chartres ou Saint Jacques de Compostelle…) qu’on le trouve aujourd’hui, plus que dans celles des personnes âgées. Pas difficile à le reprendre au besoin

   Voyez comme la fête d’Assomption nous rejoint en ce que nous avons de plus précieux à conserver et transmettre dans nos héritages. Pas vrai ?

 

Et maintenant le message du cardinal Vingt-Trois pour notre Prière d’Intercession :

   1. En ces temps de crise économique, beaucoup de nos contemporains sont victimes de restrictions diverses et voient l’avenir avec inquiétude ; prions pour celles et ceux qui ont des pouvoirs de décision en ce domaine et demandons à Dieu qu’il nous rendre plus généreux encore dans la solidarité avec nos semblables.

2. Pour celles et ceux qui ont été récemment élus pour légiférer et gouverner ; que leur sens du bien commun de la société l’emporte sur les requêtes particulières et qu’ils aient la force de suivre les indications de leur conscience.

3. Pour les familles ; que leur attente légitime d’un soutien de la société ne soit pas déçue ; que leurs membres se soutiennent avec fidélité et tendresse tout au long de leur existence, particulièrement dans les moments douloureux. Que les engagements des époux l’un envers l’autre et envers leurs enfants soient un signe de la fidélité de l’amour.

4. Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le bonheur ; qu’ils cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère.

Seigneur notre Dieu, nous te confions l’avenir de notre pays. Par l’intercession de Notre-Dame accorde-nous le courage de faire les choix nécessaires à une meilleur qualité de vie pour tous et à l’épanouissement de notre jeunesse grâce à des familles fortes et fidèles.

Par Jésus, le Christ, Notre Seigneur.

13 août 2012

Pour lancer l’ « Année de la Foi »

 

 

   + Nous venons vous voir aujourd’hui, Père Volle, Parce que nous avons besoin de votre aide. En effet, nous avons présumé de nos forces en acceptant une proposition de notre paroisse, et nous voilà maintenant dans l’embarras !

 

   - Et c’était quoi cette proposition ?

 

   + D’illustrer, en trois causeries successives, une chaque mois durant le trimestre à venir, ce qu’était « l’Année de la foi », lancée par le Saint-Père, d’octobre 2012 à novembre 2013. Vous savez ça mieux que nous ! Notre Père curé nous l’a demandé pour son cercle d’études en nous assurant que c’était facile. Et il nous a mis sur les bras pour en traiter une abondance de documents. Or c’est cela qui nous a perturbés : des textes du concile Vatican II qu’il fallait résumer, du Catéchisme de l’Eglise Catholique qu’il fallait rapporter, des principales interventions des grands théologiens ou Pasteurs sur le sujet, des dizaines de discours de Benoît XVI tout au long de ses audiences de printemps et d’été, de plusieurs livres de commentaires au titre accrocheur, tels qu’ils s’étalent sur le étagères des boutiques catholiques ou les présentoirs de nos églises, etc. Eh bien, depuis que nous avons rempli nos cartables de cette littérature, nous ne respirons plus !

 

   - Comme je vous comprends et vous plains ! Tout en m’amusant pourtant de votre embarras ! Bien sûr que vous n’allez pas, en trois causeries, résumer Vatican II, le C. E. C., les best-sellers de nos librairies, etc., mais pourquoi vous imposer un tel travail ? Les résumés dont vous vous croyez investis, mais…ils ont déjà été faits par d’autres ! Contentez-vous d’en extraire les meilleures formules, et c’est terminé ! J’ai eu moi-même à fournir quelque chose d’approchant et m’en suis tiré sans trop de mal, il me semble. Pour ce qui est du Concile, au 50° anniversaire de son ouverture, le 11 octobre 1962, j’ai exploité le discours du jour par le pape Jean XXIII, et celui de sa clôture, par Paul VI, le 8 décembre 1965 ; s’y retrouvait tout l’éclairage souhaité ! Tant dans les espérances, que dans les réalisations ! Pour ce qui est du grand Catéchisme, au 20° anniversaire de son lancement, c’est sa publication par Jean-Paul II le 8 décembre 1992, qui m’a fourni les repères. Ajoutons quelques mots pour situer le Compendium, son résumé, le 28 juin 2005, avec questions et réponses, el le Youcat, même texte pratiquement, mais adapté aux jeunes des J.M.J. 2011.. C’est là un survol plus que suffisant, bien que réducteur, comme fil directeur entre les évènements anniversaires rappelés et le temps présent. Vous allez par ces biais pouvoir annoncer vos divers chantiers d’étude. Tout en provoquant les questions qui ne manqueront pas d’en émerger pour ce qui est du contexte historique.

   Je ne pense pas d’ailleurs que vos auditeurs du moment aient tellement envie de connaître les choses lointaines. On sait que les jeunes – s’il s’agit d’eux surtout – ne s’intéressent guère qu’au présent. Ils demanderont alors quel est l’impact aujourd’hui de textes, déjà vieux, et là vous improviserez, avec vos propres conclusions plus qu’avec des citations. Que si vous avez à vous suivre surtout des personnes âgées ou intellectuelles qui cherchent les progrès doctrinaux des évènements ou documents, vous répondrez par les mots-clés de vos sommaires.

 

   + « En tirant de nos improvisations », avez-vous dit ? Encore faudrait-il que nous en sachions nous- mêmes assez  !

 

   - Certes, mais vous avez gardé ce surplus dans vos réserves, attendant le meilleur moment pour en faire usage, vous procurant ainsi, après d’apparents tâtonnements, une grande autorité. En tirant le fil vous atteindrez ce que vous aviez emmagasiné auparavant de vos lectures personnelles. Et ferez dévier l’attention du moment où vous le jugerez bon. Nous devons tous admettre qu’une « année de la foi », malgré son aspect provocateur, ne peut que faire rebondir les appels à une reprise de confiance dans l’enseignement et la pastorale de l’Eglise. Il y a des lustres que nous lisons dans l’Office des prières comme la suivante que je vous cite quasiment de mémoire : «  Dieu qui es fidèle et juste, réponds à ton Eglise en prière, comme tu as répondu à Jésus, ton serviteur. Quand le souffle en elle s’épuise, fais-la vivre du souffle de ton Esprit : qu’elle médite sur l’œuvre de tes mains, pour avancer, libre et confiante, vers le matin de sa Pâques. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen ».

 

   + - Du répétitif alors ?

 

   - Oui, et non. Du répétitif assurément quant à la substance doctrinale, et du nouveau sur sa présentation et sur ses modalités d’application. Des fenêtres qui s’ouvrent, un vent nouveau, le visage attractif des Béatitudes évangéliques pour les chrétiens opprimés et pour les hommes de bonne volonté qui cherchent la vérité en des contextes troubles et troublants, et nous ne sommes pas loin de « l’aggiornamento » souhaité par Jean XXIII et ses successeurs sur la chaire de Pierre.

 

   + Un renouveau de confiance dans les message de l’Eglise ?

