6 JANVIER 2012 : VIe CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE JEANNE.

 

Il y a de nombreuses manières d’aborder la vie de Jeanne d’Arc. Cependant, en ce six centième anniversaire de sa naissance, choisissons de mettre l’accent, non pas sur ses succès militaires qui, bien que magnifiques, sont du passé, mais sur l’exemplarité de sa vie intérieure, qui perdure aujourd’hui, en soulignant l’héroïcité de ses vertus et ses victoires sur elle-même. Ceci oblige, au fur et à mesure du récit de sa vie remplie de l’amour de Dieu, à dénoncer les légendes qui, pour la discréditer, ont encore cours à son sujet : sa prétendue lignée de sang noble ou royal, sa supposée naissance à Paris, sa présumée entrevue avec Charles VII, la veille d’être reçue par lui dans la salle du château, son supplice apparent où une autre personne aurait été brûlée à sa place, sa survivance après Rouen en la personne de Claude-Jeanne des Armoises. De toutes ces inventions, il faut montrer la fausseté, preuves à l’appui.

 

Jeannette, fille de Jacques d’Arc, est née en Lorraine, le 6 Janvier 1412, à Domremy, (Domnus Remigius) : Monsieur (saint) Remy[1]. Ce village porte donc le nom de l’évêque de Reims qui baptisa Clovis. Comme Dieu fait bien les choses ! C’est dans ce village dédié à cet illustre saint évêque que va naître celle qui permettra le sacre de Charles VII à Reims ! Jeanne est la quatrième enfant de la famille, après deux fils et une fille. Belle, bien faite, robuste et saine, d’après les témoignages, elle n’en portait pas vanité.

 

            On cite sans cesse cette légende que Jeanne ne serait pas née à Domremy, mais à Paris, à l’hôtel parisien de la rue Barbette qui appartenait à Isabeau de Bavière, où est né, le 10 novembre 1407, le dernier enfant de cette reine de France qu’elle aurait eu, dit-on, avec Louis d’Orléans, frère de Charles VI. Ce nouveau-né était un garçon à qui l’on donna, le jour de son baptême, le nom de Philippe, mais qui ne survécut pas. Ceux qui voulaient absolument que Jeanne soit de noble lignée, afin d’expliquer ses succès militaires, allèrent donc imaginer une substitution d’enfant : l’enfant aurait été en réalité une fille prénommée Jeanne à laquelle on substitua un garçon mourant ou mort. Rien que ça ! C’est la thèse de Pierre Caze, premier sous-préfet de Bergerac, sous le Premier Empire, un homme dont l’imagination fut certainement aiguisée par le bon vin de Bergerac, car il écrivit, en 1805, un ouvrage pour faire connaître sa version romancée des faits, et il récidiva en 1819.

 

            Malheureusement pour sa thèse, si Jeanne était née à Paris en 1407, elle aurait eu alors 22 ans quand elle quitta Domremy pour aller à Chinon, et non pas 17/18 ans, comme certains textes l’attestent. Après son premier interrogatoire à Rouen par l’évêque Cauchon, le 21 février 1431, un acte d’accusation fut établi un mois plus tard, le 26 mars. Il stipulait : «Art. IV : Il est vrai que la dite accusée fut et est originaire de la ville de Greux (paroisse-mère de Domremy. Ndlr), et qu’elle a pour père Jacques Darc[2] et pour mère Isabeau, son épouse, qu’elle a été élevée dans sa jeunesse jusqu’à l’âge de XVIII ans ou environ, au village de Domremy sur la Meuse, au diocèse de Toul, baillage de Chaumont-en-Bassigny, prévôté de Montéclair et Andelot. […] ».

 

            Jean d’Aulon[3] témoignera le 20 mai 1456 au procès de réhabilitation. Au sujet de la confrontation de Jeanne avec les docteurs de Poitiers, il donnera son estimation de l’âge qu’elle lui paraissait avoir quand elle fut interrogée par eux, en 1429 : « Il fut décidé d’interroger la Pucelle qui, pour lors, était de l’âge de seize ans ou environ […]» (R 156). La vérité semble se situer entre ces deux témoignages. En effet, si Jeanne est née en 1412, elle avait 17 ans en 1429 quand elle quitta Domremy pour aller à Vaucouleurs, puis à Chinon. Mais Jeanne, comme beaucoup de personnes à cette époque, ne connaissait pas son âge exact, sinon par ouï-dire. Aussi, à son procès, quand on lui demandera son âge, elle répondra : « À ce qu’il me semble, environ 19 ans » (C 38-41). En tout cas, l’âge de 22 ans apparaît inacceptable, sauf à changer beaucoup de dates dûment établies.

           

Revenons maintenant au procès, en son début :

-Jeanne, où êtes-vous née ?

     Jeanne : Je suis née en la ville de Domremy qui fait un avec la ville de Greux . C’est au lieu de Greux qu’est la principale église.

-Le nom de votre père et de votre mère ?

     Jeanne : Mon père s’appelait Jacques Darc et ma mère Isabelle.

-Où avez-vous été baptisée ?

     Jeanne : Dans l’église de Domremy.

 

Certes, à cette époque, les paroisses n’étaient pas obligées de posséder le registre des baptêmes. C’est pourquoi, l’enfant recevait plusieurs parrains et marraines qui pouvaient attester, s’il le fallait, du lieu, jour et année du baptême. Jeanne reçut ainsi plusieurs parrains et marraines. Écoutons ses réponses à son procès :

 

-Quels furent vos parrains et marraines ?

       Jeanne : « Une de mes marraines s’appelait Agnès, une autre Jeanne, une autre Sibille ; un de mes parrains s’appelait Jean Lingué, un autre Jean Barré. J’ai eu beaucoup de parrains et marraines, comme je l’ai entendu dire de ma mère ».

 

Si Jeanne avait été amenée discrètement de Paris à Domremy, il eût fallu que tout ce monde soit dans la confidence et dans le mensonge, en premier le curé du village de Domremy qui l’a baptisée, Maître Jean Minet. Il eut fallu aussi que ce secret soit bien gardé par les habitants et leurs descendants jusqu’en 1805 où, enfin, Monsieur Pierre Caze découvre le pot aux roses, 400 ans après. Bravo, M. Caze ! Mais, là encore, pour la confusion de Monsieur Caze, on a un premier document royal qui mentionne le lieu de naissance de Jeanne. C’est une lettre de Charles VII, du 31 juillet 1429. Cette lettre de 1429 énonce clairement le lieu d’origine de la pucelle dans les termes suivants (L’orthographe a été modernisée) : « Nous avons octroyé et octroyons de grâce spéciale, par ces présentes, aux manants et habitants des ville et village de Greux et Domremy, au dit baillage de Chaumont en Bassigny, dont la dite Jeanne est native, qu’ils soient dorénavant francs, quittes et exempts de toute tailles, aides, subsides et subventions mises ou à mettre au dit Baillage […] ».

 

            Si Jeanne était la fille d’Isabeau de Bavière et de Louis d’Orléans, elle serait donc la demi-sœur de Charles VII. Celui-ci aurait-il manqué de le faire savoir ? A cette époque, on ne cachait pas la bâtardise. Elle n’avait rien d’infamant au Moyen-Âge. Et pourquoi Charles VII exempterait-il ainsi de tout impôt le lieu de naissance de Jeanne si elle était née à Paris ? Pour conclure, car on ne peut donner ici toutes les preuves, au risque de lasser, on citera l’acte d’anoblissement de Jeanne, donné à Mehun-sur-Yèvre, par Charles VII, le 29 décembre 1429, et expédié à la Chambre des comptes, le 16 janvier 1430 :

 

« Charles, roi des Français, pour perpétuelle mémoire.

