De notre adhérent Dominique Bouffiès.

 

Dans la Clarté versée

 

 

Semblables aux fleurs de tournesols affamées de soleil, nos vies s’élancent vers la hauteur, se tournent vers le Cœur de  Lumière vivant et saint, se cherchent en Sa chaleur...

 

L’invisibilité, l’infinité du « Tout » créateur donne force de croissance aux hommes…

Dieu demeure invisible pour que les cœurs se cherchent, pour que les cœurs s’ouvrent et se grandissent ; il y a dans le manque, « énergie » d’expansion, « vigueur » sanctifiée pour le « vouloir » des âmes…

Le ciel patiente pour dire la paix en son entier. Il cache aux yeux mortels, ce que la confiance voit.

Dieu : le chercher, s’oublier c’est le trouver enfin. L’homme bouleversé, changeant, devient « fiat » et serein…

 

L’âme s’intensifie de la faim et de la soif de l’Etre, de tout ce qui pour l’heure la tient à distance de Paix, de Vérité, à distance de Vie… Elle se déplie au manque…

Dans l’invisible et l’infini de Dieu, elle prend vigueur de  foi, d’espérance, de charité …

 

L’Amour s’est déployé en Croix…

Son Cœur Sacré ouvert est gorgé de soleil…

Et Sa Lumière nous complète…

 

Les cœurs sans direction, sans oraison sont lavés à la Source éternelle du Don…

Au brûlant de l’esprit des âmes, son Sang versé libère de la Paix.

En milieu de désordre et d’émoi, en milieu de monde et des « moi », Jésus Présence proche est le « toucher », le « dresser » de la Croix.

Greffées au Corps mystique, au Corps formé d’adorations, de joies et d’oraisons, unies au Corps aimé, reçu, nos croix deviennent « eucharisties » de foi…

 

Sous les pampres du jour, sur la sinuosité monotone des heures et des pensées, dans la Clarté versée par l’Eternel d’amour, les cœurs mis ensemble se complètent et se cherchent en unité, se donnent en sainteté, se joignent en pureté, se trouvent en vérité…

 

Le ciel a semé sur la terre les fleurs de son jardin : la Lumière, la Paix et la Vie sans déclin…

Dieu trin et saint nous remplit d’une oraison paisible…

Toutes existences, toutes croissances chantent alors cette Présence pure.

Et l’âme se sait joyeuse de la Lumière « Père », qu’elle ne peut pourtant pas encore contempler…

RÉCIT DE NOTRE ILLUSTRE ADHÉRENT PAUL CLAUDEL

CONVERTI PENDANT LE CHANT DU MAGNIFICAT

A NOËL 1886

 

            « Je suis né le 6 août 1868. Ma conver­sion s'est produite le 25 décembre 1886. J'avais donc dix-huit ans. Mais le dévelop­pement de mon caractère était déjà, à ce moment, très avancé. Bien que rattachée des deux côtés à des lignées de croyants qui ont donné plusieurs prêtres à l'Église, ma famille était indifférente et, après notre arrivée à Paris, devint nettement étrangère aux cho­ses de la Foi.

 

            Auparavant, j'avais fait une bonne pre­mière communion qui, comme pour la plu­part des jeunes garçons, fut à la fois le cou­ronnement et le terme de mes pratiques religieuses. J'ai été élevé, ou plutôt instruit, d'abord par un professeur libre, dans des collèges (laïcs) de province, puis enfin au lycée Louis-le-Grand. Dès mon entrée dans cet établissement, j'avais perdu la foi, qui me semblait inconciliable avec la pluralité des mondes. La lecture de la Vie de Jésus de Renan fournit de nouveaux prétextes à ce changement de convictions que tout, d'ailleurs, autour de moi, facilitait ou encourageait.

 

            Que l'on se rappelle ces tristes années quatre-vingts, l'époque du plein épanouissement de la littérature naturaliste. Jamais le joug de la matière ne parut mieux affermi. Tout ce qui avait un nom dans l'art, dans la science et dans la littérature, était irréligieux. Tous les soi-disant grands hommes de ce siècle finissant s'étaient distingués par leur hostilité à l'Église. Renan régnait. Il prési­dait la dernière distribution de prix du lycée Louis-le-Grand à laquelle j’assistai et il me semble que je fus couronné de ses mains. Victor Hugo venait de disparaître dans une apothéose.