 

   - Oui, mais cela veut dire d’abord un renouveau de confiance en Jésus qui l’habite. Confiance remise en cause récemment par une succession de crises en son sein et surtout par un climat relativiste généralisé. C’est là le but fondamental spécifique de la nouvelle évangélisation.à laquelle nous voulons travailler avec nos moyens propres et en profitant des occasions, la vôtre d’aujourd’hui, par exemple !

 

   + Le matériau que vous nous avez présenté ne se coupe pas aisément en trois; on ne sait même pas quel titre il faudrait donner à chacune de nos causeries.

 

   - C’est essentiellement la première qui importe. Les deux autres en découleront. C’est donc l’intervalle entre elles qui vous inspirera, tant sur l’en-tête que sur la matière. En prévision vous aurez pris un de ces titres « élastiques » qui permettent, sans artifice, d’allier ce qu’on a annoncé à ce qui semble s’imposer maintenant. Voyez par exemple : Pour lancer l’année de la foi – L’impact souhaité de l’année de la foi - Ce que l’actualité nous impose d’introduire dans le programme de l’année de la foi - Les réactions prévisibles à l’année de la foi – 100 idées concrètes pour vivre l’année de la foi ( à lire si vous voulez dans la revue « L’Evangile de la Vie », 32 Cours de la République, 84000 Bollène, etc.

 

   + En plus de nos brassées de textes ?

 

   - Ca tient en deux pages et je vous les photocopie si vous voulez ! La première verse sur l’étude du Credo. Intéressant, non ?...

   Sans vouloir vous accabler puisque vous dites crouler sous les papiers, je vous signale, en interrogeant sur Internet n’importe quel moteur de recherche, le document de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi et ses « Indications pastorales », suite à la Lettre convocatrice Porta fidei de Benoît XVI. Plus facile encore : allez sur le site de L’Association des Ecrivains catholiques (www.ecrivainscatholiques.fr), et vous l’y retrouverez sous ma plume.

   A propos du dernier Concile, parmi les livres qui touchent à des sujets brûlants, je ne ferai que signaler celui de Mgr Francis Frost :  L’Eglise se trompe t-elle depuis Vatican II ?, avec préface de Mgr Guy Bagnard (aux Editions Salvator).

 

   + Notre Père curé qui nous a embauchés trouvera-t-il son compte à ce qui naîtra de vos suggestions ?

 

   - Puisque vous le nommez, voyez d’abord ce qu’il a publié lui-même sur le sujet dans ses feuilles paroissiales. Si vous le mettez à contribution en enrichissant ses paragraphes de vos propres lectures il ne peut être que content. Pas de risque ici de se prendre les pieds dans le tapis !

 

   + C’est pas mal dégrossi pour nous maintenant. On vous tiendra au courant des résultats. Merci, Père Volle !

 

16 juillet 2012

Réflexions sur la Révélation divine

 

 

  La revue Prêtres Diocésains de juin-juillet 2012 contient un article très intéressant de Michel Castro sur la Révélation. Est-elle la communication par Dieu d’un ensemble de vérités à croire, ou bien la proposition d’une vie à partager avec lui ? La première perspective serait essentiellement celle du concile Vatican I. La deuxième celle de Vatican II. La première s’exprimerait dans l’acte de foi des catéchismes de notre enfance : « Mon Dieu, je crois très fermement toutes les vérités que vous avez révélées, et que vous nous enseignez par votre Eglise, parce que vous ne pouvez ni vous tromper, ni nous tromper ». La seconde, dans la docilité à la grâce, d’abord celle de la lumière qui éclaire tout homme à sa naissance, et puis celle du développement du germe chrétien et trinitaire en celui qui y acquiesce.

   L’article en question donne la première perspective non seulement comme dépassée mais comme obsolète. Peut-être est-ce.un peu abrupt, réductif des deux Conciles à la fois, encore que ce soit pour des motifs différents, d’un coté une volonté d’orthodoxie doctrinale, de l’autre un souci de contact avec la culture moderne. Accentuations plutôt que rejet de son opposé. Sans oublier que le Vatican I a dû brutalement interrompre ses travaux à cause de la guerre de 1870, et donc qu’on ne peut avoir qu’une vue incomplète de ses perspectives globales. Son intérêt pour l’aspect conceptuel de la foi reste encore très fondé : d’une part il est toujours besoin, un jour ou l’autre chez le croyant, de preuves intellectuelles pour justifier sa position comme crédible, sans qu’y suffise un sentiment intérieur de l’habitat en lui de l’Esprit de Dieu ; d’autre part Celui qui se révèle en son amour paternel le fait en son Verbe, parole d’Evangile ou de Tradition autant que conversation intérieure. La théologie a beaucoup gagné par la suite, c’est vrai. L’apologétique classique a été supplantée par celle de l’expérience. Non sans frôler des écueils modernistes ou d’un subjectivisme nettement protestant. Notre pape Benoît XVI ne cesse de s’en prendre à un relativisme doctrinal qui en est le compagnon de route ou l’héritier.

  

   Tout en nous dégageant de notre référence initiale – le parallélisme des deux derniers Conciles - nous enrichirons ce sujet de la Révélation par quelques documents d’appoint. Ils éclairent le rapport de l’expérience intime et du donné externe en matière de foi chrétienne.

   En commençant par un texte de Jacques Maritain, dans son ouvrage Le paysan de la Garonne. Bien qu’essentiellement intellectuel l’homme n’est pas récusable en sa sensibilité, lui a terminé sa vie chez les Petits Frères du P. de Foucauld. : « Il ne manque pas actuellement d’orateurs sacrés et de théologiens, qui, sous l’impact de préjugés ant-intellectualistes nourris par les idéosophies du jour, tentent, luthériens sans s’en douter, de réduire la foi théologale elle même à la foi-confiance. Pour Luther, la foi était la confiance intérieurement éprouvée en mon salut. Eux, ils se réfèrent à une grande vérité, à savoir que la foi implique comme son motif : une rencontre de Dieu et une totale confiance en lui ; mais de fait ce qu’ils nous disent est tout autre chose, ils nous disent que la foi consiste essentiellement, en tout et pour tout, en cette rencontre de personne à personne, cet éblouissement du cœur, ce don de soi à Jésus sauveur, et cette totale confiance en lui et en son amour, tandis qu’il faut laisser aux vieilles routines de nos ancêtres et jeter aux orties du passé tout ce qui ferait considérer la « Révélation de Dieu » « comme un vaste système de vérités toutes faites », ainsi que le dit le Catéchisme hollandais, et, ainsi qu’il dit encore, « comme une collection de choses à savoir ». Pas de vérités toutes faites ! En proclamant cela qu’est-ce qu’on demande ? Des vérités qui soient à faire, des vérités que j’aie à découvrir moi-même ? Peut-être des vérités changeantes ? Etrange notion des vérités révélées !