«  Notre but est d’exalter l’effusion des grâces éclatantes que la divine Majesté nous a départies par le signalé ministère de notre chère et aimée Pucelle, Jeanne Day[4] de Domremy, du baillage de Chaumont […]. Nous avons anobli cette même pucelle et, en son honneur et considération, Jacques Day, du dit Domremy, son père ; Isabelle, sa mère, femme du même Jacques ; Jacquemin, Jean et Pierre Pierrelot Day, ses frères ; toute sa parenté et lignage, toute leur postérité masculine et féminine, née et à naître en légitime mariage. […] ».

 

            Autre légende : Jeanne ne serait pas une femme, mais un homme ! Parmi les théories les plus fumeuses, une d’entre elles prétend que l’on aurait brûlé une autre personne à la place de Jeanne, pour que cela ne se sache pas. Curieux, non ? Car l’évêque Cauchon aurait eu alors tout intérêt à ce que cela se sache pour montrer que Jeanne était une menteuse en disant qu’elle était une femme. Ceux qui professent de telles élucubrations n’ont visiblement pas lu les documents de l’époque. En effet, Jean Pasquerel[5] relate qu’après son interrogatoire par les docteurs de Poitiers, elle fut examinée par des femmes : Jeanne de Preuilly et Jeanne de Mortemer (toutes deux faisant partie de la suite de Yolande d’Aragon, reine de Sicile, belle-mère du roi), pour savoir « si elle était un homme ou une femme (déjà !), et si elle était corrompue ou vierge. Elle fut trouvé femme et vierge » (R 175).

On a aussi le témoignage de Jean d’Aulon : « Le rapport fait au roi par les maîtres, cette pucelle fut remise entre les mains de la reine de Sicile, mère de la reine, notre souveraine dame, et à certaines dames étant avec elle, par lesquelles cette pucelle fut vue, visitée et secrètement regardée et examinée dans les parties secrètes de son corps. […], la dame dit et relata au roi qu’elle et ses dames trouvaient certainement que c’était une vraie et entière pucelle en laquelle n’apparaissait aucune corruption ou violence. J’étais présent quand la dame fit son rapport » (R 156).

 

Revenons à l’enfance de Jeanne, à Domremy. Jeanne avait un aperçu des difficultés du pays de France en voyant ce qui se passait à Maxey, village passé aux Bourguignons, et situé à 2 kms de Domremy, de l’autre côté de la Meuse. Les querelles étaient fréquentes entre les enfants de ce village, alliés aux Godons (surnom donné aux Anglais qui poussaient Henri VI enfant, fils de Henri V, à monter sur le trône de France), et les partisans des Armagnacs, défenseurs de Charles VII, dauphin de France. À son troisième interrogatoire public, le samedi 24 février 1430, Jeanne témoignera de ces querelles : « J’ai bien vu les enfants de Domremy qui s’étaient battus avec ceux de Maxey en revenir plusieurs fois bien blessés et bien sanglants » (C 64-65).

 

Jeanne assistait chaque matin à la messe et communiait souvent. Elle se confessait régulièrement. Quand elle était aux champs, en été, et que les cloches sonnaient complies, elle s’agenouillait pour se recueillir. Elle aimait prier la Sainte Vierge dans divers oratoires et y goûtait une grande douceur. En plus de N.D. de Domremy, elle aimait aller, le samedi et les jours spécialement dédiés à la Vierge Marie, seule ou avec d’autres jeunes filles, à la chapelle de l’Ermitage de N.D. de Bermont, à 3 kms au nord de Domremy. Elle était charitable envers tous. Le peu d’argent qu’elle avait, elle le donnait en aumônes.

 

Or un jour d’été, au milieu de la journée, Jeanne, âgée de 13 ans, se promenait dans le jardin de son père (on peut encore le visiter aujourd’hui à Domremy), lorsqu’elle entendit une voix près de l’église. C’était Saint Michel Archange que la France, comme d’autres pays, a comme protecteur (Jeanne, à son procès, dira de lui qu’il était entouré d’une légion d’anges). Il lui parla simplement : « Sois sage et bonne enfant, va souvent à l’église. Il faut que tu quittes ton village et ailles en France ». Saint Michel se présente à ses yeux sous la forme corporelle d’un beau chevalier, et lui prédit la venue de deux saintes qui lui diront alors sa mission exacte de la part de Dieu le Père. Les deux saintes viennent en effet et lui parlent : «Fille de Dieu, fille de Dieu, il faut que tu quittes ton village et ailles en France. Prends l’étendard de par le Roi du ciel. Dieu t’aidera. Va ! Tu dois conduire le dauphin à Reims afin qu’il y reçoive son sacre » !

 

Saint Michel ordonne alors : « Fille de Dieu, va trouver le capitaine de Baudricourt à Vaucouleurs afin qu’il te donne une escorte et te conduise auprès du gentil dauphin. » À partir de ce jour, Jeannette, qui va bientôt porter définitivement le nom de Jeanne, appellera souvent Charles VII par ce nom de « Gentil Dauphin »[6]. Avec l’aide de son oncle Laxart, elle rencontra le capitaine de Baudricourt. Après plusieurs refus, ce fier capitaine, à qui elle révéla la défaite des Armagnacs dans une bataille près d’Orléans, le 12 février 1429, avant que les messagers n’arrivent à Vaucouleurs pour confirmer cette défaite (« bataille des harengs »), accepta enfin de l’amener près de Charles VII. C’est alors que l’on s’interrogea dans l’entourage de Baudricourt « sur le bon séant d’amener une jeune fille en habit de paysanne au milieu d’hommes de guerre, à travers une campagne peuplée de brigands et de violeurs ». Jeanne, mise au courant, s’écria : « Volontiers, prendrai habit d’homme. » On fit une collecte à Vaucouleurs, et Jeanne, revêtue de chausses et d’un pourpoint masculins, dit adieu à toute la population qui s’était réunie pour ce départ, et pleurait d’émotion.

Voilà la Pucelle partie vers Chinon, avec une escorte de quelques hommes dont le chevalier Jean de Metz et l’écuyer Bertrand de Poulengy qui lui resteront toujours fidèles par la suite. Nous sommes en février 1429. Arrivée à l’église Sainte-Catherine de Fierbois, Jeanne dicta une lettre pour le dauphin où elle lui disait « qu’elle avait parcouru 150 lieues pour venir à lui et lui porter secours et savait beaucoup de bonnes choses le concernant, et qu’elle connaîtrait bien le roi parmi tous autres »[7]. Enfin, le 23 février 1429 à midi, après 11 jours de chevauchée, Jeanne atteignit Chinon. Et deux jours après son arrivée, elle fut introduite au château par le duc de Vendôme et conduite auprès du Dauphin. Celui-ci se cachait au milieu des seigneurs. Elle alla droit vers lui. Le chroniqueur du roi, Jean Chartier[8], raconte dans sa chronique de la Pucelle comment cela s’est passé. On a laissé le texte dans le français de l’époque pour en garder la saveur :

« Et celle-ci venue devant le roy fist les inclinations et révérences acoustumées de faire au roy comme si elle eust esté nourrie en sa cour. Et en sa soumission et salutation dist, en adressant sa parolle au roy : "Dieu vous donne bonne vie, gentil roy." Malgré qu'elle ne le congnoissoit pas et qu'elle ne l'avoit jamais vu, et qu'il y avoit plusieurs seigneurs pompeusement et richement vestuz et  mieux que ne l'estoit le roy. C'est pourquoi il respondit à ladite Jehanne : "Je ne suys pas celui qui suys roy, Jehanne." Et en luy monstrant l'un des seigneurs, dit : "Voilà le roy !" A quoy elle respondit : "A ! non ! gentil prince, c'estes vous, et non autres".