 

            À dix-huit ans, je croyais donc ce que croyaient la plupart des gens dits cultivés de ce temps. La forte idée de l'individuel et du concret était obscurcie en moi. J'acceptais l'hypothèse moniste et mécaniste dans toute sa rigueur; je croyais que tout était soumis aux « lois », et que ce monde était un enchaînement dur d'effets et de causes que la science allait arriver après-demain à débrouiller parfaitement. Tout cela me semblait d'ailleurs fort triste et fort en­nuyeux. Quant à l'idée du devoir kantien que nous présentait mon professeur de philo­sophie, M. Burdeau, ja­mais il ne me fut pos­sible de la digérer.

 

            Je vivais d'ailleurs dans l'immoralité et, peu à peu, je tombai dans un état de désespoir. La mort de mon grand-père, que j'avais vu de longs mois rongé par un cancer à l'estomac, m'avait inspiré une profonde terreur et la pensée de la mort ne me quittait pas. J'avais complètement oublié la religion et j'étais à son égard d'une ignorance sau­vage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre des livres d'un grand poète, à qui je dois une éternelle re­connaissance, et qui a eu dans la formation de ma pensée une part prépondérante : Arthur Rimbaud. La lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d'Une Sai­son en Enfer, fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ou­vraient une fissure dans mon bagne matéria­liste et me donnait l'impression vivante et presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d'asphyxie et de désespoir res­tait le même.

 

            Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que, dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettan­tisme supérieur, je trouverais un excitant ap­proprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que, cou­doyé et bousculé par la foule, j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand-messe. Puis, n'ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en robes blan­ches et les élèves du pe­tit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du chœur, à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie.

 

            En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, de l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable.

 

 

            En essayant, comme je l'ai fait souvent, de reconstituer les minutes qui suivirent cet instant extraordinaire, je retrouve les éléments suivants qui, cependant, ne formaient qu'un seul éclair, une seule arme, dont la Providence divine se servait pour atteindre et s'ouvrir enfin le cœur d'un pauvre enfant désespéré : « Que les gens qui croient sont heureux ! Si c'était vrai, pourtant ? C'est vrai ! Dieu existe, Il est là. C'est quelqu'un, c'est un être aussi personnel que moi ! Il m'aime, Il m'appelle. » Les larmes et les san­glots étaient venus et le chant si tendre de l’Adeste ajoutait encore à mon émotion.

 

            Émotion bien douce où se mêlait cepen­dant un sentiment d'épouvante et presque d'horreur ! Car mes convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catho­lique me semblait toujours le même trésor d'anecdotes absurdes, ses prêtres et les fidèles m'inspiraient la même aversion qui allait jusqu'à la haine et jusqu'au dégoût. L’édifice de mes opinions et de mes connaissan­ces restait debout et je n'y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j'en étais sorti.

 

            Un Être nouveau et formidable, avec de terribles exigences pour le jeune homme et l'artiste que j'étais, s'était révélé que je ne savais concilier avec rien de ce qui m'entou­rait. L’état d'un homme qu'on arracherait d'un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger au milieu d'un monde inconnu est la seule comparaison que je puisse trouver pour exprimer cet état de désarroi complet. Ce qui était le plus répugnant, à mes opinions et à mes goûts, c'est cela pourtant qui était vrai, c'est cela dont il fallait bon gré, mal gré, que je m'accommodasse. Ah ! Ce ne serait pas, du moins, sans avoir essayé tout ce qu'il m'était possible pour résister.

 

            Cette résistance a duré quatre ans. J'ose dire que je fis une belle défense et que la lutte fut loyale et complète. Rien ne fut omis. J'usai de tous les moyens de résis­tance et je dus abandonner l'une après l'autre des armes qui ne me servaient à rien. Ce fut la grande crise de mon existence, cette agonie de la pensée dont Arthur Rimbaud a écrit : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face ! » Les jeunes gens qui abandonnent si facilement la foi ne savent pas ce qu'il en coûte pour la recou­vrer et de quelles tortures elle devient le prix. La pensée de l'enfer, la pensée aussi de tou­tes les beautés et de toutes les joies, dont, à ce qu'il me paraissait, mon retour à la vérité, devait m'imposer le sacrifice, étaient surtout ce qui me retirait en arrière.