   Si la Vérité ne vient pas d’abord, si les vérités révélées ne sont pas un ensemble de choses à croire, aujourd’hui comme hier (et que la théologie se doit d’organiser en savoir), alors la rencontre de personne à personne, si vraie qu’elle soit en réalité, et tous les autres mots justes en eux-mêmes qu’on se plaît à répéter, deviennent simple rhétorique. Il est bien vrai qu’une conversion est une rencontre éblouissante – mais avec Dieu qui est la Vérité. Il est bien vrai que la vie de foi est une expérience de plus en plus profonde de l’amour terrible et doux de Jésus, mais où sont vécues, mâchées et remâchées toutes les insondables richesses du Credo. Il est bien vrai que la Révélation est une lumière donnée à chacun pour guider ses pas, un message envoyé au cœur de chacun pour qu’il le vive ; mais si la révélation n’est pas un vaste ensemble, ou, si l’on peut ainsi parler, un « vaste système » de saintes vérités venues de Dieu, et qui comme lui transcendent le temps, et pour lesquelles à l’exemple du Christ nous devons être prêts à mourir, et que l’Eglise du Christ, son Epouse, la chair de sa chair, a mission de transmettre aux hommes et de garder pures, il n’y a ni lumière pour guider nos pas ni message que nous ayons à vivre.

  Haec oportebat dicere et illa non omittere.

 

   Qu’il y ait des réajustements à faire dans une pastorale adaptée à la fois aux ouvertures et aux besoins du temps présent, nous allons le tirer maintenant, parmi tant d’autres témoignages autorisés, du compte-rendu d’un récent Congrès organisé par l’Institut Supérieur de Pastorale catéchétique qui, en février 2011, a suscité un colloque sur le sujet de son domaine spécifique. Certes, la catéchèse n’est pas toute la pastorale et celle-ci n’implique pas toute la Révélation. Celle-ci pour son compte n’implique pas un jugement peaufiné sur la Révélation ; enfin Jésus, par la grâce puissante, peut atteindre qui il veut par des moyens même de soi inadéquats. Un livre reprend l’essentiel des interventions de la rencontre : La catéchèse et le contenu de la foi (Desclée de Brouwer, 2011). Dans la préface, Mgr Dufour exprime ce que lui inspire le choix exploité : « Je tiens à exprimer mes félicitations à ceux qui ont choisi ce sujet (...) pour ce colloque international dont cet ouvrage publie les actes. Car c’est avec un grand bonheur, une immense félicité que j’ai reçu l’annonce de ce choix audacieux. Pourquoi audacieux ? Parce que le contenu de la foi fait référence au catéchisme et que nous avons connu en France une réception conflictuelle du Catéchisme de l’Eglise catholique. Parler du contenu de la foi en catéchèse n’est pas toujours bien reçu dans notre tradition française récente qui donne la priorité à l’expérience, qu’elle oppose au dogme : tout ce qui n’est pas expérimenté ne pourrait être cru. Rappelons enfin l’accueil mitigé des propos de Benoît XVI aux évêques lors de sa venue à Lourdes le 14 septembre 2008 : "La catéchèse, disait-il, n’est pas d’abord affaire de méthode, mais de contenu (1) ". Cette petite phrase a fait choc, diversement interprétée ; la suite du texte posait pourtant bien le sujet, le contenu étant défini comme l’écho d’une Parole qui appelle chaque être humain à orienter son intelligence et son cœur vers le Christ. »

  En introduction de l’ouvrage cité, sous la plume de François Moog (directeur de l’lSPC) : « Au cours du XXe siècle, la prise en compte de l’expérience personnelle en catéchèse aboutit à un autre risque, celui de laisser de coté la question des connaissances qu’il appartient à l’Eglise de transmettre. Il s’agissait de faire vivre la foi, ce qui faisait passer au second plan le nécessaire apprentissage du contenu.

 Au seuil du troisième millénaire, nous ne pouvons pas nous contenter de choisir entre l’une ou l’autre de ces exigences également légitimes. Dans un contexte d’affaiblissement de la culture chrétienne, nous avons aujourd’hui à penser ce que peut être une exposition vivante de la foi de l’Eglise. C’est le principe de la pédagogie d’initiation voulue par les évêques français. Aborder la question fondamentale du rapport entre contenu de la foi et expérience est devenu possible. En dépassant les polémiques, on manifeste alors une maturité réelle des questions catéchétiques qui permet de penser l’acte de foi engagé en catéchèse sans part pris idéologique. Aller dans ce sens ouvre des perspectives ecclésiales pacifiées nécessaires aux conditions présentes de la mission d’annonce de l’Evangile. »

   François Moog va même jusqu’à rappeler ce qu’écrivait Jean-Paul II dans son exhortation apostolique Catechesi Tradendae en 1979 : «  Jean-Paul II prend soin de mettre en garde contre toute opposition stérile entre les deux comme entre orthopraaxis s et orthodoxie. Le christianisme est inséparablement l’une et l’autre ». Et il en tire les conséquences pour la catéchèse : « On n’opposera pas non plus une catéchèse à partir de la vie à une catéchèse traditionnelle, doctrinale et systématique, car l’enseignement doctrinal est là pour éclairer, inspirer et critiquer l’existence ».

 

  Donnons la suite du discours de Benoît XVI à Lourdes : « Il s’agit d’une saisie organique de l’ensemble de la révélation chrétienne, apte à mettre à la disposition des intelligences et des cœurs la Parole de Celui qui a donné sa vie pour nous. De cette manière, la catéchèse fait retentir au cœur de chaque être humain un unique appel sans cesse renouvelé : " Suis-moi ! " ( Mat. 9, 9). Une soigneuse préparation des catéchistes permettra la transmission intégrale de la foi à l’exemple de saint Paul, le plus grand catéchiste de tous les temps… Au milieu des soucis apostoliques, il exhortait ainsi : "Un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide, mais, au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau… " (2 Tim. 4, 3-4) ». (Extrait de Fidélité et Ouverture, avril 2012)

« Je suis atterré d’entendre le rejet brutal que suscite la seule mention d’un savoir religieux. Comme si le simple fait d’évoquer la connaissance du mystère chrétien évacuait radicalement toutes les expériences spirituelles que l’on peut en avoir ! Comme si – pour reprendre la distinction classique – la foi qui est apprise (fides quae) était incompatible avec la foi qui est vécue (fides qua) ! », écrit le Cardinal Jean Honoré, dans ses Mémoires.

 

   Et voilà que Mgr Fisichella, Président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, nous résume d’un mot le contenu de l’ « Année de la foi » lancée par Benoît XVI : « Faire du Credo la prière quotidienne ».

 

   Nous sommes partis d’un article sur la Révélation divine différenciée dans les deux derniers Conciles pour un aboutissement de symbiose au niveau de la foi.. Les Pères du Vatican I n’auraient pas eu de problème substantiel à l’admettre.


   Parmi tant d'autres témoins de l'imbrication du doctrinal et du mystique en christianisme l'actualité nous fournit celui de Blaise Pascal dont on va célébrer le 350e anniversaire de la mort, le Pascal conjointement des combats pour la foi et pour la religion du « Dieu sensible au coeur ».