Charles VII était donc vêtu simplement sans aucune distinction royale. Elle s’agenouilla pourtant devant lui et lui dit : « Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle. Par moi, le Roi des cieux vous mande que vous soyez sacré et couronné en la ville de Reims, et serez le lieutenant du Roi des cieux qui est roi de France »[9]. Le dauphin, l’ayant prise à part, elle lui révéla trois choses qu’il avait dites en secret à Dieu, seul devant le tabernacle dans sa chapelle privée. Et Charles VII crut en elle. Il est donc faux d’affirmer, contre toute vérité, que Jeanne aurait déjà eu une entrevue avec Charles VII la veille. En ce cas, nous tomberions dans la complicité mensongère. Pourquoi, en effet, le roi se déguiserait-il le lendemain en simple écuyer au milieu de 300 chevaliers (nombre attesté par Jeanne à son procès), dont certains sont vêtus royalement, surtout l’un d’entre eux que Charles VII désignera à Jeanne comme étant le roi ? Et aussi, pourquoi Jeanne aurait-elle attendu cette entrevue avec le roi entouré de sa cour pour lui donner le contenu de la promesse qu’il avait faite à Dieu devant le tabernacle de sa chapelle, plutôt que de le faire la veille, s’il était vrai qu’elle fut reçue auparavant par le roi en privé, avec seulement quelques conseillers ? Surtout qu’il était de l’intérêt de la Pucelle de convaincre tout de suite le roi de l’authenticité de sa mission, et donc dès sa première rencontre avec lui. Si cette entrevue privée était exacte, c’est donc la veille qu’elle aurait immédiatement divulgué le secret au roi et non le lendemain.

 

Cette légende d’une réception privée avant la grande entrevue perdure encore aujourd’hui. Non seulement, elle met en doute la vérité d’une Jeanne inspirée par Dieu pour reconnaître Charles VII mais, en plus, elle fait du dauphin l’auteur d’un scénario trompeur dont le but aurait été d’imposer Jeanne à son entourage, en prouvant qu’elle était bien envoyée par Dieu. Et Jeanne se serait prêtée à cela ?

 

L’erreur de croire qu’elle fut reçue par le roi dès son arrivée vient certainement d’une mauvaise interprétation de la déclaration faite, au procès de réhabilitation[10], par Sire Simon Charles, personne noble et savante, président à la Chambre des comptes, citation ici résumée : dès son arrivée à Chinon, il y eut délibération au conseil pour savoir si le roi l’entendrait ou non. On lui demanda donc pourquoi elle était venue et ce qu’elle demandait. Elle n’en voulut rien dire sans avoir parlé d’abord au roi. (Cela nous montre déjà que le roi n’était pas présent à cette réunion du conseil quand ses membres interrogèrent Jeanne, certainement à l’endroit où elle se tenait). Le roi ne l’entendit pas de cette oreille et Jeanne fut contrainte de par le roi [11]à dire la raison de sa mission. Mais elle y fut contrainte de par le roi, c'est-à-dire selon la volonté du roi qui exigea donc qu’elle le dise à ses conseillers, par lui mandatés. Simon Charles ne dit pas qu’elle y fut contrainte par le roi présent à la réunion préparatoire.

 

En fait, Charles VII, dont on connaît la prudence, n’a pas voulu se ridiculiser, et avant de la recevoir dans la grande salle du château, il voulait au moins que ses conseillers obtiennent de Jeanne qu’elle lui donne la raison de sa venue. Et même encore, rapporte Simon Charles, il hésitait à la recevoir, et il la fit d’abord interroger par des clercs et hommes d’Église présents à Chinon et Charles VII consentit enfin à lui accorder une audience quand il apprit par un courrier de Robert de Baudricourt tous les dangers que Jeanne avait accepté de courir pour venir à lui et lui parler, et que c’était miraculeux, à ses yeux, qu’elle soit arrivée auprès de lui. Tous ces atermoiements occupèrent pleinement les deux jours où Jeanne attendit d’être reçue par le roi. L’entrevue fut enfin fixée au 25 février. Ce fut certainement à une heure tardive de la journée, car Jeanne dira à son procès que c’était « à une haute heure » et qu’il y avait « une cinquantaine de torches allumées ».

 

Beaucoup ont essayé et essayent encore de diminuer la sainteté de Jeanne d’Arc, ou pire de la faire passer pour une illuminée, une ambitieuse qui aurait été la complice de Charles VII. Une chose est sûre : elle n’était pas sa maîtresse ! En effet, on a vu plus haut que sa virginité a été dûment attestée. Quant à être la complice du dauphin, on voit mal Charles VII prenant la décision de se faire aider par une jeune fille de la campagne, sans aucune instruction, ne sachant ni lire ni écrire, en espérant que sa seule virginité, ajoutée à l’effet d’un « coup médiatique », suffirait à enthousiasmer les foules et les soldats au point de lui faire renvoyer les Anglais hors de France ! Voltaire, il est vrai, dans son ouvrage La Pucelle d’Orléans, la considérait comme le résultat « de l’adresse des ministres et des courtisans qui surent susciter une servante d’auberge» ! Mais pouvait-on demander à Voltaire de croire en la mission divine de Jeanne, elle qui aimait tant le Christ et l’Église et avait dit à son procès : « M’est avis que le Christ et l’Église, c’est tout Un » ? Voltaire, on le sait, était très critique envers l'Église catholique.

 

En fait, Charles VII, poussé par ses courtisans à la renvoyer, fait tout le contraire, ce qui montre sa probité. Il décide de la faire comparaître devant le parlement et l’université de Poitiers constituée de nombreux clercs. Ce conseil, présidé par Regnault de Chartres[12], à la demande du roi, conclura « qu’il ne fallait pas rejeter la Pucelle qui se disait envoyée de Dieu pour donner secours au roi et qu’il ne fallait point l’empêcher d’aller à Orléans afin qu’elle y montrât le signe divin de ce secours, de peur de répugner à l’Esprit-Saint, mais qu’on devait l’y faire conduire honnêtement en espérant en Dieu »[13].

 

En réalité, une fois levé le siège d’Orléans et le dauphin sacré roi de France à Reims, Jeanne dérangera plutôt qu’elle ne réjouira celui qui lui devait tant. Car à partir de ce sacre, Charles VII aurait préféré composer avec tous ses ennemis, plutôt que de se battre pour conquérir de nouveaux territoires, d’où de nombreuses trêves qu’il ne cessait de renouveler avec les Bourguignons. Tout son tempérament faible le portait à la diplomatie plutôt qu’à la guerre. Cependant, après Reims, il tint à garder la Pucelle auprès de lui. Mais Jeanne, ayant réalisé la mission que Dieu lui avait demandé d’accomplir, voulait retourner à Domremy auprès de sa mère. Finalement, résignée, elle obéira à son roi.

 

Pour la défense de Charles VII, il faut dire qu’il était débonnaire et miséricordieux envers ses ennemis et prompt à pardonner. Il était intelligent avec un tempérament sensible mais profondément indécis, indolent, recherchant la facilité d’une vie confortable sans trop de problèmes. Ce trait de caractère l’amena à des contradictions dans son action, qui furent souvent défavorables envers la Pucelle et entrava sa mission, surtout après Reims. Ce jugement semblerait plus honnête que le terme de « débile » souvent employé lorsqu’on parle de Charles VII.

 

Chaque jour, Jeanne va devoir intervenir contre les plans des conseillers du roi qui, eux aussi, lassés de la guerre, voudraient maintenant signer la paix. Cela nous montre à quel point ce n’est pas Charles VII qui mène le jeu. Ce n’est donc pas lui qui est allé chercher Jeanne pour l’avoir auprès de lui. Est-ce Jeanne qui, maintenant, insisterait pour rester auprès du roi ? Non, après Reims, c’est Charles VII qui la retient auprès de lui. Espère-t-elle, du fait de cette obligation, obtenir du roi quelques avantages temporels ? Pour répondre à cela, on sait que Jeanne, durant toute sa mission, n’a demandé aucun avantage financier pour elle-même ou sa famille, aucun rang, aucune terre, aucun titre de noblesse. Et pourtant, comme cela lui aurait été facile ! Après le sacre, Charles VII se montre très libéral. La Trémouille et Guy de Laval sont faits comtes, Rais est fait maréchal de France, La Hire, qui est capitaine dans l’armée, reçoit le comté de Longueville.