 

            Mais enfin, dès le soir même de ce mémorable jour à Notre-Dame, après que je fus rentré chez moi par les rues pluvieuses qui me semblaient maintenant si étranges, j'avais pris une bible protestante qu'une amie allemande avait donnée autrefois à ma sœur Camille et, pour la première fois, j'avais entendu l'accent de cette voix si douce et si inflexible qui n'a cessé de retentir dans mon cœur.

 

            Je ne connaissais que par Renan l'histoire de Jésus et, sur la foi de cet imposteur, j'ignorais même qu'Il se fût jamais dit le Fils de Dieu. Chaque mot, chaque ligne démen­tait, avec une simplicité majestueuse, les impudentes affirmations de l'apostat et me dessillait les yeux. C'est vrai, je l'avouais avec le centurion, oui, Jésus était le Fils de Dieu. C'est à moi, Paul, entre tous, qu'Il s'adressait et Il me promettait Son amour. Mais, en même temps, si je ne Le suivais, Il ne me laissait d'autre alternative que la damnation. Ah ! de n'avais pas besoin qu'on m'expliquât ce qu'était l'enfer et j'y avais fait ma « Saison ». Ces quelques heures m'avaient suffi pour me montrer que l'enfer est partout où n'est pas Jésus-Christ. Et que m'importait le reste du monde auprès de cet Être nouveau et prodigieux qui venait de m'être révélé ?

 

            C'était l'homme nouveau en moi qui par­lait ainsi, mais l'ancien résistait de toutes ses forces et ne voulait rien abandonner de cette vie qui s'ouvrait à lui. L’avouerai-je ? Au fond, le sentiment le plus fort qui m'empêchait de déclarer mes convictions était le res­pect humain. La pensée d'annoncer à tous ma conversion, de dire à mes parents que je vou­lais faire maigre le ven­dredi, de me proclamer moi-même un de ces catholiques tant raillés, me donnait des sueurs froides et, par mo­ments, la violence qui m'était faite me causait une véritable indignation. Mais je sentais sur moi une main ferme. Je ne connaissais pas un prêtre. Je n'avais pas un ami catholique.

 

            L’étude de la religion était devenue mon intérêt dominant. Chose curieuse ! l'éveil de l'âme et celui des facultés poétiques se fai­sait chez moi en même temps, démentant mes préjugés et mes terreurs enfantines. C'est à ce moment que j'écrivis les premières versions de mes drames : Tête d'Or et La Ville. Quoique étranger encore aux sacrements, déjà je participais à la vie de l'Église, je respirais enfin et la vie pénétrait en moi par tous les pores. Les livres qui m'ont le plus aidé à cette époque sont d'abord les Pensées de Pascal, ouvrage inestimable pour ceux qui cherchent la foi, bien que son influence ait souvent été funeste; les Élévations sur les Mystères et les Méditations sur les Évangiles de Bossuet, et ses autres traités philosophiques; le Poème de Dante, et les admirables récits de la Sœur Emmerich. La Métaphysique d'Aristote m'avait nettoyé l'esprit et m'intro­duisait dans les domaines de la véritable rai­son. L’Imitation appartenait à une sphère trop élevée pour moi et ses deux premiers li­vres m'avaient paru d'une dureté terrible.

 

            Mais le grand livre qui m'était ouvert et où je fis mes classes, c'était l'Église. Louée soit à jamais cette grande mère majes­tueuse aux genoux de qui j'ai tout appris ! Je passais tous mes dimanches à Notre-Dame et j'y allais le plus sou­vent possible en se­maine. J'étais alors aussi ignorant de ma religion qu'on peut l'être du bouddhisme, et voilà que le drame sacré se déployait de­vant moi avec une magni­ficence qui surpassait toutes mes imaginations. Ah ! ce n'était plus le pauvre langage des livres de dévotion ! C'était la plus pro­fonde et la plus grandiose poésie, les gestes les plus augustes qui aient jamais été confiés à des êtres humains.