14 juin 2012 

 

Parmi les bons livres


      Les bons livres abondent aujourd’hui presque autant que les mauvais ! Parmi ceux-ci nous manifesterons un intérêt particulier pour celui de Christian Belin, Le corps pensant (Seuil, mars 2012). L’auteur, professeur de littérature française à l’Université de Montpellier, y développe sur 359 pages, avec grande érudition et un souci d’équilibre, les diverses formes de la méditation chrétienne au cours des âges.

Nous reproduisons ci-dessous, surtout pour nos propres lecteurs, sa présentation d’ouvrages dont les titres au moins leur sont familiers. Suivent d’autres pages intéressantes.

   « Notre époque largement déchristianisée peut s’étonner des succès rencontrés, entre la Renaissance et le XXe siècle, par la pratique de l’oraison mentale et des exercices spirituels. Le premier XVIIe siècle connut l’apogée de ce mouvement culturel. Certains livres de dévotion, aujourd’hui oubliés ou déconsidérés, touchèrent un vaste public et furent sans cesse réédités, comme le Combat spirituel de Lorenzo Scupoli (1589), les Méditations sur les mystères de notre sainte foi de Luis de la Puente !1605), l’Introduction à la vie dévote de François de Sales (1608), ou encore l’Exercice de la perfection et des vertus chrétiennes d’Alphonse Rodriguez (1609). Ces ouvrages, ou les innombrables épigones qu’ils ont engendrés, mettent l’accent sur la dimension presque exclusivement ascétique des exercices spirituels. Ils insistent sur les méthodes à adopter ou la procédure à suivre, mais ils misent avant tout sur le volontarisme indispensable à la démarche. On observe globalement, sauf chez François de Sales, un formalisme extrême des « pratiques » ou des « exercices », de même qu’une certaine obsession du rendement quantitatif. De sérieux travers menacent ce genre de littérature : la dérive moralisante, la tendance au sentimentalisme, le formalisme stérile, la bonne conscience ou au contraire la culpabilité excessive, etc.

   Au sein de la galaxie d’ouvrages dévots, menacée de pléthore, brillent incontestablement les Exercices spirituels dus à Ignace de Loyola (1548). Ce petit livret, pourtant si emblématique du genre, accorde, de manière très audacieuse, une place prépondérante à la personnalité du retraitant. Qui doit certes se laisser guider par une procédure rigoureuse (quatre semaines, cinq exercices quotidiens, examens de conscience approfondis), mais qui doit surtout être attentif à ses propres «  motions intérieures ». Un choix de vie, un mode de relation à Dieu et aux autres demeurent l’enjeu d’un protocole méditatif qui s’appuie sur l’engagement du corps, par l’éveil des « sens spirituels » et le recours constant aux images. La « plus grande gloire de Dieu » ne se laissera découvrir et contempler qu’au terme d’un engagement sans restriction de toute la personne, dans une liberté aussi maximale qu’héroïque. Une autre originalité des Exercices, et non la moindre, tient au fait que ce livre se contente d’être essentiellement métadiscursif, afin que l’apprenti invente lui-même son propre itinéraire. Tout au plus peut-on lire, ici ou là, quelques ébauches de méditations types (sur les Deux Etendards, pour apprendre à faire « élection » ; sur l’enfer, pour faire prendre conscience du péché). Ce qui importe en effet aux yeux d’Ignace, c’est la « manière de procéder », et non le détail, à vrai dire imprescriptible des procédures. Le retraitant devra expérimenter la « pensée du Christ », en sa chair, et par l’intelligence du cœur, et non la recevoir passivement d’autrui, fût-ce d’un « directeur spirituel », ou de l’Eglise institutionnelle.

   Les Exercices, on l’a souvent souligné, doivent beaucoup aux idées propagées par la devotio moderna, qui misait sur l’investissement individuel du chrétien. L’œuvre phare de ce courant spirituel reste sans conteste l’Imitation de Jésus-Christ, qui fut, pendant des siècles, dans les milieux catholiques, le livre de piété le plus répandu et le plus populaire. L’ouvrage, anonyme, fut composé en Flandre dans la seconde moitié du XIVe siècle ; il forme un ensemble assez disparate où se mêlent, en quatre livres, des avis généraux sur la vie spirituelle, des dialogues entre le Christ et l’âme fidèle et, enfin, une longue méditation sur l’Eucharistie. De prime abord, certains aspects pourraient rebuter le lecteur d’aujourd’hui. L’auteur est si fasciné par la noirceur insigne du péché qu’on le soupçonnerait volontiers de complaisance morbide. En réalité, s’il ne dissimule pas la profonde misère de l’homme, il croit en la puissance salvifique d’une vraie conversion. Son propos respire la gravité, et même une certaine taciturnité, bien qu’une foi ardente les transforme en motifs d’espérance. L’humilité y est décrite comme la vertu décisive, sans laquelle aucun progrès spirituel ne serait concevable, et cependant cette humilité ressassée jusqu’à donner le vertige du néant s’accompagne d’une joie secrète qui sous-tend en permanence le discours et qui, d’un point de vue littéraire, transparaît dans une langue extrêmement mélodieuse, au rythme envoûtant. L’écrivain en effet possède l’art de ciseler des sentences aussi élégantes et percutantes que les apophtegmes du Désert. Quant au titre de l’ouvrage, il s’avère assez paradoxal, puisque le propos tend plutôt à démontrer l’impossibilité d’une réelle imitation de Jésus. Le Christ reste à jamais inimitable, bien que le chrétien doive entretenir le désir d’une imitation sincère et fidèle. En réalité, la vie du Christ constitue le premier et le seul objet de la contemplation chrétienne. Ignace s’en souviendra dans ses Exercices. Sur un autre point également l’Imitation annonce les Exercices spirituels, en ce sens que le livre ne cesse de se retirer, de s’effacer ou de s’anéantir ; il ne fournit aucun modèle standardisé de réflexion, mais il transmet avec passion le goût de méditer, à la recherche de la « pensée du Christ ». » (p. 292-295)

(Tout ceci est à la fois vrai et bon, bien qu’on eût aimé un « plus » sur l’orientation mystique des deux ouvrages cités, des Exercices ignaciens notamment.)


   Excellentes pages en outre dans les Paradoxes d'Eglise, p. 303-320.

« A travers le temps, alors que « passe la figure de ce monde » (I Co. 7,31), « au milieu des changements ou fluctuations de ce monde » (oraison pour le temps pascal), l’Eglise reste placée sous le signe du paradoxe : composée de pécheurs, elle tire son dynamisme social, caritatif ou culturel de la seule communion des saints, enfants d’un même Père ; contrainte à faire de la politique, pour le meilleur ou pour le pire, elle ne reconnaît néanmoins que la seule autorité de son Chef, le Fils bien-aimé ; enlisée dans les soucis matériels ou les calculs stratégiques, elle sait pourtant que sa vraie force réside dans l’Esprit de sainteté. Au nom des trois divines Personnes elle communique d’ailleurs, par les sacrements, la grâce qui vivifie le Corps tout entier. Si les chrétiens, comme dit saint Paul, ont la « pensée du Christ » ils ne peuvent penser le Christ sans penser le Corps qui est le sien. Au paradoxe d’une institution aussi fragile que solide (selon le point de vue adopté, réaliste ou mystique) s’ajoute donc le principe d’une diversité infinie qui se déploie dans les temps et dans l’espace. En ce Corps sans frontière en effet se presse une foule innombrable de vivants et de morts, illustres ou anonymes, saints ou misérables, âmes d’élite ou gens très médiocres, humains et « trop humains ». Divers et, en un sens, complémentaires se révèlent les différents « états » de l’Eglise militante, souffrante ou glorifiée, sur la terre comme au ciel. Saint Augustin méditait sur le passage de l’Eglise à travers l’histoire en contemplant une  Cité de Dieu inextricablement mêlée à la cité terrestre.