 

Nul doute donc que Charles VII ait proposé autant ou mieux à celle qui avait mené l’armée à la victoire. Mais Jeanne aura refusé tout honneur pour elle. Elle ne cherche que la gloire de Dieu et l’honneur de son Christ. Quel désintéressement ! Elle n’agit que pour Dieu, pour accomplir sa volonté. Plus tard, Charles VII l’anoblira sans qu’elle ait rien demandé. Ce sera surtout pour lui faire oublier l’inaction dans laquelle il la confine. Jeanne aurait préféré mille fois voir le roi reprendre les armes pour aller libérer Paris ; elle n’a rien à faire de cet anoblissement.

 

Là encore, les opposants de Jeanne d’Arc disent qu’elle était une affabulatrice, une malade psychiatrique en pleine bouffée mystique délirante, qu’elle a cru entendre des voix, qu’elle s’est persuadée que ces voix étaient de Dieu et qu’elle les a suivies jusqu’au bout ! Jeanne aurait-elle alors été une fausse voyante, un instrument du démon, comme a voulu le démontrer, sans y parvenir, l'évêque Cauchon, assujetti aux Anglais et ordonnateur du procès fait à la Pucelle ? Certes, elle était vierge, mais cela n’empêchait pas l’orgueil. Les religieuses de Port-Royal n’étaient-elles pas pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons ? Donc, Jeanne d’Arc, disent ses détracteurs, aurait été mue par l’orgueil, un très grand orgueil. Ses voix, ce serait de la mégalomanie : pour se mettre en valeur, elle se serait autosuggestionnée, le démon éclairant son esprit pour lui faire reconnaître le roi à Chinon ! Satan aurait continué à l’aider par des locutions intérieures qu’elle aurait confondues avec les voix de sainte Marguerite et de sainte Catherine… etc.

 

Malheureusement pour les adeptes d’une Jeanne possédée, ses voix ne la trompèrent pas quand elles lui prédirent l’avenir. Or ni les malades mentaux, ni les possédés du démon ne connaissent réellement l’avenir. Seul Dieu connaît l’avenir. Or le vendredi 6 mai 1429, ces voix lui ont prédit qu’elle serait blessée à la poitrine au-dessus du sein. Elle l’annonça avant le combat à Jean Pasquerel, son confesseur : « Levez-vous de grand matin. Ne me quittez pas, car demain j’aurai beaucoup à faire. Il sortira du sang de mon corps et je serai blessée au-dessus du sein ». Ces voix lui prédirent également sa capture et elle les supplia alors de ne pas la maintenir trop longtemps prisonnière.

 

Par contre, si Jeanne a obéi à Dieu, tout devient clair : son présumé fanatisme n’est que de l’obéissance ; son impatience : de la promptitude à servir son Dieu ; son habit d’homme : une protection de sa virginité car elle vivait parmi des soldats ; ses prédictions : ce que lui révélèrent les voix de saint Michel Archange, sainte Catherine et sainte Marguerite ; sa patience lors du procès : l’humilité face au dessein de Dieu à son égard ; son absence de critique envers le roi Charles VII qui l’a abandonnée : son immense charité qui accepte et pardonne tout ; ses réponses enflammées, nettes, claires et sans répliques possibles durant son procès : l’aide de l’Esprit-Saint.

 

Que dire de l’abjuration passagère de Jeanne d’Arc que certains réfutent ? Lors de la scène publique au cimetière de l’abbaye de Saint-Ouen, en présence d’une troupe de soldats anglais, se tenaient sur une estrade l’évêque Cauchon, le Cardinal d’Angleterre, Henri Beaufort, évêque de Winchester, et de nombreux autres évêques, en face de Jeanne placée sur une autre estrade. Il y avait aussi 27 maîtres docteurs, licenciés et bacheliers, de multiples assesseurs et huissiers, le recteur émérite de l’Université de Paris, Guillaume Erard, qui sommera Jeanne d’abjurer devant une grande foule de spectateurs, dans laquelle se trouvait même le bourreau avec sa charrette ! Etrangement, le but de la prédication d’Erard est surtout d’attaquer Charles VII devant les Anglais. C’est pourquoi, à la fin, il dira à Jeanne : « Je te dis que ton roi est hérétique et schismatique ». Alors, la réponse de Jeanne à Erard sera la plus noble et la plus charitable que l’on puisse faire. Elle va défendre ce roi qui, après Reims, l’a abandonnée à l’inactivité, a préféré écouter son Conseil plutôt qu’elle, ne lui a donné qu’un petit corps d’armée pour attaquer Compiègne, ce qui lui a valu en partie d’être faite prisonnière, n’a plus donné de nouvelles de lui après son arrestation, alors qu’il lui devait son sacre à Reims.

 

Jeanne va répondre magnifiquement : « Sire, ma révérence gardée, je vous ose bien dire et jurer sous peine de ma vie, que mon roi est le plus noble et sage chrétien qui soit au monde et qui, mieux, aime la foi et l’Église, et n’est point tel que vous le dites ». Admirable ! Puis, une fois encore, elle en appelle au pape, elle demande à être conduite à lui, mais c’est peine perdue… La cause est entendue : sa mise à mort est expressément voulue par les Anglais qui reprochent à l’évêque Cauchon de faire traîner les choses. Ils ont même peur qu’elle leur échappe ! Pour l’évêque de Beauvais qui veut respecter les formes, il sait qu’il leur donnera satisfaction à court ou moyen terme. Certains ont dit qu’à la fin, il voulait donner une chance à Jeanne d’avoir la vie sauve, du fait d’un tardif remord de conscience. Rien ne le prouve dans les faits.

 

Ensuite, alors que l’évêque Cauchon lui lisait la sentence de mort, il semblerait qu’elle ait eu une défaillance momentanée et ait renié ses voix pour échapper à la mort qui devenait imminente. En effet, elle a interrompu l’évêque pour déclarer exactement : « Puisque les gens d’Église décident que mes apparitions et révélations ne sont soutenables ni croyables, je ne les veux croire ni soutenir : du tout, je me rapporte à vous et à la sainte Église ». On a dit que c’était parce qu’elle ne pouvait supporter l’idée d’être brûlée : « J’aimerais mieux être décapitée sept fois que d’être brûlée », avait-elle dit. Les ennemis de Jeanne, qui l’entouraient, la pressaient alors de signer un document dans le sens de sa déclaration. Ils emportèrent sa décision en lui faisant la promesse qu’on la mettrait dans une prison ecclésiastique gardée par des femmes, ce qu’elle désirait le plus ardemment car elle avait été maltraitée dans les prisons anglaises.

 

Le clerc Massieu, qui était huissier, lui lit un texte d’abjuration qu’elle signe anormalement d’une croix, car elle savait écrire son prénom à cette époque. Ce qui est certain est que le document qu’elle a signé n’est pas celui qui sera mis dans le dossier. Gabriel Hanotaux, de l’Académie Française, dans son livre Jeanne d’Arc (1911), après avoir rappelé que Massieu, au procès de réhabilitation, a dit nettement : « Je suis absolument sûr que la cédule lue à la Pucelle n’était pas celle dont il est fait mention au procès ; car celle-ci est différente de celle que j’ai lue à Jeanne et qu’elle a signée », pense que « si l’abjuration lue par Massieu n’est pas celle qui a été inscrite au procès verbal, tout est suspect de fraude », et refuse de croire que Jeanne ait abjuré. Il y a donc ceux qui pensent que Jeanne a momentanément abjuré, comme Quicherat, et ceux qui, comme Hanotaux, soutiennent qu’elle n’a pas abjuré. Ce qui apparaît certain dans les débats de cette horrible journée, lesquels furent rapportés au procès de réhabilitation, est que tout fut fait pour tromper la Pucelle et l’accabler dans une hypocrisie sans bornes, qui aurait pu avoir raison de sa santé mentale, si Dieu ne l’avait soutenue.