 

            Je ne pouvais me rassasier du spectacle de la messe et chaque mouvement du prêtre s'inscrivait profondément dans mon esprit et dans mon cœur. La lecture de l'office des Morts, de celui de Noël, le spectacle des jours de la Semaine Sainte, le sublime chant de l'Exultat auprès duquel les accents les plus enivrés de Sophocle et de Pindare me paraissaient fades, tout cela m'écrasait de respect et de joie, de reconnaissance, de re­pentir et d'adoration ! Peu à peu, lentement et péniblement, se faisait jour dans mon cœur cette idée que l'art et la poésie aussi sont des choses divines, et que les plaisirs de la chair, loin de leur être indispensables, leur sont au contraires un détriment. Combien j'enviais les heureux chrétiens que je voyais communier ! Quant à moi, j'osais à peine me glisser parmi ceux qui, à chaque vendredi de Carême, venaient baiser la couronne d'épines.

 

            Cependant les années passaient et ma situation devenait intolérable. Je priais Dieu avec larmes en secret et cependant je n'osais ouvrir la bouche. Pourtant, chaque jour, mes objections devenaient plus faibles et l'exigence de Dieu plus dure. Ah ! que je Le connaissais bien à ce moment, et que Ses tou­ches sur mon âme étaient fortes ! Comment ai-je trouvé le courage d'y résister ?

 

            La troisième année, je lus les Écritures posthumes de Baudelaire, et je vis qu'un poète que je préférais à tous les Français avait trouvé la foi dans les dernières années de sa vie et s'était débattu dans les mêmes angoisses et dans les mêmes remords que moi. Je réunis mon courage et j'entrai un après-midi dans un confessionnal de Saint-Médard, ma paroisse. Les minutes où j'attendis le prêtre sont les plus amères de ma vie. Je trouvai un vieil homme qui me parut fort peu ému d'une histoire qui, à moi, semblait si intéressante ; il me parla des « souvenirs de ma première communion » (à ma pro­fonde vexation) et m'ordonna avant toute absolu­tion de déclarer ma conversion à ma famille : en quoi aujourd'hui je ne puis lui donner tort. Je sortis de la boîte humilié et courroucé, et n'y revins que l'année suivante, lorsque je fus décidément forcé, réduit et poussé à bout. Là dans cette même église Saint-Médard, je trouvai un jeune prêtre miséricor­dieux et fraternel, M. l'abbé Ménard, qui me réconcilia, et plus tard, le saint et vénérable ecclésias­tique, l'abbé Villaume, qui fut mon directeur et mon père bien-aimé, et dont, du ciel où il est maintenant, je ne cesse de sentir sur moi la protection. Je fis ma seconde communion en ce même jour de Noël, le 25 décembre 1890, à Notre-Dame. »

 

Ecclesia, Lectures chrétiennes, Paris, No 1, avril 1949, p. 53-58.

Poème de l'un de nos adhérents, Claude-Henri Rocquet, pour Noël 2013.

 

NOËL DU ROYAUME

 

L’empire avait la forme de Babel.

Il pesait lourd sur la terre comme une meule

Et la terre étouffait sous le poids de la roue,

De cette pierre écrasante, l’empire.

Elle souffrait dans la tenaille et le carcan.

Malgré les dieux, l’humanité se sentait seule.

Il lui manquait un père, un ami, dans le ciel.

Il nous manquait un fils plus humain que nous-même.

Il nous manquait une parole, son mystère.

Un césar succédait à un autre césar.

Il y avait toujours une province qu’il fallait

Ajouter à la province la plus lointaine

Comme l’avare dans sa cave tasse un autre sac

Et puis cet autre encore, il reste assez de place.

Quand viendra l’heure de ton dernier souffle,

Que feras-tu de ton trésor de boue ?

Les forgerons forgeaient plus de cuirasses que de socs

Et les charrons fabriquaient plus de chars que de charrues

Et de charrettes pour les moissons et les noces.

Quand venait la famine chez les paysans,

Ils s’enrôlaient soldats sous le casque et l’épée,

S’il faut tuer pour vivre, nous tuerons, comme à la chasse.

C’était bientôt, plus loin, là-bas, d’autres famines.

Et des révoltes qu’il fallait juguler par le sang.

On saluait aux carrefours le bronze des César

Ou la pierre, le marbre, de leurs simulacres.

Nous vivions des malheurs et vivions des bonheurs.

Que manquait-il ? Il nous manquait la joie.

Il nous manquait de ne pas être plus que nous ne sommes.

Ne vivons-nous que pour un jour cesser de vivre ?

Ne sommes-nous que cette haleine fugitive

Et le temps d’un regard qui s’étonne et s’éteint ?