   Comment faire la part entre le temporel et l’éternel ? Et comment, et de quel droit, à l’intérieur de l’une ou de l’autre cité, séparer le bon grain de l’ivraie (Mt 13,24-30) ? Bossuet, quant à lui, décrira la permanence de l’Eglise, toujours affligée et toujours consolée, qui s’avance imperturbable vers le Christ, malgré la succession chronique des empires et des civilisations. » (p.303-304)

   Féminin , masculin : « L’une des difficultés que l’on rencontre dès que l’on s’efforce de penser le Corps de l’Eglise, à la fois mobile dans le temps et immobile à l’aune de l’éternel, tient à la multiplicité des images qui s’efforcent d’en traduire le mystère. Elle est certes le Corps du Christ tout entier mais elle est aussi, pour les Pères, figurée par l’Arche de Noé ou l’Arche d’Alliance ; elle est aussi préfigurée par le Temple de Jérusalem ou décrite sous les traits d’une Cité radieuse, la nouvelle Jérusalem qui descend du Ciel. La Tradition patristique aime enfin identifier l’Eglise à des figures féminines : la Vierge, l’Epouse, la Mère… L’assimilation de l’Eglise au Corps du Christ aurait pu laisser croire qu’elle était une sorte d’entité masculine, alors que le Nouveau Testament et la Tradition accentuent au contraire sa dimension féminine. Une fois encore, on constate que les images se mêlent et se superposent, rendant difficile la juste perception de cette société ecclésiale, de cette étrange Assemblée (Ecclesia) qui semble défier le simple bon sens. Sans doute, pour ces raisons, l’Eglise s’offre davantage à la contemplation méditative qu’à l’emprise rationnelle du discours.

   Le caractère féminin de l’Eglise souligne son rôle protecteur et éducateur, mais il insiste surtout sur la notion d’enfantement dans le temps… La féminité de l’Eglise, qui s’unit au Christ, équilibre en quelque sorte la perception, erronée mais courante, d’un Dieu tout puissant forcément « masculin ». Au cours des siècles, les Eglises chrétiennes n’ont pas toujours su tirer toutes les conséquences d’un tel dispositif providentiel… »

(Tout ceci reste encore vrai et bon, bien qu’on trouve ensuite (p. 310) une insinuation quelque peu féministe de l’auteur.)


   Un mystère compromis ? (p. 311-314). Non, mais l’Eglise est en marche vers sa perfection. Elle vit dans la tension eschatologique et ne peut offrir qu’une unité en cours de formation, sur le mode inchoactif… Ignorer la réalité spirituelle du « Corps mystique » serait méconnaître profondément la manière dont l’Eglise se pense (ce qui tout de même est essentiel, même pour ceux qui aiment la dénigrer), mais se réfugier derrière cette notion, comme derrière un bouclier, pour excuser certaines compromissions avec le « siècle », sous prétexte que la véritable Eglise est ailleurs, ce serait adopter une sorte de spiritualisme désincarné absolument contraire au christianisme… En outre, si les chrétiens sont « membres les uns des autres », ils s’illusionneraient gravement en s’imaginant pouvoir « penser le Christ » à titre simplement individuel, reclus dans une intériorité artificielle. Dans un « corps plein de membres pensants », comme disait Pascal, la pensée de l’un est forcément solidaire de la pensée de l’autre. Multiplicité et unité ont toujours posé problème. » Les premiers chrétiens n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ? Voire ! (p. 313)

   Tout ceci est encore vrai et bon. Un peu moins évidemment la page 317 qui verrait mieux pour l'œcuménisme un Pape primus inter pares qu’un Pape Souverain Pontife. Par contre juste place à la critique filiale de « dysfonctionnements scandaleux » au cours des temps. (p.316) Mais dans l’esprit de saint Ignace dans ses règles pour « sentir avec l’Eglise » page 320, et non pour régler des comptes page 321, ou dans l’oubli systématique de la fécondité de l’institution pages 320-326.

Malgré quelques réserves l’ouvrage ici partiellement recensé laisse une impression d’équilibre. Sa lecture ne peut être que bénéfique à des lecteurs déjà érudits. Nous l’avons mis en bonne place parmi les bons livres de ce temps. Un « gros pavé », tout de même !



14 mai 2012

Pentecôte, fête de l'apostolat

 

 La Pentecôte est la fête par excellence de l'apostolat, comme se veut lui-même ce billet, porteur de messages missionnaires. Notamment avec un rappel de notre rôle de baptisés et confirmés en Jésus pour diffuser sa Parole. Ainsi qu'avec l'assurance d'une grâce d'accompagnement de sa part et quelques éléments de pratique.

 Jésus a dit que celui qui croirait en lui ferait des oeuvres plus grandes que les siennes (Jn 13, 12). Comment comprendre ? S'il s'agissait de miracles, pas possible de faire mieux que lui qui ressuscitait les morts. En restant au niveau visible, il s'agira donc d'apostolat. Saint Pierre a pu s'en rendre compte et s'en émerveiller lorsque son premier discours lui valut l'adhésion de 3000 croyants (Act 2, 41). Et ça ne faisait que commencer : rien qu'en comptant les hommes, ils étaient 5000 quelques jours plus tard (Act 4, 4) ! Puis c'est l'adjonction d'une multitude d'hommes et de femmes (Act 5, 14), voire de prêtres juifs (Act 6, 7) ! Bien sûr, c'est lui le Seigneur, qui agit encore, mais en cachant sa main de bon pédagogue, renvoyant le succès à l'invisible Esprit.

 L'Histoire de l'Eglise compte plusieurs "performances" du même genre et son actualité, grâce notamment aux potentialités fabuleuses de l'internet, fournit de quoi justifier amplement la promesse de Jésus. Dans cette ligne, notons en particulier, de par l'amitié qui nous unit à quelques uns de leurs dirigeants, "Marie de Nazareth" et "Aleteia". Mais qui que nous soyons, nous travaillons "en grand" quand nous avons la préoccupation d'introduire quelque chose de l'Evangile par la voie, restée royale, du "bouche à oreille".

 

 Je me souviens d'avoir donné cette consigne à des jeunes : glisser le nom de Jésus, au moins une fois par jour, dans leurs conversations courantes. Essayez voir : c'est encore valable comme perspective ! Y être attentifs, mais sans rien forcer, nous rendrait en permanence dans un état d'esprit d'apôtres, avec une fécondité élargie, et la joie, accompagnatrice constante de l'amour...