 

Voyant très vite qu’elle avait été trompée par l’évêque Cauchon, puisque remise dans les prisons anglaises, elle reprendra ses habits d’homme et sera déclarée relapse[14]. Elle se soumet alors totalement à la volonté de Dieu, obéissante jusqu’à cette mort qu’elle jugeait ignominieuse. Ses dernières paroles : « Mes voix ne m’ont pas trompée, mes voix étaient bien de Dieu ! … Jésus… Jésus… », montrent bien à quel point elle n’a jamais, en conscience, renié ses voix.

 

Il faut ici réfuter une légende que des romanciers, voulant se faire un nom sur le dos de la Pucelle, répètent à loisir, sans aucun souci de la vérité et malgré des preuves contraires irréfutables : Jeanne ne serait pas morte sur le bûcher, mais une autre à sa place, et elle aurait été mariée ensuite à un noble, Robert des Armoises, chevalier, seigneur de Tichiemont dont elle eut deux fils, alimentant ainsi le mystère de la fameuse Jeanne des Armoises. Il convient de voir cela de près :

 

D’abord, la femme qui épousa Robert des Armoises ne s’appelait pas Jeanne mais Claude. Elle ne l’a jamais caché. D’où vient alors qu’elle se faisait passer pour Jeanne la Pucelle avant et après son mariage ? D’avoir ainsi changé son prénom pour se faire passer pour une autre, montre déjà que nous avons affaire à une intrigante. Elle arrivait, c’est certain, dans un contexte favorable. Il faut savoir, en effet, que la rumeur prête des survies à beaucoup de personnages historiques importants qui sont bel et bien morts. Cela fait partie de l’imaginaire. On l’a même dit pour le Christ ! Cette erreur de croire qu’on ait pu mettre quelqu’un d’autre à la place de Jésus sur la Croix, vient non seulement d’un refus d’envisager sa mort, mais aussi d’une méconnaissance de la charité du Christ qui n’aurait jamais accepté que même le pire de ses ennemis sur la terre soit condamné à sa place. Notre Sauveur, venu sur terre donner sa vie pour sauver l’humanité, n’allait pas se défiler devant la Croix, tout en faisant croire aux hommes qu’il y était tout de même allé !

 

Jeanne d’Arc, en parfaite imitatrice du Christ, n’aurait jamais voulu qu’une prisonnière, voire même une authentique sorcière meure à sa place. En effet, pour cela, il lui aurait fallu se prêter à une odieuse mystification. Or Jeanne, comme tous les saints, fuyait le plus petit mensonge. Imaginons toutefois, pour défaire jusqu’au bout les arguments de nos contradicteurs, que Jeanne d’Arc, effrayée par cette mort atroce, ait cédé à une panique extrême et ait finalement accepté qu’une personne condamnée à mourir au bûcher pour des actes criminels, prenne discrètement sa place, puisque de toute façon, cette criminelle devait mourir. Acceptons même, le temps de prouver que c’est une absurdité, que pour échapper à son supplice, Jeanne ait accepté de se prêter à cette comédie mensongère. Après tout, elle n’était pas sans péché, comme le Christ. Quelle réponse apparaît ?

 

Nous répondrons que les autorités religieuses romaines ont travaillé longtemps sur son dossier de béatification puis de canonisation. Si elles avaient eu le moindre soupçon sur la mort réelle de Jeanne à Rouen, et avaient même pensé un instant qu’elle avait pu y échapper et avoir vécu ensuite plusieurs années, l’Église, dans le doute, ne l’aurait jamais canonisée comme vierge en 1920 ! Il faut rappeler ici, pour les catholiques, que la canonisation engage l’infaillibilité du pape, car la proclamation d’une canonisation fait partie de son Magistère extraordinaire. Certes, il s’entoure de l’avis des cardinaux et des consulteurs. Quand, le 17 juin 1919, le pape Benoît XV posa la question préalable : « Étant donné l’approbation de deux miracles obtenus depuis que le culte de la bienheureuse Jeanne d’Arc a été concédé par le Siège apostolique, peut-on, en toute sécurité, procéder à la canonisation solennelle ? », il y eut un vote affirmatif et unanime de tous les cardinaux et consulteurs !

 

Rappelons que le procès canonique s’ouvrit le 2 novembre 1874 et se termina par la canonisation à Rome, le 16 mai 1920 : plus de 45 années d’examens, de réflexion, de pauses et de reprises ! Un temps qui a largement permis à « l’avocat du diable [15]» d’avancer tous les arguments contraires. Et, de tout cela, Jeanne est sortie grandie. Donc, si on est catholique, ce qui oblige d’être soumis au Magistère de l’Église, il faut accepter que Jeanne soit sainte et vierge. En ce cas, le cœur qui n’a pas brûlé dans le bûcher de Rouen est bien le sien. Par ailleurs, le fait qu’elle soit allée au bûcher, revêtue d’une cagoule, n’était pas destiné à dissimuler une substitution, comme certains le pensent. N’en était-il pas ainsi pour les condamnés à la peine capitale à cette époque ? Et, dans le cas contraire, l’évêque Cauchon et les Anglais n’ont-ils pas pu en décider ainsi pour Jeanne ? En effet, il n’aurait pas été bon que le peuple voie le visage lumineux de cette vierge sainte que ses ennemis disaient être possédée par le démon. Le contraste aurait été trop accablant pour les indignes persécuteurs.

 

Nous avons des témoignages précis sur le fait que le cœur de Jeanne ne se soit pas consumé. J’en emprunte un dans le livre de Régine Pernoud[16] : Jean Fleury, clerc du bailli et greffier, a déclaré que le bourreau lui avait rapporté « qu’une fois le corps brûlé au feu et réduit en cendres, son cœur était demeuré intact et plein de sang, et il lui fut dit de réunir les cendres et tout ce qui restait d’elle et de les jeter dans la Seine, ce qu’il fit ». On a aussi le témoignage du frère Isambart de la Pierre[17], homme au dessus de tout soupçon. Le texte est ici laissé dans son vieux français : « Aussitôt après l’exécution, le bourreau vint à moi et à mon compagnon, frère Martin Ladvenu, frappé et ému d’une merveilleuse repentance et terrible contrition, comme tout désespéré, craignant de ne jamais obtenir pardon et indulgence devant Dieu de ce qu’il avait fait à cette sainte femme ; et disait et affirmait que malgré l’huile, le souffre et le charbon qu’il avait appliqués contre le cœur de Jeanne, toutefois il n’avait pu aucunement consumer ni mettre en cendre ce cœur, de quoi était autant étonné comme d’un miracle tout évident ». On sait, par expérience, que Dieu accorde seulement à ses grands saints de tels miracles.

 

Mais alors, si Jeanne est bien morte sur le bûcher, qui était alors cette Claude-Jeanne des Armoises qui, pendant des années, a fait croire, avec succès, qu’elle était Jeanne d’Arc survivante ? On va en parler assez longuement car, aujourd’hui encore, il y a des adversaires résolus d’une Jeanne sainte et fidèle à sa vocation divine, qui ne croient ni aux témoignages écrits de l’époque, ni au jugement de l’Église catholique qui s’est manifestée par la voix de plusieurs Souverains Pontifes, dont le pape Benoît XV qui, en la canonisant, a engagé son infaillibilité.

 

Les lecteurs qui aiment cette sainte ont droit à la vérité sur la fausse Jeanne survivante ou, tout au moins, à des explications et à la réfutation d’erreurs manifestes. Encore dernièrement, en décembre 2011, sur la chaîne télévisée France 3, on a eu droit à cette légende remise au goût du jour. Certes, beaucoup de traces écrites manquent sur la vie de Claude des Armoises qui se faisait passer pour la vraie Jeanne d’Arc, mais on a tout de même quelques éléments. Cette odieuse tromperie risque d’empirer tout au long de l’année 2012, année du sixième centenaire de la naissance de Jeanne d’Arc. Mais, heureusement, elle sera contredite par tous les nombreux commentaires et ouvrages sérieux qui seront publiés à l’occasion de cet heureux événement.