Ne sommes-nous que cette âme captive

De l’ombre ? Ô cœur, mon cœur, comme tu m’es lointain !

Alors Dieu vint parmi nous, se fit homme.

Il fut pour nous le chemin et la voie,

La vérité, la vie, et cette main tendue

Comme la main qui sauve un enfant qui se noie.

Il nous rendit la lumière perdue

Depuis le premier jour au sortir du jardin.

Dieu voulut parmi nous se faire fils de l’homme.

Ce fut, un jour de neige, à la fin de décembre

En un lieu dit hameau de Bethléem,

Quelque bourgade obscure et très pauvre de Palestine,

Et tandis que César Auguste dénombrait,

Les inscrivant de son encre latine,

Un à un, en tout lieu, la foule des vivants

Comme un pêcheur lance la nasse dans l’étang.

L’empire doucement se changeait en Royaume.

 

HOMMAGE DE VERLAINE À LA SAINTE-VIERGE (Sagesse, 1881)

 

Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.

Tous les autres amours sont de commandement

Nécessaires qu'ils sont, ma mère seulement

Pourra les allumer aux coeurs qui l'ont chérie.

...

 

Et comme j'étais faible et bien méchant encore,

Aux mains lâches, les yeux éblouis des chemins,

Elle baissa mes yeux et me joignit les mains,

Et m'enseigna les mots par lesquels on adore.

...

 

Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie,

Siège de la Sagesse, et source des pardons,

Mère de France aussi, de qui nous attendons

Inébranlablement l'honneur de la Patrie.

 

Mèrte immaculée, amour essentiel,

Logique de la foi cordiale et vivace,

En vous aimant qu'est-il de bon que je ne fasse,

En vous aimant du seul amour, Porte du ciel ?

 

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POÈME À LA VIERGE

 

Heures à l'usage de Chartres, 1501

A TOY ROYNE DE HAULT PARAGE

A Toy Royne de hault parage
Dame du Ciel et de la Terre
Me viens complaindre de l'outralge
De lennemy qui me fait guerre ;
Mon povre cuers au corps me serre
La chierre Dame, secourés-moy
Car je ne sçay où confort querre
Vierge, si je ne l'ay de toy.

De Prosper JARDIN

 

LES AJONCS

 

Jusqu'au coeur du granit prolongeant leurs racines,

Tiges tenaces, drues, hérissées d'aiguillons,

Croissent les ajoncs fiers, immenses bataillons,

Couvrant la lande au loin que saignent les ravines,

 

Issus d'un sol plus dur que les roches alpines

Où la charrue jamais ne trace ses sillons.

Pourtant avec Avril un vol de papillons

S'est posé, dirait-on, sur les rudes épines,

 

Essaim tout frémissant au souffle du printemps

Et la lande morose a changé de visage,

Ses sombres flots mêlés à leurs ors éclatants.

 

Un mois par an le pâtre en ce pays d'Armor

Voit du sol jusque là malveillant et sauvage

Surgir la fleur d'ajonc, divin sourire d'or.

 

Avec nos remerciements au général Patrick Jardin

ANGLOMANIE

                           Qui sait que le mot glamour vient de la déformation de "grammaire"?

                                                             Mickaël Fonton, Valeurs Actuelles du 31 mai 2012

A force d'imbiber sa langue avec de l'orge

l'Anglais souffre à jamais d'un défaut de la gorge.

Pourquoi dire best of et non "morceaux choisis",

Vous seriez au moins sûrs d'être en tous points compris.

En termes de théâtre, avec vos camarades,

Ne dîtes pas voix off, mais "à la cantonade",

Et si vous nous parlez dans les règles de l'art,

N'allez pas au drugstore, mais entrez au" bazar".

 

Ce n'est pas au snack bar, mais à la "brasserie",

Que vous assouvirez votre heureuse pépie!

Le choix que vous voulez, ce n'est pas un casting,

Ces emplettes d'été, ce n'est pas du shopping.

Passez-vous de pin-up, montrez des filles douces,

Ignorez les start-up, parlez de "jeunes pousses".

Le show-bizest un "art du spectacle" oublié!

Refusez cross-over: c'est un chassé-croisé.

Mais je pardonne tout à la vieille Angleterre,

Puisqu'elle écrit glamour pour nous dire "grammaire"!

Daniel Ancelet