14 avril 2012

 

De l’apologétique des preuves à l’apologétique du coeur

 

   Le R.P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap. est, depuis des décennies, le prédicateur officiel de la Maison Pontificale. Ancien professeur à l’Université Catholique de Milan il est particulièrement érudit en Histoire de l’Eglise. Sa quatrième prédication de Carême 2012 a versé sur l’apport singulier de Gégoire de Nysse comme guide vers la connaissance de Dieu.

   Après avoir présenté les deux dimensions de la foi, foi objective : «  les choses crues - ea quae creduntur : », et foi subjective : « les dispositions mentales selon lesquelles on les reçoit – fides qua creduntur », fides quae et fides qua, il réclame, avec une exigence particulièrement poussée pour notre temps, un nouvel équilibre au profit de la foi subjective.

   « La théologie catholique contemporaine s’efforce de trouver, comme d’autres fois par le passé, un juste équilibre entre les deux dimensions de la foi. On a dépassé la phase où, pour des raisons polémiques contingentes, toute l’attention dans les manuels de théologie avait fini par se concentrer sur la foi objective (fides quae), c’est à dire sur l’ensemble des vérités auxquelles il nous faut croire. « L’acte de foi, lit-on dans un récent dictionnaire critique de théologie, dans le courant dominant de toutes les confessions, apparaît aujourd’hui comme la découverte d’un Tu divin. L’apologétique de la preuve tend aujourd’hui à se placer derrière une pédagogie de l’expérience spirituelle qui tend à ouvrir à une expérience chrétienne, dont on reconnaît la possibilité inscrite a priori dans chaque être humain. » En d’autres termes, plutôt que de faire levier sur la force d’argumentation qui est en dehors de la personne, on veut l’aider à trouver en elle la confirmation de sa foi, essayant de réveiller cette étincelle qui brille dans le « cœur inquiet » de chaque homme parce qu’il a été créé « à l’image de Dieu ».

   Le Père Cantalamessa cite à plusieurs reprises Blaise Pascal comme un théoricien et un apôtre de cette accentuation subjective de la foi. Avec notamment quelques phrases particulièrement célèbres de ses Pensées :

   « Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas. »

   « La démarche ultime de la raison est de connaître qu’il y a une infinité de choses qui la dépassent. »

   Il y retrouve pareillement la nécessité d’une purification des passions et contrition des péchés pour ce qui concerne l’intelligence du regard. « J’aurais déjà abandonné les plaisirs, dit le libertin, si j’avais la foi ». Mais moi je lui réponds : « Tu aurais déjà la foi si tu avais abandonné les plaisirs ».

   « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé. »

   Pascal ne nie pas pour autant la capacité foncière de l’intelligence d’atteindre le vrai, comme l’atteste toute son élaboration de « preuves », mais, d’une part il en dénonce les faiblesses, et d’autre part son insuffisance pour conduire à la foi.

   Quelques citations à ces deux niveaux :

   « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison » Pensée 253, en classement Brunschvicg.

   « Soumission et usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme. » Pensée B. 269

   « Si on soumet tout à la raison, notre religion n’a rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. » Pensée B. 273

   « Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées (compliquées) qu’elles frappent peu ; et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que dans l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés… » Pensée B. 543 et B. 566

Que la religion de Pascal soit essentiellement celle qui présente un « Dieu sensible au cœur », Pensée B.556 et autres, ne fait pas de lui un apôtre de l’immanence. Par ailleurs le besoin du contenu dogmatique est trop grand en notre siècle de relativisme pour qu’on ne montre pas la dimension objective de la foi avant sa dimension subjective. Au fait, de quoi s’agit-il ?



19 mars 2012, en la fête de saint Joseph

 

Une leçon de catéchèse chez Joseph

 

   A Nazareth, au temps de Jésus, il y avait la même vie religieuse sociétaire que dans toutes les villes ou bourgades d'Israël de quelque importance. Avec la précision donnée par saint Luc d'une synagogue, avec donc son public, ses responsables, ses assemblées cultuelles et culturelles communes.

Ce qui n'empêchait pas, bien au contraire, une formation religieuse "à la maison", donnée par les parents : la maman quand on est petit, puis bien vite si ce n'est dès le départ en concomitance, le papa. C'est lui en tout cas qui assume l'essentiel de la formation des grands. Il est donc normal de voir chez lui notre Joseph diriger la prière familiale, et assurer une certaine catéchèse, ou ce qui s'en approche, à son enfant.

  Il est donc tout normal de voir chez lui notre Joseph diriger la prière familiale, et assurer une certaine catéchèse, ou ce qui s'en approche, à son enfant. La Vierge n'en est pas absente. Il se peut aussi que du dehors d'autres rejoignent le groupe. La turbulence en moins c'est ce que nous trouvons parfois en des familles amies. Ici que des oreilles pour écouter !

  Mais aussi des langues pour questionner. Joseph est à l'aise pour présenter et commenter les épisodes principaux de la grande lignée d'Histoire Sainte que les rabbins enseignent pour leur compte à leurs ouailles. Il en sait plus qu'eux tous ensemble pour ce qui est de l'intelligence des textes, et chez lui la science devient vite prière...

  Il y a pourtant une question qui le met dans l'embarras lorsque quelqu'un la lui pose, et surtout quand c'est Jésus. C'est celle d'Isaac à Abraham, son père, lors de leur tragique montée vers le Mont Moriah. Reprenons-la : "Papa, je vois bien le feu et le bois, mais où est la victime pour l'holocauste ?" C'était la question "sans réponse", comme l'appelaient depuis toujours les rabbins. Car il fallait bien admettre que celle fournie alors par Abraham n'était qu'un faux-fuyant, n'en était pas une ; "Dieu y pourvoira, mon fils!" ; pauvre Joseph, chaque fois qu'il lui fallait revenir là-dessus ! Et c'était assez souvent, tellement l'enfant semblait s'y intéresser !

  + Papa, comment Dieu qui est très saint pouvait-il ordonner à Abraham une chose aussi horrible comme de tuer son fils ?

  - Je le comprends, mon garçon, mais c'est qu'il est le maître de la vie. Il l'a donnée, il peut la reprendre !

  + Bien sûr, Papa, mais n'est-ce pas lui qui, parlant à Moïse, sur le Mont Sinaï, a fait interdire le meurtre ?

  - Moïse, c'est beaucoup plus tard, tu le sais bien !

  + Oui, je sais, mais il me semble que c'est tout pareil, avant ou après !

  - Abraham ne s'est pas posé la question. Il ne savait qu'adorer l'Eternel, faire sa volonté. Elle est toujours très sainte, même quand elle est exigeante... D'ailleurs tu vois que tout a bien fini, puisque ce ne fut qu'une épreuve.

  + Que cela ait bien fini, tant mieux, mais ça n'avait pas commencé ainsi. Abraham ignorait l'heureuse issue de son drame. Il était décidé à obéir, coûte que coûte. Et ça devait lui broyer le coeur de devoir immoler son fils bien-aimé, son unique !