 

Cette fausse Jeanne d’Arc s’appelait en réalité Claude. On remet en avant la mémoire de cette intrigante pour essayer de prouver que Jeanne d’Arc n’est pas morte sur le bûcher, mais a survécu et s’est mariée. Nous allons donc apporter ici les preuves contraires en faveur de la vraie Jeanne qui se faisait appeler la Pucelle pour montrer qu’elle était consacrée à Dieu pour toute sa vie. Elle voulait garder son cœur pour Dieu seul. Mais si Jeanne s’est mariée, sa promesse de rester vierge jusqu’à sa mort est ridiculisée.

 

Claude apparaît le 20 mai 1436 à la Grange-aux-Ormes, près de Saint-Privat. Elle est en habit d’homme et a toute l’allure de la vraie Jeanne d’Arc. Elle est venue en ce lieu pour parler à des Seigneurs de Metz. Le plus étonnant est que les frères de Jeanne d’Arc, Pierre et Jean du Lys, que Charles VII a anoblis, l’un comme chevalier, l’autre comme écuyer, ne tardent pas à la rejoindre à La Grange-aux-Ormes et la reconnaissent comme étant bien leur sœur ! Je pense personnellement que l’on est en présence d’un sosie de Jeanne d’Arc qui l’imite en tout et parfaitement. Ce qui fait qu’un de ses frères, Pierre, va aller lui-même la présenter aux Orléanais qui vont la reconnaître, eux aussi, ainsi que de nombreuses autres personnes qui ont connu Jeanne de son vivant.

 

En plus de sa ressemblance physique avec Jeanne, elle avait certainement une grande ingéniosité à en copier l’apparence, pour en arriver à être pratiquement conforme à l’original. Malgré tout, mis à côté de la vraie Pucelle, on aurait certainement vu la différence. Mais si l’extérieur de Claude des Armoises est très proche de celui de la vraie Jeanne, l’intérieur ne l’est pas. Claude aime la bonne chère : les dépenses qui sont notées sur les comptes d’Orléans de l’époque, montrent qu’elle ne cesse d’accepter vin, victuailles et invitations à dîner ! Elle est entrée dans la vie mondaine et facile. Et, surtout, on n’a pas une seule ligne de ses contemporains sur le fait qu’elle soit allée une seule fois entendre avec eux la messe en semaine, alors que la vraie Jeanne d’Arc y assistait chaque jour quand cela lui était possible, même pendant qu’elle menait la guerre. Jeanne survivante aurait-elle perdu sa ferveur religieuse cinq ans plus tard ?

 

Comment ses frères ont-ils pu continuer à croire en elle après tous ces témoignages en sa défaveur ? Que leur a-t-elle fait croire pour qu’ils acceptent le fait que, pendant cinq ans, elle ait pu laisser leur vieille mère[18] et eux-mêmes dans une peine immense, sans leur donner la moindre nouvelle, sans leur envoyer le moindre courrier ? Pourtant Claude savait, dès juillet 1436, envoyer des lettres aux seigneurs de France et même au roi ! Comment ont-ils pu accepter de la fausse Jeanne qu’elle ne les suive pas à Domremy ? Elle n’y est jamais allée, quoiqu’en dise Anatole France qui ne s’appuie sur aucun document existant. Comment ne lui ont-ils pas imposé de le faire ? Puisqu’ils croyaient tant en elle, pourquoi ne sont-ils pas allés chercher leur mère pour lui faire rencontrer cette Claude-Jeanne qui se disait sa fille ? Pourtant, cette mère âgée trouvera bien la force de venir avec ses deux fils au procès de réhabilitation de leur vraie sœur à Paris, en 1455. En l’état actuel des recherches, il n’y a pas de réponses satisfaisantes. Mais il est au moins aisé de voir quelle séduction, quelle emprise sur les autres, cette fausse Jeanne tenait de l’Adversaire de tout bien pour que ses frères passent au dessus de tout ce qui rendait évidemment impossible que cette femme soit leur sœur chaste, pieuse, discrète, réservée et sobre. Certes, beaucoup de gens, à cette époque, étaient prêts à croire que la sainteté de la Pucelle avait pu la faire échapper au supplice. Mais au-delà de ce terrain propice à la croyance en sa survivance, et de la ressemblance évidente de Claude-Jeanne avec Jeanne d’Arc, il n’est pas interdit de penser que cette intrigante ait exercé une véritable attirance sur les gens qu’elle voulait séduire.

 

Cet ascendant de Claude-Jeanne sur les personnes de son entourage semble être de l’ordre de la séduction car celui qui est dans le mensonge avéré est disciple de Satan. Le diable n’est-il pas appelé par le Christ : le père du mensonge ? N’est-ce pas cette connivence de longue date avec l’ennemi de la vérité qui a permis à Claude des Armoises d’oser sans vergogne se faire appeler Jeanne la Pucelle ou la Pucelle d’Orléans, avant et même après son mariage ? Et beaucoup la croyaient ! En tout cas, cette aventurière n’était pas qu’une bonne comédienne, elle envoûtait son monde. Intelligente, intuitive et rusée, comme toutes les grandes manipulatrices, elle a su éviter habilement d’être confrontée à la vraie mère de Jeanne d’Arc qui l’aurait démasquée. Il est faux de dire qu’elles se sont rencontrées. Aucun texte ne le dit.

Claude arrive en Lorraine huit mois après le traité de paix d’Arras, signé le 21 septembre 1435, qui scelle la réconciliation entre Armagnacs et Bourguignons et, surtout, un mois seulement après l’entrée à Paris des armées royales, le 13 avril 1436. Ainsi, celle qui va se faire reconnaître comme Jeanne d’Arc ne risque pas maintenant d’être arrêtée par les Bourguignons, et ne craint pas non plus que le bon peuple de France lui demande d’aller se battre pour libérer Paris. Maintenant que c’est fait, elle peut se livrer à son sport favori : escroquer beaucoup de gens grâce à sa ressemblance, son aplomb et ses pouvoirs paranormaux. En effet, pour arriver à ses fins, notre aventurière fait des prodiges : « L’inquisiteur de Cologne a cité à comparaître devant lui la fausse Jeanne […]. La fausse Jeanne aurait alors accompli, devant l’inquisiteur de Cologne, des prodiges qui paraissent avoir impressionné Jean Nider (Prieur des dominicains de Nuremberg, et inquisiteur alsacien, qui était présent. Ndlr) : elle aurait déchiré une nappe et l’aurait raccommodée instantanément, puis brisé un verre contre un mur et ensuite refait ce verre aux yeux des assistants »[19] !

 

Cette Claude jouissait donc visiblement de pouvoirs occultes ! On comprend mieux que l’adversaire de toute sainteté se soit servi de cette femme qui lui était assujettie pour salir Jeanne d’Arc. Différemment de la vraie Jeanne qui jeûnait souvent en se contentant de tremper du pain dans du vin, Claude-Jeanne des Armoises danse avec ses courtisans et fait ripaille ! Mais elle devait certainement avoir, comme tous ceux que le démon de la tromperie infeste, un art évident pour tromper les convives sans se compromettre. Enfin, après son mariage, le 7 novembre 1436, avec Robert des Armoises, originaire de Champagne, dont on a parlé plus haut, elle a l’audace, lors de l’achat de leur nouvelle maison, de se faire inscrire dans l’acte notarié sous le nom de Jeanne du Lys. En tout cas, si once de virginité elle avait, elle allait la perdre définitivement. Elle aura deux fils de son mari. Or on sait que la vraie Jeanne d’Arc tenait à mourir vierge.