  - Effectivement, il en était ravagé. Isaac voyait les larmes couler de ses yeux !

  + Et il adorait l'Eternel, lui aussi ?

  - L'un et l'autre, père et fils, l'adoraient et l'aimaient de tout leur coeur, de tout leur esprit, de toute leur âme, de toutes leurs forces. Car c'est cela le culte du vrai Dieu, l'aimer plus que tout, plus que son père, sa mère, ses enfants, et que soi même ! Il le mérite, il est si grand !

  + Dis, papa, est-ce que de telles choses arrivent encore ? Qu'Adonaï puisse encore imposer de telles épreuves ?

  - Oui, c'est possible, bien sûr !

  + Est-ce que c'est déjà arrivé dans l'Histoire d'Israël ?

  - Tout n'est pas écrit dans nos Livres Saints, mon garçon ! Mais peut-être pourrions-nous en rester là. L'heure passe...

  + Encore un moment, papa ! Il y a des choses que je ne comprends pas. Je voudrais les reprendre par le commencement.

  - Lesquelles, fiston ?

  + Pourquoi ne parle-t-on pas de Sara dans l'événement ? C'était la maman d'Isaac, elle avait bien le droit d'être mise au courant, non ?

  - Tu ne crois pas que c'aurait été trop dur pour elle, même en la supposant très sainte ? Peut-être d'ailleurs qu'Abraham lui a tenu le même langage qu'aux serviteurs qui les accompagnaient lorsqu'il s'éloigna d'eux...

  + Il me semble qu'alors il a dit un mensonge puisqu'il pensait, à ce moment-là, devoir revenir seul. Je ne comprends pas...

  - Pauvre Abraham, dépassé par l'événement ! Pauvre Abraham dont les pieds sont pris dans le filet ! Pauvre Abraham, au visage livide et à la voix tremblante... ! Son fils, son unique, l'enfant de la promesse... !

  + Papa, est-ce que les serviteurs ne s'inquiétèrent pas en les voyant s'éloigner tous deux, leur abandonnant l'âne ?

Papa, est-ce qu'Isaac, tout le premier, ne s'étonnait de rien ?

  - Ce sont là pour moi autant de questions sans réponse, mon garçon ! il y a des prophéties dans notre Histoire. On ne les comprend qu'après coup. Parfois mieux vaut ne pas insister.

  + Papa, est-ce qu'Isaac s'est défendu quand il a compris ce qui allait lui arriver ? Il était grand déjà et sans doute plus fort que son vieux père...

  - Non, il n'a pas cherché à s'échapper. Pour lui aussi il s'agissait de la volonté du Très-Haut, très Juste, très Sage, très Saint. Je suis sûr qu'il offrait son cou au couteau. Mais c'est tellement douloureux qu'on a envie de pleurer, rien qu'à l'évoquer. Il faut s'arrêter !

  + Mais non, papa ! Pas tant qu'on n'aura pas vu, une fois encore, comment ça a fini. Si merveilleusement ! Avec l'enfant remplacé par le bélier ! Avec la récompense pour tous deux ! Et pour la maman quand on lui racontera toute l'histoire ! Ca donne envie de danser !

  - Et surtout de comprendre, une nouvelle fois, combien notre Dieu est grand, fort, saint, sage, puissant et combien c'est précieux d'accomplir toujours sa volonté. Abraham assuré d'une descendance plus nombreuse que les étoiles du ciel ! Abraham au nom duquel seront désormais bénies toutes les nations de la terre ! Oui, ça donne envie de danser, et au moins de battre des mains !

  + Youpi, papa ! Mais il reste un point qui me laisse songeur. C'est celui du Mont Moriah qui ne pouvait pas ne pas être tenu désormais pour sacré par tous les descendants des patriarches.

  - Bien sûr, il devint lieu de pèlerinage. C'est là que David construisit le Temple. D'âge en âge depuis lors on y a offert des animaux en sacrifice, pour commémorer celui d'Abraham. On y a fait fumer l'encens, en louange aux Trois fois Saint d'Israël. C'était pour ces hommages rituels que Moïse avait voulu l'ordre des lévites. Et leur offrande durera jusqu'à la fin du monde...

  + Papa, je garde un si bon souvenir de nos pèlerinages de Pâques que je voudrais y retourner dix fois par an ! Et même y vivre en permanence, comme nos prêtres sacrificateurs !

  - Nous reparlerons de ça avec ta maman. Elle a écouté tout notre catéchisme, et nous dira comment elle comprend les choses, elle qui sait mieux que nous... La voilà qui nous fait signe !

  - Oui, j'ai tout écouté ! Quelle chose merveilleuse, Joseph, Jésus, d'être enfants d'Israël !

 

P.S. : A travers la forme inventée nous venons de rejoindre une grande leçon morale d'Evangile : "Celui, dit Jésus (Mt 10, 37), qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Un autre prolongement pratique en est facile au niveau cultuel. Le missel nous le fournit dans la première Prière eucharistique : "Dieu de gloire et de majesté, accepte avec bienveillance notre offrande, comme il t'a plu d'accueillir le sacrifice de notre père Abraham..."

  L'auteur de cette page y trouve, en plus, un ancrage très important dans sa vie de prêtre. Si la bienveillance de ses lecteurs le lui permet, il s'en expliquera en quelques mots.

  C'est d'abord le dur combat qu'il a dû mener pour assumer une vocation dont il ne doutait pas. La phrase citée de l'Evangile résonna longtemps à ses oreilles, comme un commandement incontournable. Elle devint sa force au moment voulu.

  Un autre événement le renvoya à l'épreuve d'Abraham. Ce fut le combat de la pureté du coeur. Prêtre, religieux, l'amour d'une jeune femme, sa collaboratrice d'apostolat, prenait beaucoup de place dans son champ de conscience ; il fallait être clair, et trancher au besoin, quand c'est encore relativement facile. Bien que paisible en lui-même, il se voulut un surcroît d'assurance et consulta pour cela deux personnes qualifiées pour leur demander, de façon indépendante, leur avis. A savoir un médecin psychologue-psychiatre et une Religieuse carmélite. Leur jugement fut concordant : "C'est tout bon Père !" Dans sa lettre de réponse le médecin ajouta : "Vous pouvez retourner chez vous avec Isaac !" Divin !


15 février 2012

 

La vérité des Évangiles

 

      Toute l'exégèse moderne s'accorde à reconnaître que les Evangiles sont des livres à thèse. Ils rapportent certes des faits historiques, mais des faits triés, travaillés, pour prouver, pour établir quelque chose.

      C'est ce que nous affirme équivalemment le dernier Concile, constitution dogmatique Dei Verbum n.19 : "Les auteurs sacrés composèrent les quatre Évangiles, choisissant certains des nombreux éléments transmis soit oralement, soit déjà par écrit, rédigeant un résumé des autres ou les expliquant en jonction de la situation des Églises, gardant enfin la forme d'une prédication..."

      Tout ce qu'ils disent est vrai, mais d'une vérité "orientée".

      On comprendra facilement la signification de ce terme, si l'on imagine un biographe voulant relater la vie d'un chef de famille et qui se limiterait à ne relever que les actes de douceur du Père et de la méchanceté des enfants, ou à l'inverse de la rigueur du premier et de la tendresse des autres. Chose naturelle en des écrits purement naturels, et qui en viendrait vite à dénaturer les faits, ce qui n'est pas du tout le cas des Évangiles.

      D'ailleurs, toujours du point de vue naturel, un homme, nécessairement "limité", ne saisit qu'une partie de la réalité qu'il étudie : 30% disent les psychologues s'il s'agit d'un spécialiste, 10% en cas contraire.

       Un exemple à notre portée : qui n'a noté la différence entre le temps réel d'une audience et celui que l'on passe à en lire le compte-rendu que l'on croit cependant complet ? C'est qu'un homme ne fait attention qu'à une partie des choses. Et à quelle partie ? A celle qui l'intéresse surtout. Tout historien prend parti : il ne peut pas ne pas le faire. Tout homme a des passions qui l'orientent, même inconsciemment.

      De plus, il peut très bien s'imposer très consciemment un tri, en vue d'une thèse à démontrer.

      C'est tout aussi évident pour l'interprétation des faits que pour leur choix, puisque les mêmes événements peuvent répondre à des intentions différentes de la part de leurs protagonistes, tout comme s'inscrire dans le déroulement d'idées différentes selon la structure mentale du relateur.

      La Bible est un livre à la fois divin et humain. On y voit la main de l'auteur qui a écrit selon son style, avec ses limites humaines. Pour bien comprendre ce que Dieu veut nous dire par l'intermédiaire de cet homme, il faut nous rappeler ces normes humaines. Mais Dieu lui fait dire finalement ce qu'il veut, ce qui est utile pour notre salut. De ce que nous pourrions appeler des défauts humains, Dieu se sert pour obtenir ce qu'il veut. Et Dieu ne permet pas que l'histoire soit faussée. Vatican II, au texte que nous venons de citer, ajoute que les évangélistes ont fait un choix de manière à nous livrer toujours sur Jésus des choses vraies et sincères.

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      Notons enfin que les évangélistes écrivent après les faits, sous la lumière pascale et pentecostale. Ils savent que Jésus est Seigneur, qu'il est vainqueur, qu'il est encore vivant.

      Ils auraient parlé de sa vie cachée, de sa Passion, etc. avec un accent sans doute différent s'ils l'avaient fait avant de le voir ressuscité. Cela change l'optique, la manière. N'en est-il pas ainsi lorsque nous lisons un livre tragique ? Si nous savons qu'il finit bien, parce que nous l'avons déjà lu, nos réactions devant l'événement de soi effrayant, sont différentes de celles qu'aurait engendrées l'ignorance de dénouement.

      Dieu se sert de cela même pour réaliser son dessein. Les évangélistes sont tous des théologiens, qui ont réfléchi sur le "donné révélé" et en dégageant des points de spiritualité. Partant de faits réels, ils expliquent leur message. Et ils l'expliquent en fonction d'un peuple, chacun le sien, car ils sont aussi des apôtres, des pasteurs. Autrefois, on ne disait cela guère que de saint Jean. Mais à présent, avec des nuances, avec des degrés, c'est admis pour tous. Voyez les décrets de la Commission biblique du 21 avril 1964.

       "Chaque évangéliste a choisi une certaine présentation du Christ, a sélectionné ses mystères et les a ordonnés en fonction de l'aspect du Christ qu'il voulait de préférence mettre en lumière : saint Matthieu, l'univers alité du Royaume, saint Marc, sa vérité, saint Luc, la miséricorde de Dieu, saint Jean, la révélation du Père dans le Fils... Par ailleurs, le texte de saint Marc s'écoute, celui de Matthieu se consulte, celui de Luc se lit, celui de Jean se contemple." (P. Charlier, o.p.)

       Théologiens, les évangélistes "travaillent" leurs textes, non seulement selon l'expérience mystique qu'ils ont personnellement de Jésus-Christ, mais à l'intérieur de l'Eglise primitive, que l'on peut appeler la matrice des saintes Ecritures (Paul VI, 14 mars 1974). Ils nous livrent donc l'expérience de la Bonne Nouvelle telle que l'ont vécue les premiers chrétiens.

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      Une objection s'impose : parce que les évangélistes nous présentent un récit élaboré, sous la motion de l'Esprit-Saint certes, de la vie de Jésus, il est impossible d'ordinaire de savoir si les paroles ou les faits attribués au Christ sont vrais d'une vérité magnétophonique ou photographique.

      Expliquons-nous. Devant une caricature dessinée on dit : C'est un tel ! Et c'est vraiment un tel. Pourtant on ne prétend pas attribuer à celui que la caricature évoque la réalité littérale de tous ses traits. C'est en sachant quel genre littéraire, quel style emploie l'auteur, que le lecteur opère la transposition qui lui fait connaître la réalité.

      Nous avons parlé de style. Tout le monde sait ce qu'est une peinture stylisée, une sculpture stylisée. On donne tout de suite à cette oeuvre d'art un nom ; elle est donc vraie, exacte, mais à sa manière ; elle indique, suggère le vrai historique par une représentation originale. Et précisément parce que, abstraite, une oeuvre de ce genre ne peut reconstituer avec tous les détails le modèle reproduit.

      Ces comparaisons sont exagérées. Mais enfin, par analogie, les Evangiles disent vrai, mais ne disent pas tout le vrai, ni nécessairement de la manière précise comment les choses se sont passées. Aucun historien, aussi rigoureux soit-il, ne pourrait prétendre à cette exactitude magnéto-photographique.

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      Cela ne manque pas d'avantages ; cela donne à leur lecture un intérêt permanent. Non seulement il nous faut faire l'effort de retrouver ce qu'a voulu signifier chaque auteur selon son optique principale, mais encore chercher la correspondance avec les leçons des autres évangélistes se rapportant éventuellement au même sujet, sans détriment des vides à combler dans la narration et de la pluralité de sens voulue par Dieu dans tel dit ou tel fait du Seigneur.

       Double travail inépuisable : devant ce qui nous est livré, découvrir tout. Analogie avec l'effort du dessinateur stylisant son sujet, puis le ré-élaborant en peinture. Et ici, non pour jouer, mais pour informer notre vie même selon la découverte réalisée.

      Oh ! Que j'aime l'art byzantin nous offrant des Christs de gloire sur la croix, parce que l'intelligence mystique a dépassé la profondeur des yeux ! Ou l'art roman aux Christs apparemment difformes, doigts démesurés, paumes immenses, dans lesquels le sculpteur voudrait faire comprendre ce qu'il a saisi des attributs divins, ici de justice, là de miséricorde.

      Ils nous invitent, ces artistes souvent inconnus, à soupçonner au moins les inépuisables richesses qu'enferme en soi l'Évangile, le Seigneur de l'Evangile.

 

  (Extrait de Des regards inquisiteurs sur la sainte Ecriture, éd. Joyeuse Lumière)