 

Quand on demandait à Claude-Jeanne des Armoises ce qu’elle avait fait depuis Rouen, du 30 mai 1431 jusqu’au 20 mai 1436 où elle fait mine de réapparaître, elle répondait très évasivement, avec un art élaboré du mystère. D’où ce témoignage sur elle du doyen de Saint-Thiébault de Metz, en 1436 : « Elle parlait le plus souvent en paraboles, et elle ne disait ni le dedans ni le dehors de ses intentions »[20]. Quelle différence avec la simplicité de langage, la spontanéité et la droiture de la Pucelle. D’ailleurs cette fausse Jeanne n’était-elle pas plutôt sujette au dédoublement de la personnalité, elle qui reconnaissait s’appeler Claude - qui était le nom que tous, en effet, lui connaissaient - tout en disant qu’elle était Jeanne d’Arc ? La Pucelle n’avait-elle pas pris corps en elle ? N’était-elle pas comme possédée par ce double ? Il est étonnant, en effet, qu’elle ne soit pas présentée, dès le départ, comme s’appelant Jeanne. Était-elle donc, à ses yeux, à la fois totalement Claude et totalement Jeanne ? Ne faudrait-il pas voir là, en plus d’une possible schizophrénie, un phénomène de possession comme en rencontrent les exorcistes ?

 

Son cas arrive aux oreilles de l’Université de Paris, dont les membres sont ennuyés de cette affaire. Il ne s’agit pas pour eux d’être « refaits » une deuxième fois. Elle est convoquée de force et arrive à Paris, accompagnée de gens d’armes, en 1441. Devant les universitaires, elle reconnaît avoir été mariée et avoir eu deux enfants. Comme elle en parle au passé, on peut penser qu’à cette époque Claude-Jeanne des Armoises était veuve. Enfin, en même temps, le roi Charles VII la fait venir chez lui à Paris et, devant lui, très impressionnée, elle tombe à genoux, reconnaît son subterfuge et se rétracte : elle lui avoue ne pas être Jeanne la Pucelle. Il est étonnant que la rétractation de la fausse Jeanne à Paris n’ait pas provoqué de réaction immédiate chez ses prétendus frères, Pierre et Jean du Lys. Ils n’iront même pas voir ce roi qui les a ennoblis pour se faire pardonner leur méprise qui frise la complicité et, s’ils ne défendront plus la cause de Claude-Jeanne devant les Orléanais, on continuera à les voir suivre cette aventurière pendant encore deux ans ! On les retrouve, en effet, toujours avec elle en 1443. Heureusement, bien vite après cette date, on n’entendra plus parler de Jeanne des Armoises, du fait, peut-être, que le procès en réhabilitation de la vraie Jeanne occupait désormais sérieusement les esprits à la cour du roi.

 

Il était, en effet, ennuyeux pour le roi Charles VII d’avoir été sacré à Reims grâce à l’aide d’une femme qui avait été condamnée comme hérétique et schismatique. C’était une tache sur son sacre qu’il lui faudrait bien laver un jour. Charles VII se devait donc de faire réhabiliter la Pucelle, et attendait le moment propice. Or, ayant pénétré en vainqueur à Rouen, le 10 novembre 1449, il était désormais en possession de tous les documents concernant cette affaire. Le procès en réhabilitation de Jeanne d’Arc pouvait être déclenché. Il commença avec une première enquête qui fut faite les 4 et 5 mars 1450. On y entendit les principaux acteurs et témoins. Puis ce fut l’Église elle-même qui ordonna une enquête officielle, laquelle fut ouverte sur ordre du légat du pape : Guillaume d’Estouville, et de l’inquisiteur de France, Jean Bréhal. Elle durera du 2 au 22 mai 1452. Après que les conclusions de cette commission eurent été soumises à l’examen de théologiens et canonistes français et étrangers, le pape Calixte III, le 11 juin 1455, un mois seulement après son élection à la tête de l’Église, autorisera la révision du procès. Celui-ci s’ouvrira officiellement à Notre-Dame de Paris, le 7 novembre 1455, en présence d’Isabelle d’Arc, la mère de Jeanne, dite Romée, accompagnée de ses deux fils qui ont donc enfin accepté de reconnaître qu’ils s’étaient laissé égarer avec la fausse Pucelle, sinon ils ne seraient pas là. Le procès se terminera à Rouen, le 7 juillet 1456. Jeanne sera alors pleinement réhabilitée au cours d’une séance solennelle dans la ville même où elle est morte injustement. Le pape Callixte III aura la joie de voir l’heureuse conclusion de la révision qu’il avait acceptée.

Beaucoup plus tard, l’Église de France ayant eu la connaissance exacte et complète du procès de Jeanne d’Arc, grâce à sa publication intégrale en latin, Monseigneur Dupanloup, évêque d’Orléans et dévot de Jeanne, va demander à Rome l’introduction de sa cause. Il s’agit, au départ, de reconnaître ses vertus héroïques. Le 8 mai 1869, la supplique est envoyée au pape Pie IX par tous les évêques des lieux où Jeanne est passée. Ceci se passa, comme on le voit, à l’occasion des fêtes commémoratives de la délivrance d’Orléans, qui ont toujours eu lieu fidèlement dans cette ville, montrant le souvenir très fort que Jeanne a laissé chez les Orléanais. Cinq ans plus tard, en 1874, Monseigneur Dupanloup ouvre enfin le procès dans son diocèse.

 

Jeanne d’Arc est une très grande sainte. Par sa pureté de cœur et de corps, par son obéissance, son humilité et sa charité, elle a atteint un sommet dans la sainteté. L’Église l’a canonisée non pas parce qu’elle a accompli une grande mission guerrière et sauvé la France, mais parce que le Christ l’a rendue semblable à lui-même. Elle a été vendue pour 10.000 écus aux Anglais par le duc de Bourgogne, trahie, vilipendée, calomniée, enfermée, outragée, moquée sans jamais perdre patience et pardonnant à tous ses ennemis.

 

Jeanne d’Arc, du haut du ciel, a fait en France un grand nombre de guérisons inexpliquées dont certaines seront retenues à Rome, d’abord en vue de sa reconnaissance comme vénérable, qui sera annoncée, le 27 janvier 1894, par le pape Léon XIII, puis pour sa béatification, qui aura lieu en grande pompe, le 18 avril 1909, par le pape Pie X, entouré de trois évêques concernés par la vie de Jeanne : Mgr Foucaut, évêque de Saint Dié, le Cardinal Luçon, de Reims, et Mgr Touchet, évêque d’Orléans. Signalons, ce jour-là, la présence de quelques membres de la famille d’Arc, reçus en audience privée. Le pape Pie X a tenu à rappeler, à cette occasion, que « les intérêts de la France sont indissolublement unis à ceux de l’Eglise », et il baisa longuement le drapeau français qu’on lui présentait. Puis, à Orléans, ce sera trois jours de grande fête, du 6 au 8 mai 1909, pour fêter l’événement en présence de 45 évêques et au milieu d’une population en liesse.

 

Enfin, Rome aura encore le choix entre plusieurs miracles opérés par la bienheureuse Jeanne d’Arc pour clore le procès de sa canonisation. Celle-ci sera proclamée à Rome, le 16 mai 1920, par le pape Benoît XV, au cours d’une cérémonie grandiose et éblouissante. Il y a là, venant de France, six cardinaux, 69 évêques, 16 évêques missionnaires à l’étranger, six cent prêtres et une grande foule de pèlerins. Dans la basilique de Saint Pierre de Rome, autour du pape, sont présents en tout 40 cardinaux et 300 évêques du monde entier. Sont là également 60 personnes de la famille d’Arc. Il y a même un descendant de Charles VII : S.A.R. le Prince Emmanuel d’Orléans. Le gouvernement Français est représenté par un ambassadeur extraordinaire : Gabriel Hanotaux, historien de Jeanne d’Arc, membre de l’Académie Française, ancien ministre des affaires étrangères. L’accompagnent des sénateurs et des députés. La basilique est pleine de monde. Le Pape Benoît XV fera un long éloge de Jeanne d’Arc, et annoncera enfin ce que tous attendaient : « […], Nous décrétons et définissons sainte et Nous inscrivons au catalogue des saints la bienheureuse Jeanne d’Arc, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans, le 30 mai, dans l’Église universelle[…] ». Il dira aussi cette phrase toujours d’actualité : « Tous ceux qui ont tenté d’expliquer Jeanne, sans Dieu, se sont perdus dans un labyrinthe aux dédales inextricables ». 

 

Enfin, le 2 mars 1922, moins d’un mois après son élection, le pape Pie XI a proclamé sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France, le même jour qu’il a proclamé Notre-Dame de l’Assomption « patronne principale de la France ». Etait-ce là une coïncidence fortuite ? Comment ne pas penser ici que sur l’étendard de Jeanne, étaient inscrits, côte à côte, les noms de Jésus et de Marie. La dévotion de Jeanne envers Marie était parfaite, comme l’Église la demande.

 

Quelle belle revanche spirituelle de Jeanne sur l’évêque Cauchon, lui qui a refusé de la faire conduire à Rome pour y être jugée par le pape, quand, le 23 mai 1431, elle lui cria par trois fois « J’en appelle au pape ! ». Finalement, ce sont cinq papes qui vont lui rendre justice, d’abord en permettant la révision de son procès du vivant de Charles VII, puis en la déclarant successivement vénérable, bienheureuse, sainte et, enfin, patronne secondaire de la France.

Une autre fête de Jeanne d’Arc a lieu chaque année, le 2ème dimanche de mai. C’est la fête nationale en France de Jeanne d’Arc, suite à une loi adoptée à l’unanimité, le 10 juillet 1920, par la chambre des députés et le Sénat. Elle a été, hélas, un peu oubliée… Pourtant, il est certain que Jeanne d’Arc continue de soutenir la France dans les heures difficiles. Comment pourrait-elle l’oublier ? Sa mission au Ciel n’est pas terminée.

 

Les statues de Jeanne d’Arc trônent maintenant dans presque toutes les églises de France et d’ailleurs. Aujourd’hui tous les peuples, les Anglais en premier, l’honorent comme une grande sainte. Devant ce cœur sans aucune haine, plein de douceur évangélique qui a tout accepté, le succès comme la trahison, les éloges comme les disgrâces, et jusqu’à l’oubli dans le cœur de Charles VII, comment ne pas remercier Dieu d’avoir porté si haut les vertus héroïques de sa servante et comment ne pas remercier Jeanne de ce qu’elle a apporté à la France catholique par son abnégation et son obéissance ! C’est un devoir de la prier, une joie toujours plus grande de l’aimer, de la chérir, de la féliciter, et de l’imiter en disant avec elle : « Dieu premier servi » « Le Christ et l’Église, c’est tout Un ».

 

En 1944, le pape Pie XII a institué sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : patronne secondaire de la France avec sainte Jeanne d’Arc. C’était normal que ces deux saintes soient réunies pour veiller sur notre pays. On sait d’ailleurs combien Thérèse a aimé Jeanne ! N’a-t-elle pas joué son rôle dans une pièce de théâtre qu’elle avait elle-même rédigée et montée au Carmel de Lisieux ?  

 

Et, un jour, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas proclamée docteur de l’Église ? En tout cas, c’est le vœu que l’évêque de Blois, Monseigneur Maurice de Germiny, a exprimé dans la cathédrale d’Orléans quand il conduisait les festivités du 8 mai 2009. Voici l’extrait de son homélie où il en parle :

« […] Beaucoup d’entre vous se souviennent sans doute que le 19 octobre 1997, Jean-Paul II proclama sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, docteur de l’Église universelle. La lettre du pape débute ainsi : « La science de l’amour divin que répand le Père de toute miséricorde, par Jésus Christ en l’Esprit Saint, est un don accordé aux petits et aux humbles afin qu’ils connaissent et qu’ils proclament les secrets du Royaume cachés aux sages et aux savants ; pour cela, Jésus a exulté dans l’Esprit Saint, bénissant le Père, qui en a ainsi disposé » (Mt. 11, 25). La science de l’amour divin, Jeanne l’a éminemment pratiquée et enseignée, c’est pourquoi il semblerait juste et bon que Jeanne d’Arc soit déclarée docteur de l’Église universelle, rejoignant ainsi Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux […] ».

 

Monseigneur Maurice de Germiny ne se trompe pas en disant que Jeanne a reçu la science de l’amour divin. Rappelons l'extraordinaire pertinence des réponses inspirées qu’elle a faites aux docteurs de Poitiers et, plus tard, à ses juges. Ce sont des joyaux qui émerveillent toujours le lecteur, même de peu de foi, car émanant d'une jeune fille qui n’avait pas vingt ans et sans grande instruction. Prions Jeanne pour le renouveau de la foi en France et dans le monde, et pour que nous ayons, comme elle, la volonté de témoigner du Christ envers et contre tout.

 

                                                                                          Père Bernard Gallizia, prêtre du diocèse de Blois

                                                                           Membre de l'Association Universelle des Amis de Jeanne d'Arc

                                                                                         



[1] Ce nom de famille s’écrit aujourd’hui Rémi.

[2] Notons que le nom Darc s’écrit sans apostrophe dans ce document. Si l’apostrophe existait déjà dans des manuscrits médiévaux, elle était rare. Dans les textes imprimés, elle n’apparaîtra en France qu’en 1502.

[3] Jean d’Aulon, ou Jehan d’Aulon, 1390-1458, chevalier, sénéchal de Beaucaire, est l’écuyer, l’intendant et le garde du corps de Jeanne. Il sera auprès d’elle à Compiègne quand elle sera faite prisonnière. Il témoignera en dernier à son procès de réhabilitation.

 

[4] On remarque ici que le patronyme « Darc » devait se dire aussi « Day », puisque cette variante est uniformément appliquée par Charles VII, non seulement à la Pucelle mais à toute sa famille.

[5] Jean Pasquerel, moine augustinien, aumônier et confesseur de Jeanne. Il sera avec elle à Compiègne.

[6] « gentil » signifie « noble ».

[7] Procès de Jeanne d’Arc (C 76).

[8] Jean Chartier, né en 1403, moine de Saint-Denis, prévôt de la Garenne au temps de Jeanne d’Arc, est chroniqueur du roi. On a de lui la chronique française du règne de Charles VII (Bibliothèque Nationale, N° 1796), vraisemblablement traduite de sa chronique latine (1422-1450). Il décrit à sa manière dans le Journal du siège (d’Orléans) et chronique de la Pucelle, comment Jeanne s’est procuré son épée : elle aurait envoyé à l’église de Fierbois, depuis Tours, un forgeron qui, en suivant ses instructions, l’aurait trouvée effectivement dans un coffre enterré derrière l’autel, dont tout le monde ignorait l’existence. Ce qui est sûr, c’est que Jeanne d’Arc eut la révélation de l’existence de cette épée, et qu’elle n’en voulut pas d’autres.

 

[9] Jean Pasquerel (R176). Voir note 4.

[10] T. III, pp. 112 et suivantes. Notons que Sire Simon Charles n’était que maître des requêtes en 1429.

[11] Ne pas oublier que « de par » signifie « de la part de » et non « sur l’ordre de »

[12] Regnault de Chartres, archevêque de Reims, grand chancelier de France, archevêque d'Embrun en 1432, d'Agde en 1436, évêque d'Orléans en 1439, cardinal en 1440, évêque de Mende en 1444.

[13] Quicherat Aperçus nouveaux sur l’histoire de Jeanne d’Arc, pp 113-116.

[14] Retombée dans l’hérésie.

[15] ou Promoteur de la foi : clerc qui est chargé de trouver des arguments contre la béatification ou la canonisation d’une personne décédée.

[16] Régine Pernoud, Jeanne d’Arc par elle-même et par ses témoins, éditions du Seuil, Paris 1962, p. 277. 

[17] Frère Isambart de la Pierre, du couvent des Dominicains de Rouen, (R 270).

[18] Jacques d’Arc, son mari, était mort en 1432.

[19] Régine Pernoud, Jeanne d’Arc par elle-même et ses témoins, p. 290

[20] Idem, p. 288.